Frank Herbert - Les yeux d'Heisenberg

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Les optimhommes. Hautains, inapprochables, sans bouger de leur sphère ils dirigent le monde. Avec l’insouciance que leur donne l’immortalité. Dans l’ombre, les mystérieux Cyborgs, mi-hommes, mi-robots, guettent l’instant favorable à la prise du pouvoir. Les « Ordinaires », enfin, ne sont guère que des esclaves soutenus par leur rêve permanent : triompher de la stérilité.

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— Glisson, dit-il. Vous nous avez convoqués ?

— Je vous ai convoqués, dit le Cyborg. Cela fait bien longtemps, Durant. Avez-vous toujours peur de nous ? Oui, je le vois. Vous en retard.

— Nous connaissons mal cette zone, précisa Harvey.

— Nous avons pris des précautions, ajouta sa femme.

— Alors, mon enseignement a porté ses fruits, commenta Glisson. Vous étiez d’assez bons élèves.

Par leurs mains entremêlées, Lizbeth transmit : Bien qu’ils soient difficiles à comprendre, je devine que quelque chose ne va pas. Glacée par le regard pesant du Cyborg, elle détourna les yeux. Elle ne pouvait, malgré ses efforts, les considérer comme des êtres de chair et d’os ; leurs corps contenaient des ordinateurs miniaturisés reliés directement au cerveau ; leurs bras n’étaient que des prothèses, armes et outils à la fois. Et leur voix ne trahissait jamais la moindre émotion.

— Vous ne devez pas avoir peur de nous, madame, dit Glisson. À moins que vous ne soyez pas Lizbeth Durant.

Harvey faillit laisser éclater sa colère.

— Ne parlez pas sur ce ton à ma femme. Nous ne vous appartenons pas.

— Quelle est la première leçon que je vous ai donnée après votre recrutement ? demanda Glisson.

Harvey s’efforça au calme.

— Savoir garder son sang-froid, dit-il avec un sourire sinistre. La main de Lizbeth tremblait encore dans la sienne.

— Vous ne l’avez pas bien retenue, ajouta le Cyborg. Je vous prédis un échec.

Lizbeth commenta par le jeu des doigts : Ils envisageaient d’employer la violence.

Harvey acquiesça.

— D’abord, reprit Glisson, votre rapport sur l’opération génétique. Il s’arrêta pour changer les connexions sur l’ordinateur mural. Ne faites pas attention. Je suis préposé à la distribution des outils. Ainsi, ils ne viendront jamais inspecter ce lieu – il désigna leur abri – qui, sur leurs écrans, semble rempli d’outils.

Un banc sortit du mur à la droite des Durant.

« Asseyez-vous, si vous êtes fatigués. Le Cyborg indiqua les fils qui le reliaient à l’ordinateur. Moi, je reste assis pour pouvoir continuer à travailler pendant que nous parlons.

Il sourit ; un Glisson ne ressent pas la fatigue, voilà ce que signifiait son sourire figé.

Harvey fit asseoir sa femme.

Attention, transmit-elle, Glisson nous manœuvre. On nous cache quelque chose.

— Un rapport complet, reprit le Cyborg, en se tournant légèrement pour leur faire place. Je veux tous les détails, même ceux qui peuvent paraître futiles. Mes capacités d’enregistrement sont illimitées.

Ils commencèrent par raconter ce qu’ils avaient vu du modelage. Comme de bons messagers bien entraînés, ils se relayaient sans hésitation au cours du récit. Harvey, pendant cette récitation, éprouvait l’impression étrange que sa femme et lui s’intégraient au mécanisme du Cyborg. Les questions tombaient des lèvres de Glisson de manière automatique et leurs réponses avaient une froideur clinique. Pour ne pas être absorbé complètement, Harvey devait se répéter sans cesse : C’est de notre fils dont nous parlons.

— Aucun doute, par conséquent, conclut Glisson. Nous nous trouvons en présence d’un nouveau viable immunisé contre le gaz. Vos renseignements parachèvent le tableau. Car, voyez-vous, nous avons d’autres sources d’informations.

— Je ne savais pas que le chirurgien était des nôtres, dit Lizbeth.

