— « C’est peut-être vrai », opina Nessus. « Mais quelqu’un écoute notre conversation ! »
Louis sentit ses oreilles se dresser. Il vit celles de Parleur se déployer en éventail.
« Il faut une technique perfectionnée pour capter un faisceau fermé. Je me demande si l’indiscret possède un traducteur », marmonna le Marionnettiste.
— « Que pouvez-vous nous en dire ? »
— « Seulement sa direction. La source de l’interférence est à peu près dans votre voisinage. L’espion doit se trouver au-dessus de vous. »
Instinctivement, Louis essaya de regarder vers le haut. Aucune chance. Il était la tête en bas, avec deux ballons de secours et le cycloplane entre lui et le plafond.
— « Nous avons découvert la civilisation de l’Anneau-Monde », dit-il à voix haute.
— « Peut-être. Je pense qu’un être civilisé aurait pu réparer le troisième neutralisateur, comme vous l’appelez. Mais le principal… Laissez-moi réfléchir. »
Et le Marionnettiste se mit à émettre du Beethoven ou les Beatles, ou quelque chose qui rendait un son classique. Tout ce que Louis pouvait dire était qu’il improvisait au fur et à mesure.
Et quand il disait : laissez-moi réfléchir, il l’entendait ainsi. La musique se poursuivit longtemps. Louis commençait à avoir soif. Et sa tête bourdonnait.
Il avait renoncé à tout espoir, plusieurs fois, lorsque le Marionnettiste reprit la parole. « J’aurais préféré utiliser le désintégrateur Négrier, mais nous n’en ferons rien. Louis, c’est vous qui agirez ; vous descendez de primates, vous pouvez donc grimper mieux que Parleur. Vous allez assurer la… »
— « Grimper ? »
— « Vous poserez des questions lorsque j’aurais terminé, Louis. Assurez bien la lampe laser, où que vous la mettiez. Utilisez le faisceau pour perforer le ballon qui se trouve devant vous. Il faudra que vous vous agrippiez à son enveloppe dès que vous tomberez. Servez-vous-en pour grimper sur le cycloplane et vous assurer une position stable. Ensuite… »
— « Mais vous êtes dingue ! »
— « Laissez-moi finir, Louis. Le but de toute cette activité est de détruire les neutralisateurs qui restent. Car il y en a probablement deux. L’un se trouve au-dessus de la porte par laquelle vous êtes entrés, ou au-dessous. L’autre peut se trouver n’importe où. Votre seul indice est qu’il ressemble peut-être au premier. »
— « Évidemment, mais peut-être pas. Tant pis. Comment comptez-vous que je puisse agripper l’enveloppe d’un ballon qui explose, assez rapidement pour… Non. Je ne peux pas ! »
— « Louis, comment puis-je vous rejoindre si une arme m’attend pour détruire mon appareil ? »
— « Je ne sais pas. »
— « Comptez-vous sur Parleur pour faire l’escalade ? »
— « Les chats ne peuvent-ils pas grimper ? »
Parleur intervint : « Mes ancêtres étaient des chats des plaines, Louis. Et ma main brûlée n’est pas encore guérie. Je ne peux pas grimper. De toute façon, la proposition du mangeur-de-feuilles est insensée. Vous devez vous rendre compte qu’il ne fait que chercher une excuse pour nous abandonner. »
Louis s’en rendait compte. Peut-être montra-t-il sa peur.
— « Je ne vous laisserai pas encore », assura Nessus. « J’attendrai. Peut-être pouvez-vous élaborer un meilleur plan ? Peut-être l’espion se montrera-t-il ? J’attendrai. »
Louis Wu, coincé la tête en bas et immobilisé entre deux ballons profilés, trouvait difficile de mesurer le temps. Aucun changement. Aucun mouvement. Il entendait le sifflotement de Nessus, au loin ; mais rien d’autre ne semblait se passer.
Il finit pas se mettre à compter ses pulsations… Soixante-douze à la minute, estima-t-il.
Exactement dix minutes plus tard, on l’entendit dire : Soixante-douze. Une. Qu’est-ce que je fais ? »
— « Vous me parliez, Louis ?
