Terens pouvait l’enlever, prendre un autre chemin, essayer de pénétrer à bord d’un vaisseau… s’échapper d’une manière ou d’une autre… fuir Sark…
Il y avait beaucoup trop d’aléas. Au fond de lui-même, il savait que Genro avait raison : il était au pied du mur. C’était Trantor ou c’était Sark. Il haïssait et craignait Trantor mais Sark, il le savait, était un choix impossible.
— Hep ! Vous, là-bas !
Terens s’arrêta net. Glacé d’effroi, il leva les yeux. La sortie n’était plus qu’à une centaine de mètres. En courant… Mais on ne laisserait pas sortir un homme en train de courir. Il n’osait pas. Il ne fallait pas courir.
La jeune femme qui l’observait était dans une voiture. Une voiture comme Terens n’en avait jamais vu, même sur Sark où il avait vécu quinze ans. Une voiture étincelante de métal et de gemnite translucide.
— Approchez, dit la jeune femme.
Terens obéit, les jambes mollies. Une voiture de Trantor devait l’attendre devant l’astrodrome, avait dit Genro. C’était bien cela, non ? Et aurait-on confié à une femme une mission de ce genre ? Elle était brune et ravissante.
— Vous êtes arrivé avec le vaisseau qui vient d’atterrir, n’est-ce pas ?
Comme il gardait le silence, elle reprit d’une voix impatiente :
— Je vous ai vu en descendre ! (Elle tapota ses jumelles de polo, un instrument que Terens connaissait.)
Oui, murmura-t-il.
— Montez.
Elle ouvrit la portière. La voiture était encore plus luxueuse à l’intérieur. Les sièges étaient moelleux, le véhicule était neuf et sentait bon, la fille était splendide.
— Faites-vous partie de l’équipage ? demanda-t-elle.
C’est un test, songea Terens.
— Vous savez qui je suis, murmura-t-il en désignant le médaillon.
Sans bruit, la voiture fit demi-tour.
Quand elle atteignit la porte, Terens se recroquevilla au fond de son siège recouvert d’un frais capiton de kyrt mais il n’y eut pas d’anicroches. La conductrice se contenta de lancer d’un ton péremptoire :
— Je suis Samia de Fife. Cet homme m’accompagne.
Et ils passèrent.
Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes que Terens, épuisé, comprit le sens de ces mots. Quand il sursauta, le corps tendu, la voiture filait déjà à cent soixante-dix de moyenne sur une voie express.
Un des employés de l’astrodrome se détourna et ses lèvres remuèrent tandis qu’il baissait la tête, approchant la bouche de son revers. Il rentra dans le bâtiment et se remit au travail. Le surveillant fronça les sourcils. Il faudrait signaler cette habitude qu’avaient les hommes de sortir pour griller une cigarette et de ne revenir qu’au bout d’une demi-heure.
L’un des deux hommes assis dans la voiture qui attendait devant la sortie dit d’une voix chagrine :
— Il est monté dans une voiture avec une fille ! Quelle voiture ? Quelle fille ?
En dépit de son costume sarkite, il avait un accent arcturien prononcé. Arcturus faisait partie de l’empire trantorien.
Son compagnon, lui, était un Sarkite, un homme tout à fait au courant des questions d’information. Quand le véhicule en question eut franchi la grille et se fut engagé en accélérant le long de la rampe de raccordement à la voie express, il se leva à demi sur son siège, s’écriant :
— C’est la voiture de Demoiselle Samia ! Il n’y en a pas deux pareilles. Galaxie ! Qu’est-ce qu’on va faire ?
— La suivre, répondit laconiquement l’autre.
— Mais Demoiselle Samia…
— Je n’en ai rien à fiche. Et ça devrait être la même chose pour toi. Sinon, qu’est-ce que tu fais ici ?
Ils firent demi-tour et s’élancèrent sur la chaussée presque déserte conduisant au niveau de circulation réservé aux voitures rapides.
— Nous ne pourrons pas la rattraper, grommela le Sarkite. Dès qu’elle nous aura repérés, elle mettra toute la gomme. Cet engin-là tape le cinq cents.
