— « Et alors ? »
— « J’y ai réfléchi. Il est possible que ses phares fonctionnent toujours. Si c’est le cas, elle les aura laissés allumés. Vous prétendez qu’elle est intelligente, Louis. »
— « Elle l’est. »
— « Et elle n’a aucun sens de la prudence. Peu lui importe ce qui la trouvera, pourvu que nous la trouvions. Si ses phares sont hors d’usage, elle peut utiliser sa lampe laser pour avertir tout ce qui bouge — ou pour allumer un feu. »
— « Vous voulez dire que nous ne pourrons pas la trouver de jour. Et vous avez raison », admit Louis.
Nessus insista : « Nous devons d’abord explorer la ville de jour. Si nous rencontrons des habitants, parfait. Sinon, nous partirons à la recherche de Teela demain soir. »
— « Vous la laisseriez étendue quelque part pendant trente heures ? Vous êtes d’un cynisme — Tanjit, cette tache de lumière orangée que nous avons vue, c’est peut-être elle ! Non pas un éclairage public, mais des maisons en flammes ! »
Parleur se leva. « C’est vrai. Nous devons aller voir. »
— « Je suis l’Ultime de cette formation ! J’estime que la valeur de Teela ne mérite pas le risque d’un vol de nuit au-dessus d’une ville inconnue. »
Parleur-aux-Animaux avait enfourché son cycloplane. « Nous sommes sur un territoire qui peut être hostile. Donc, je prends le commandement. Nous partons à la recherche de Teela Brown, membre de notre équipage. »
Le Kzin s’éleva, dirigeant son cycloplane vers la grande fenêtre ovale. Au-delà de celle-ci se trouvaient un porche en ruine, puis la banlieue d’une ville sans nom. Les autres cycloplanes se trouvaient au rez-de-chaussée. Louis descendit les escaliers rapidement mais avec précaution ; une partie en était effondrée, et le mécanisme de l’escalator depuis longtemps rouillé à mort.
Nessus se pencha vers lui par-dessus la rampe. « Je reste ici, Louis. Je considère ceci comme une mutinerie. »
Louis ne répondit pas. Son cycloplane s’éleva, glissa par la porte ovale et s’éloigna dans la nuit.
La nuit était fraîche. Le clair d’Arche posait sur la ville des ombres bleu marine. Louis aperçut la lueur du cyclo de Parleur et la suivit vers la banlieue éclairée, à l’orient du Centre Administratif brillamment illuminé.
De la ville partout, des centaines de kilomètres carrés de ville. Il n’y avait même pas de parcs. Avec tout l’espace qu’offrait l’Anneau-Monde, pourquoi construire si dense ? Même sur Terre, les hommes tenaient à leur espace vital.
Mais la Terre disposait de cabines de transfert. C’était sans doute cela : les habitants de l’Anneau-Monde appréciaient davantage la durée des voyages que l’espace vital.
« Restons à basse altitude », dit Parleur dans l’intercom. « Si les lumières de la banlieue ne sont dues qu’à un éclairage public, nous rejoindrons Nessus. Si Teela a été abattue, mieux vaut êtres prudents. »
— « D’accord » acquiesça Louis. Mais il pensait : Écoutez -le, inquiet de sa sécurité face à un ennemi purement hypothétique. Un Kzin, téméraire au naturel, paraissait prudent comme un Marionnettiste, en comparaison de Teela Brown.
Où était-elle maintenant ? Indemne, blessée ou morte ?
Avant que le Menteur ne s’écrase, ils étaient déjà à la recherche d’habitants civilisés. Les avaient-ils finalement trouvés ? C’est sans doute ce qui avait empêché Nessus d’abandonner complètement Teela. La menace de Louis ne signifiait rien, ce dont Nessus devait être conscient.
S’il se trouvait que les habitants civilisés étaient leurs ennemis, eh bien, ce ne serait pas tout à fait imprévu…
Son cyclo dérivait vers la gauche. Louis corrigea.
