Une voiture éloignée cogna, grinça comme du métal déchiré, et commença à s’élever.
Hein ?
Non. Elle s’était posée sur l’anneau de cellules supérieur. Toute la mer des Sargasses s’enfonçait uniformément.
Un par un, bruyamment, les propulseurs portatifs et les voitures s’échouèrent, restant en arrière.
Le cyclo de Louis se posa sur le béton d’un escalier avec une secousse, pivota d’un demi-tour dans la turbulence des forces électromagnétiques, et culbuta. Louis lâcha tout et se dégagea.
Il essaya aussitôt de se mettre sur pied. Mais, incapable de garder l’équilibre, il ne put rester debout. Ses mains étaient des pinces tordues de douleur, inutiles. Il resta étendu sur le côté, haletant, persuadé qu’il était déjà trop tard. Parleur avait dû être écrasé sous son cycloplane.
Celui-ci, aisément reconnaissable, gisait sur le côté, au deuxième étage de cellules. Parleur était là… et il n’était pas coincé sous son cyclo. Il avait dû y être avant que l’appareil ne se renverse, mais les ballons l’avaient sans doute partiellement protégé.
Louis s’approcha en rampant.
Le Kzin était vivant et il respirait, mais il était inconscient. Le poids du cycloplane ne lui avait pas brisé le cou, sans doute parce qu’il n’avait pas vraiment de cou. Louis sortit la lampe laser de sa ceinture et se servit du faisceau vert, fin comme une aiguille, pour libérer Parleur de ses ballons.
Et maintenant ?
Il se rappela qu’il mourait de soif.
Sa tête ne tournait plus. Il se dressa sur ses jambes vacillantes, pour se mettre à la recherche de la seule source d’eau dont ils disposaient.
Le bloc de cellules était constitué de corniches concentriques, chaque corniche étant le toit d’un anneau de cellules. Parleur avait atterri sur le quatrième anneau à partir du centre.
Louis retrouva son propre cyclo drapé dans ses lambeaux de ballons de secours. Il y en avait un autre, à l’étage au-dessous, de l’autre côté de la fosse centrale, équipé d’une selle humaine. Le troisième…
Le cyclo de Nessus s’était échoué un étage au-dessous de celui de Parleur.
Louis descendit. Le heurt de ses pieds sur les marches transmettait des secousses dans tout son corps. Ses muscles étaient trop fatigués pour absorber le choc.
Il secoua la tête à la vue du tableau de bord. Personne ne risquait de voler le cycloplane de Nessus ! Les commandes en étaient incroyablement énigmatiques. Mais il parvint à identifier le bec à eau.
L’eau était chaude, sans saveur, comme de l’eau distillée… et absolument délicieuse.
Lorsque Louis eut étanché sa soif, il composa une brique et la goûta. Très étrange. Il décida de ne pas la manger tout de suite. Elle pouvait contenir des additifs nocifs pour le métabolisme humain. Nessus le saurait.
Il apporta de l’eau à Parleur dans sa chaussure, le premier récipient qui lui vînt à l’esprit. Il la fit couler dans la bouche du Kzin, qui l’avala et sourit dans son sommeil. Louis retourna en chercher de nouveau, mais ses forces l’abandonnèrent avant qu’il n’atteignît le cycloplane du Marionnettiste.
Il se recroquevilla sur le toit plat et ferma les yeux.
Sauf. Il était sauf.
Il aurait dû s’endormir tout de suite, dans l’état où il était. Mais quelque chose le tracassait. Ses muscles épuisés, les crampes dans ses mains et ses cuisses, la peur de tomber qui l’empêchaient maintenant encore de se détendre… et autre chose…
Il s’assit. « Y a pas de justice ! » marmonna-t-il.
Parleur ?
Le Kzin dormait, enroulé sur lui-même, ses oreilles aplaties sur sa tête et le désintégrateur Négrier serré contre son ventre, ne laissant apparaître que le museau double. Sa respiration était régulière, mais très rapide. Était-ce normal ?