Au cours de la pause qui suivit, le regard de Glisson se fit plus neutre encore qu’à l’habitude. Les Durant croyaient voir les éléments de sa mémoire échanger des formules complexes. Les Cyborgs pensaient par équations, disait-on, des équations qu’ils traduisaient en langage ordinaire, selon leur intérêt.

— Le chirurgien n’était pas des nôtres, répondit le Cyborg. Mais il rejoindra bientôt nos rangs.

Quelle formule a engendré ces mots ? se demanda Harvey.

— Et l’enregistrement de l’opération ? s’enquit-il.

— Détruit. En ce moment même, on transporte votre embryon en lieu sûr. Vous le retrouverez bientôt. Un ricanement mécanique sortit des lèvres du Cyborg.

Lizbeth frissonna en entendant ces mots. Harvey percevait toujours son extrême tension.

— Notre fils est-il sain et sauf ? interrogea-t-il.

— Sain et sauf. Nos plans garantissent la sécurité.

— Comment ? demanda Lizbeth.

— Vous comprendrez dans peu de temps. Un moyen ancien et solide pour procurer un abri sûr. N’ayez aucune crainte : les viables sont des armes de valeur et nous ne gaspillons pas de telles armes.

— Le modelage, demande-lui maintenant, réclamèrent les doigts de la jeune femme.

Harvey s’humecta les lèvres du bout de la langue.

— Il y a… quand on appelle un chirurgien du Centre, cela signifie en général qu’on peut modeler un Optimhomme à partir de l’embryon. Ont-ils… Est-ce que notre fils ?…

Les narines de Glisson frémirent et une expression de mépris hautain se peignit sur son visage : une telle ignorance était une insulte pour un Cyborg.

— Avant de formuler la moindre hypothèse, il nous faudrait un enregistrement complet, dit-il de sa voix métallique, indiquant en particulier les proportions enzymatiques. Comme cet enregistrement a disparu, le chirurgien reste le seul à connaître le résultat du modelage. Nous ne l’avons pas encore interrogé.

— Svengaard ou la manipulatrice pourraient avoir vu quelque chose qui… avança Lizbeth.

— Svengaard est un imbécile, la manipulatrice est morte.

— Ils l’ont tuée ? murmura la jeune femme.

— Les conditions de sa mort n’ont aucune importance. Elle avait rempli sa tâche.

Les Cyborgs ne sont pas étrangers à sa mort, dit Harvey avec sa main.

Je l’ai bien compris.

— Êtes-vous… Nous sera-t-il permis de parler à Potter ? demanda Harvey.

— Quand Potter se verra offrir le plein statut de Cyborg, ce sera à lui de décider.

— Nous voulons savoir ! explosa Lizbeth.

Fais des excuses, transmit Harvey à une vitesse frénétique.

— Madame, dit Glisson, je vous rappellerai que le modelage des soi-disant Optimhommes n’est pas l’état auquel nous aspirons. N’oubliez pas les vœux que vous avez formulés.

— Je vous demande pardon, dit Lizbeth en étreignant la main de son mari pour interrompre ses appels. La nouvelle… de la possibilité m’a causé un tel choc…

— Nous considérons ces emportements sentimentaux comme des circonstances atténuantes. Il vaut mieux, par conséquent, que je vous prévienne : vous entendrez au sujet de votre fils des rumeurs qui ne doivent pas vous troubler.

— Quelles rumeurs ? souffla Lizbeth.

— Un élément extérieur d’origine inconnue intervient parfois dans le cours ordinaire d’un modelage génétique. Nous avons de bonnes raisons de croire que cela s’est produit avec votre fils.

— Que voulez-vous dire ? demanda Harvey.

— Ce que je veux dire ? Glisson ricana. Vous posez des questions qui n’ont pas de réponses.

— Quel est l’effet produit par cet élément ? dit Lizbeth d’un ton suppliant.

Glisson la regarda.

— Il agit à la manière d’une particule chargée : il pénètre dans la cellule et en altère la structure. Si ce phénomène s’est vraiment produit, vous devez vous en réjouir car il empêche, semble-t-il, le modelage d’un Optimhomme.

Les Durant assimilèrent l’information.

— Avez-vous encore besoin de nous ? demanda enfin Harvey. Pouvons-nous partir ?

— Vous pouvez rester ici.

Tous deux regardèrent le Cyborg sans comprendre.

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