Rien ne se passa. Il tombait toujours.
Alors, avec un calme qui était pure forfanterie, il prévint « Parleur, n’essayez pas le circuit d’asservissement. Ça ne marche pas. » Et, comme les autres pouvaient le voir par les écrans de l’intercom, il attendit avec un visage immobile et les yeux ouverts. Il attendait que l’Anneau-Monde le frappe à mort.
Une décélération brutale ralentit soudain son cyclo. Celui-ci se retourna, entraînant Louis Wu la tête en bas, sous une accélération de cinq g.
Il s’évanouit.
Quand il revint à lui, il avait toujours la tête en bas, maintenu par les ballons de secours. Le sang lui martelait les tempes. Il eut un vision imprécise et démente, dans laquelle le Maître des Marionnettes jurait en essayant de démêler ses ficelles, tandis que la marionnette Louis Wu brimbalait la tête en bas au-dessus de la scène.
Le bâtiment flottant était court, large et ornementé. Sa moitié inférieure était un cône inversé. Au moment où les cycloplanes s’approchèrent, une fente horizontale s’ouvrit et les absorba.
Ils pénétraient dans l’intérieur sombre, lorsque le cyclo de Parleur, qui s’était rapproché de celui de Louis, se retourna doucement. Des ballons surgirent autour du Kzin avant qu’il ne pût tomber. Louis fit une grimace d’amère satisfaction. Il y avait assez longtemps qu’il était malheureux pour apprécier la compagnie.
Nessus disait : « Votre position inversée implique que vous êtes supportés par des champs de nature électromagnétique. De tels champs agissent sur le métal, mais non sur le protoplasme, de sorte que… »
Louis se tortilla dans son emprisonnement, mais pas trop fort ; ce serait la chute s’il se libérait des ballons. La porte se referma derrière eux, trop vite pour que ses yeux s’accoutument à l’obscurité. Il ne voyait rien de l’intérieur, et n’avait aucune idée de la distance qui le séparait du sol.
Il entendit Nessus dire : « Pouvez-vous l’atteindre avec votre main ?
Et Parleur : « Oui, si j’arrive à passer entre les… Ouarrr ! Vous aviez raison. Le capot est brûlant. »
— « C’est donc que vos moteurs ont grillé. Vos cycloplanes sont maintenant inertes, hors d’usage. »
— « Heureusement que ma selle est isolée de la chaleur. »
— « Il n’est pas surprenant que les gens de l’Anneau-Monde aient su contrôler les forces électromagnétiques. Tant d’autres outils leur ont été refusés hyperpropulsion, servopropulseurs, gravité artificielle… »
Louis faisait des efforts pour voir quelque chose, n’importe quoi. Il parvint à tourner la tête, lentement, sa joue frottant contre la surface du ballon ; mais il n’y avait aucune lumière nulle part.
Déplaçant ses bras en dépit de la pression, il tâtonna sur le tableau de bord jusqu’au moment où il pensa avoir trouvé l’interrupteur des phares. Pourquoi pensait-il qu’ils fonctionneraient ? Il n’aurait pu le dire.
Les faisceaux jaillirent, droits et blancs, et se réfléchirent faiblement sur un mur courbe éloigné.
Une douzaine de véhicules flottaient autour de lui, tous au même niveau. Il y avait des appareils gros comme des propulseurs portatifs de course, et d’autres grands comme des voitures volantes. Il y avait même une sorte de camion volant avec une coque transparente.
Parmi l’enchevêtrement de ce bric-à-brac flottant, un cycloplane supportait Parleur-aux-Animaux, la tête en bas. La tête chauve du Kzin et son masque de fourrure orange dépassaient au-dessous des ballons de secours profilés ; et il avait forcé une main à l’extérieur pour toucher le côté du cycloplane.
« Bien », approuva Nessus. « De la lumière. J’allais le suggérer. Comprenez-vous tous deux ce que cela implique ? Tout circuit électrique ou électromagnétique de votre véhicule, en fonctionnement au moment où vous avez été attaqués, a été grillé. Le véhicule de Parleur, et sans doute le vôtre également, Louis, ont été de nouveau attaqués au moment où vous avez pénétré dans le bâtiment. »
— « Lequel est de toute évidence une prison. » Louis avait du mal à parler, sa tête semblait être un ballon trop plein d’eau. Mais il ne pouvait pas laisser les autres faire tout le travail, même si ce travail consistait seulement à spéculer sur la technologie étrangère en restant suspendu la tête en bas.