Nessus le saurait. Qu’il dorme pour l’instant.
« Pas de justice ! » répéta-t-il dans un souffle.
Il était seul et abandonné, sans l’avantage d’être en sabbatique. Il était responsable du bien-être d’autres personnes. Sa vie et sa santé dépendaient de la façon dont Nessus parviendrait à amadouer la fille démente à moitié chauve qui les retenait prisonniers. Pas étonnant qu’il ne puisse dormir.
Pourtant…
Ses yeux le découvrirent enfin et s’y fixèrent. Son cycloplane.
Son cycloplane avec les ballons de secours déchirés qui traînaient par terre, le cycloplane de Nessus, juste derrière le sien, le cycloplane de Parleur, près du Kzin endormi, et le cycloplane à selle humaine, dépourvu de ballons de secours. Quatre cycloplanes.
Obsédé par la soif, il n’avait pas réalisé à la première observation. Et maintenant… le cycloplane de Teela. Il avait été caché par un des véhicules plus importants. Et pas de ballons de secours. Pas de ballons de secours…
Elle avait dû tomber lorsque le cycloplane s’était retourné. Ou être emportée quand l’enveloppe sonique avait cessé d’agir, à Mach 2.
Qu’avait dit Nessus ? On ne peut pas compter sur sa chance. Et Parleur : Si sa chance lui avait failli une seule fois, elle serait morte.
Elle était morte. Elle devait d’être.
Je suis venue avec toi, parce que je t’aime.
« Malchance », dit Louis. « Malchance que tu m’aies rencontré. »
Il se pelotonna sur le béton et s’endormit.
Beaucoup plus tard, il se réveilla en sursaut et s’aperçut que Parleur-aux-Animaux scrutait son visage. Le masque flamboyant de fourrure orange rendait ses yeux encore plus proéminents, et il avait un air de convoitise… Parleur demanda : « Pouvez-vous manger la nourriture du mangeur-de-feuilles ? »
— « Je n’ose pas essayer », répondit Louis. La vaste caverne résonante de son estomac rendit soudain toute autre chose insignifiante.
— « Je pense que, de nous trois, je suis le seul à être dépourvu de nourriture », dit doucement le Kzin.
Cet air de convoitise… Les cheveux de Louis se hérissèrent dans son cou. D’une voix égale, il dit : « Vous savez que vous disposez d’une source de nourriture. La question est de savoir si vous en ferez usage.
— « Certainement pas, Louis. Si l’honneur me commande de mourir de faim près d’une source de nourriture, je mourrai de faim. »
— « Bon. » Louis se retourna et fit semblant de se rendormir.
Quand il se réveilla quelques heures plus tard, il se rendit compte qu’il avait dormi. Son instinct devait faire confiance à la parole du Kzin. Si Parleur affirmait qu’il mourrait de faim, il mourrait de faim.
Sa vessie était pleine, une odeur désagréable lui emplissait les narines et la douleur de ses muscles était obsédante. La fosse résolut le premier problème et le cycloplane du Marionnettiste lui fournit de l’eau pour nettoyer les souillures de sa manche. Puis il alla en clopinant vers le robot médical de son propre cycloplane.
L’appareil n’était pas une simple boîte à pharmacie ; il mélangeait et dosait sur demande, et émettait ses propres diagnostics. Un appareil complexe ; et les neutralisateurs l’avaient mis hors d’usage.
La lumière diminuait.
Les cellules étaient munies, à leur partie supérieure, de trappes, elles-mêmes entourées de panneaux transparents. Louis s’allongea sur le ventre pour regarder à l’intérieur de l’une d’elles. Un lit, des toilettes à l’aspect bizarre et… la lumière du jour pénétrant par une fenêtre panoramique.
« Parleur ! » appela Louis.
Ils se servirent du désintégrateur pour s’y introduire. La fenêtre était grande et rectangulaire, étrange luxe pour une cellule de prison. Le verre avait disparu, seuls quelques éclats subsistaient autour du cadre.
Читать дальше