« Louis. » Parleur-aux-Animaux semblait lutter contre quelque chose. « On dirait qu’il y a une interférence… » Puis, d’un ton pressant, avec l’injonction de commandement dont il avait l’habitude : « Louis ! Faites demi-tour ! Tout de suite ! »
Le ton de commandement semblait s’adresser directement à son subconscient. Louis fit immédiatement demi-tour.
Son cycloplane continua droit sur sa lancée.
Louis pesa de tout son poids sur la barre de direction. Aucun résultat. Le cyclo continuait à dériver vers les lumières du Centre Administratif.
« Quelque chose nous tient ! » cria Louis ; et la terreur le submergea. Ils étaient des marionnettes ! Énorme, sombre et pensant, le Maître des Marionnettes manœuvrait leurs bras et leurs jambes au gré d’un scénario invisible. Et Louis Wu connaissait le nom du Maître des Marionnettes.
La chance de Teela Brown.
Parleur, plus pratique, actionna la sirène d’alarme.
Le hurlement à fréquences multiples se déchaîna. Louis se demanda si le Marionnettiste répondrait. Le berger qui criait au loup ?… Mais Nessus criait : « Oui ? Oui ? » Avec le volume tourné trop fort. Évidemment, il avait fallu qu’il descende d’abord au rez-de-chaussée.
— « Nous sommes attaqués », lui dit Parleur. « Un dispositif inconnu commande nos véhicules à distance. Avez-vous quelque chose à suggérer ? »
On ne pouvait deviner les pensées de Nessus. Ses lèvres, deux fois trop nombreuses, lâches, larges et munies d’embryons de doigts, remuaient continuellement, mais sans signification. Le Marionnettiste pourrait-il les aider ? Ou allait-il paniquer ?
— « Faites pivoter vos intercom pour me donner une vue du chemin que vous suivez. Êtes-vous blessé, l’un ou l’autre ? »
— « Non, mais nous sommes coincés », dit Louis. « Nous ne pouvons pas sauter. Nous sommes trop haut, et nous allons trop vite. Nous nous dirigeons droit sur le Centre Administratif. »
— « Sur quoi ? »
— « Le groupe de bâtiments éclairés. Vous vous rappelez ? »
— « Oui. » Le Marionnettiste sembla réfléchir. « Un signal pirate doit interférer avec ceux de vos appareils. Parleur, donnez-moi le relevé de vos instruments de bord. »
Parleur les lui transmit, tandis qu’ils approchaient de plus en plus des lumières du Centre. Louis intervint soudain : « Nous survolons la partie de banlieue éclairée. »
— « Est-ce qu’il s’agit vraiment d’un éclairage public ? »
— « Oui et non. Toutes les portes ovales des maisons émettent une lueur orange. C’est étrange. Je pense que c’est l’éclairage urbain normal, mais la puissance a dû en être atténuée par le temps. »
— « Je suis de votre avis », dit Parleur-aux-Animaux.
— « Je ne voudrais pas insister, mais nous nous rapprochons. Je pense que nous nous dirigeons vers le grand bâtiment du milieu. »
— « Je le vois. Le cône double dont seule la moitié supérieure est éclairée.
— « C’est cela »
— « Louis, essayons d’interférer avec l’émission pirate. Asservissez votre cyclo au mien. »
Louis activa le circuit d’asservissement.
Son cyclo lui imprima une rude secousse, comme si une botte géante lui avait frappé le postérieur. Un instant plus tard, toute propulsion cessa d’agir.
Des ballons de secours surgirent devant et derrière lui. Leur forme était telle qu’ils s’imbriquèrent autour de lui comme une paire de mains serrées l’une dans l’autre. Louis ne pouvait même pas remuer les mains ni tourner la tête.
Il tombait.
« Je tombe ! » cria-t-il. Sa main, pressée contre le tableau de bord par les ballons, continuait d’activer le circuit d’asservissement. Il attendit encore un instant, dans l’espoir que le circuit allait réagir. Mais les maisons-ruches se rapprochaient dangereusement. Louis retrancha le pilotage manuel.
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