« Et si c’est une prison », poursuivit-il, « pourquoi donc n’y a-t-il pas un troisième neutralisateur à l’intérieur ? Au cas où nous aurions des armes. Ce qui est le cas. »
— « Il y en a certainement un », dit Nessus. « Vos phares prouvent qu’il ne fonctionne pas . Ces engins sont évidemment automatiques, sans cela quelqu’un vous garderait. Je pense que Parleur peut utiliser sans danger l’outil de forage Négrier. »
— « C’est une bonne nouvelle », dit Louis. « Sauf que j’ai regardé autour de nous… »
Louis et Parleur flottaient la tête en bas dans une mer des Sargasses aérienne. Des trois propulseurs portatifs, l’un était encore occupé. Le squelette était petit, mais humain. Aucune trace de peau ne subsistait sur les os blanchis. Les vêtements devaient avoir été de bonne qualité, car des lambeaux demeuraient : des haillons aux couleurs vives, dont un manteau jaune déguenillé qui pendait tout droit depuis le menton du pilote.
Les autres propulseurs étaient vides. Mais les os devaient se trouver quelque part… Louis força la tête en arrière…
Le fond du bâtiment de la police était une fosse conique, large et sombre. Le long du mur circulaire se trouvaient des anneaux concentriques de cellules, munies de trappes à leur sommet. Des escaliers radiaux menaient au fond de la fosse, où se trouvaient les os que cherchait Louis ; ils luisaient faiblement dans la pénombre.
Il n’était pas surpris que l’homme harnaché du propulseur portatif ait eu peur de se dégager. Mais les autres, pris au piège dans des voitures ou des appareils individuels, avaient préféré la longue chute à la mort par la soif.
Louis dit : « Je ne vois pas sur quoi Parleur pourrait utiliser le désintégrateur Négrier. »
— « J’y ai réfléchi très sérieusement. »
— « S’il perce un trou dans le mur, cela ne nous aidera pas beaucoup. Il en est de même pour le plafond, que nous ne pouvons pas atteindre, de toute façon. S’il frappe le générateur du champ qui nous retient en l’air, nous tomberons de trente mètres sur le sol. Mais s’il ne le fait pas, nous resterons ici jusqu’à ce que nous mourions de faim, à moins que nous ne nous dégagions pour tomber sur le sol, de trente mètres de haut. »
— « Oui. »
— « C’est tout. Seulement oui ? »
— « Il me faut plus de renseignements. L’un de vous peut-il me décrire ce qu’il voit ? Je n’aperçois qu’une partie d’un mur incurvé. »
Ils se relayèrent pour décrire le bloc de cellules conique, du moins ce qu’ils pouvaient en voir dans la faible lumière.
Parleur alluma ses propres phares, ce qui améliora quelque peu leur vision.
Mais Louis ne trouvait plus rien à décrire, et il était toujours emprisonné la tête en bas, sans nourriture ni eau, suspendu au-dessus d’un vide mortel.
Il sentit un hurlement quelque part en lui, profondément enfoui et bien contrôlé, mais grandissant. Il approcherait bientôt de la surface…
Et il se demandait si Nessus les abandonnerait.
La question était terrible, et la réponse évidente. Le Marionnettiste avait toutes raisons de partir et aucune de rester.
À moins qu’il n’espère encore rencontrer des indigènes civilisés.
« Les véhicules flottants et l’âge des squelettes indiquent que personne ne s’occupe des appareils de la prison », dit Parleur. « Les champs qui nous ont interceptés ont dû capter quelques véhicules après l’abandon de la ville ; ensuite, les derniers véhicules ont disparu de la surface de l’Anneau-Monde. De sorte que les appareils fonctionnent encore, car, depuis tout ce temps, rien n’a épuisé leurs réserves d’énergie. »
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