— « Tanjit, Parleur, j’en ai assez ! Je préfère mourir tout de suite que de devenir fou. » Il se mit à pousser ses bras vers le bas.
— « Louis, en temps de guerre, c’est moi qui commande. Je vous ordonne de rester calme et d’attendre. »
— « Désolé. » Louis força ses bras vers le bas, se détendit, poussa vers le bas , se détendit. Il y était : sa ceinture. Sa main était trop en avant. Il força son coude vers l’arrière, se détendit, une secousse vers l’arrière …
— « La suggestion du Marionnettiste est du suicide, Louis. »
— « Peut-être. » Il l’avait : la lampe laser. Deux autres secousses la libérèrent de sa ceinture et la pointèrent vers l’avant. Il attaquerait bien le tableau de bord au passage, mais il ne risquait pas de se blesser lui-même.
Il fit feu.
Le ballon s’affaissa doucement. En même temps, celui qui se trouvait dans son dos le poussa vers le tableau de bord. Sous la pression affaiblie, il lui fut facile de pousser la lampe laser dans sa ceinture avant d’empoigner deux morceaux d’enveloppe fripée.
Il glissait de son siège. De plus en plus vite — il s’agrippa avec une force démente et, lorsqu’il tomba à la renverse, ses mains ne dérapèrent pas sur la prise. Il resta suspendu par les mains à son cycloplane, au-dessus d’un vide de trente mètres et…
« Parleur ! »
— « Je suis là, Louis. J’ai assuré mon arme. Voulez-vous que je crève l’autre ballon pour vous ? »
— « Oui ! » Le ballon lui bloquait complètement le chemin.
Celui-ci ne se dégonfla pas. Une moitié dégagea de la poussière pendant deux secondes, puis disparut dans une grande bouffée d’air. Parleur l’avait anéantie avec l’un des faisceaux du désintégrateur.
« Le Manigant sait comment vous pouvez viser avec ce truc ! » siffla Louis. Il se mit à grimper.
Ce fut relativement facile tant qu’il était suspendu à l’enveloppe du ballon. Traduisez : en dépit des heures qu’il avait passées la tête en bas, le sang affluant au cerveau, Louis parvint à ne pas lâcher prise. Mais l’enveloppe se terminait au voisinage de la pédale d’accélérateur, et le cyclo était à moitié renversé sous son poids, de sorte qu’il pendait toujours d’en dessous.
Il se rapprocha contre le cyclo, ramena ses genoux contre lui. Il commença à balancer.
Parleur-aux-Animaux émettait des sons curieux.
Le cyclo basculait de droite à gauche, plus loin à chaque balancement. Louis présumait, parce qu’il le fallait, que la plus grande partie du métal se trouvait sous le ventre du cyclo. Sinon, celui-ci se retournerait et, où qu’il se place, Louis se retrouverait en dessous ; et Nessus n’aurait donc pas émis cette suggestion.
Le cyclo se balançait très largement. Louis, nauséeux, combattit son envie de vomir. Si ses voies respiratoires s’obstruaient maintenant, c’en serait fait de lui.
Le cyclo bascula complètement et se retrouva exactement à l’envers. Louis s’élança sur le dessous de la coque pour saisir l’autre extrémité du ballon crevé. Il parvint à l’attraper.
Le cyclo continuait à se balancer. Louis, aplati contre le ventre de l’appareil, attendit, cramponné.
La masse inerte fit une pause, hésita, repartit. Ses canaux semi-circulaires accusèrent le mouvement et Louis vomit — Quoi ? Le dîner de la veille ? Il l’expulsa dans une explosion de longs efforts agonisants, sur le métal et sur sa manche ; mais il ne bougea pas d’un centimètre.
Le cycloplane continuait à rouler comme une houle. Mais Louis était solidement ancré. Il osa enfin lever les yeux.
Une femme l’observait.
Elle paraissait entièrement chauve. Son visage rappela à Louis la sculpture de fil étiré, dans la salle de banquet du château Paradis. Les traits comme l’expression. Elle était calme comme une déesse, ou comme une morte. Et il se sentait rougir, il aurait voulu se cacher ou disparaître.
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