— Pour le moment elle s’en tient à un petit deux cents de moyenne. – Après un silence, l’Arcturien ajouta : – Elle ne va pas au Depsec, ça, c’est indiscutable. – Quelques instants s’écoulèrent, puis il ajouta : – Elle ne se rend pas non plus au palais de Fife. Je veux bien être précipité dans l’espace si je sais où elle va ! Elle quitte la ville.
— Est-ce bien l’assassin qui est avec elle ? Et si c’était un traquenard ? Elle n’essaye pas de nous semer et elle n’aurait pas utilisé une voiture comme celle-là si elle ne voulait pas qu’on lui file le train. On la reconnaît à trois kilomètres.
— Je ne dis pas non, mais Fife ne se serait pas servi de sa propre fille pour se débarrasser de nous. Une escouade de patrouilleurs aurait suffi et s’en serait mieux tirée.
— Peut-être n’est-ce pas vraiment Sa Seigneurie.
— On va le savoir, mon vieux. Elle ralentit. Dépasse-la et arrête-toi après le virage.
— Je veux vous parler, dit la fille.
Terens jugea qu’il ne s’agissait pas du piège auquel il avait tout d’abord pensé. C’était vraiment la fille de Fife. Elle n’imaginait visiblement pas que quelqu’un puisse s’opposer à sa volonté.
Pas une seule fois elle ne s’était retournée pour observer si on les suivait. A plusieurs reprises, le Prud’homme avait remarqué une voiture derrière eux. Le véhicule gardait sa distance. Il ne gagnait ni ne perdait de terrain.
Ce n’était pas n’importe quelle voiture, Terens en avait la certitude. Peut-être s’agissait-il de Trantoriens, ce qui eût été une bonne chose. Peut-être s’agissait-il de Sarkites. En ce cas, la Demoiselle de Fife serait un otage appréciable.
— Je suis prêt à parler, fit-il.
— Vous étiez à bord du navire où se trouvait le Florinien meurtrier ?
— Je vous l’ai déjà dit.
— Très bien. Je vous ai demandé de m’accompagner pour que nous puissions bavarder tranquillement. A-t-on interrogé cet indigène pendant le voyage ?
Une pareille naïveté ne pouvait être simulée. Samia de Fife ne savait vraiment pas qui il était.
— Oui, répondit Terens, toujours sur ses gardes.
— Avez-vous assisté à l’interrogatoire ?
— Oui.
— Bien ! C’est ce que je pensais. A propos, pourquoi avez-vous quitté le navire ?
C’était la question par laquelle elle aurait dû commencer !
— Je devais transmettre un rapport spécial à…
Il marqua une hésitation.
Elle s’empressa de mordre à l’appât.
— A mon père ? Ne vous faites pas de soucis. Je vous couvrirai entièrement. Je dirai que vous avez obéi à mes ordres.
— Entendu, Votre Seigneurie.
Ce « Votre Seigneurie » s’imprima profondément dans la conscience de Terens. Il se trouvait en face d’une Demoiselle, la plus noble du pays, et il était florinien. Un assassin de patrouilleurs pouvait aisément se mettre à tuer les Écuyers et un assassin d’Écuyers pouvait se permettre de regarder une Haute Dame dans les yeux.
Elle avait un regard dur et inquisiteur. Il leva la tête et la contempla de haut en bas.
Elle était très belle.
Et comme elle était la plus noble, elle ne se rendit pas compte qu’il l’examinait.
— Je veux que vous me rapportiez tout ce que vous avez entendu au cours de cet interrogatoire, dit-elle. Je veux savoir tout ce que cet indigène a raconté. C’est très important.
— Puis-je demander à Votre Seigneurie pour quelle raison elle porte tant d’intérêt à cet indigène ?
— Non, répondit simplement Samia.
— Comme Votre Seigneurie voudra.
Il ne savait que dire. La moitié de son esprit attendait que la voiture des suiveurs les rattrapât, l’autre était de plus en plus fascinée par le visage et par le corps de la beauté assise à côté de lui.
Читать дальше