Il se détacha d’elle en roulant sur le pont. Elle tendit les bras en essayant de l’attirer de nouveau. Trop tard, il était déjà parti ! Il avait envie d’une autre partenaire. Le bref moment de plaisir n’avait pas assouvi, tant s’en faut, le désir impétueux qui le poussait. Rien ne pourrait peut-être jamais l’assouvir. Il allait maintenant essayer de trouver la grande femme mince ou bien la jeune femme robuste, aux jambes fuselées, qui semblait déborder de vitalité. Ou même la grosse femme à la peau sombre et aux cheveux dorés. Aucune importance. Il était insatiable, inépuisable.
Là-bas, la femme mince, seule ! Lawler se dirigea vers elle. Trop tard ! L’homme trapu aux cheveux longs et à la poitrine aussi développée que celle d’une femme venait de la saisir par le bras et il l’entraînait. Ils se fondirent dans l’obscurité.
Soit. Eh bien, la grosse…
Ou la jeune…
— Lawler ! lança une voix d’homme.
— Qui est là ?
— Quillan ! Par ici ! Par ici !
C’était l’homme anguleux, celui qui n’avait que la peau sur les os. Il sortit de derrière l’endroit où était arrimé le glisseur et sa main se referma sur le bras de Lawler. Le médecin se dégagea d’un mouvement brusque.
— Non, pas vous… Ce n’est pas un homme que je cherche…
— Moi non plus. Ni un homme, ni une femme. Bon Dieu, Lawler ! Êtes-vous tous devenus fous ?
— Comment ?
— Restez là, avec moi, et regardez ce qui se passe. Regardez cette orgie insensée.
— Comment ? dit Lawler en secouant la tête pour essayer de clarifier ses idées. Comment ? Quelle orgie ?
— Regardez, là-bas, Sundira Thane et Delagard qui s’en donnent à cœur joie. Et Kinverson avec Pilya ! Et là-bas, regardez, c’est Neyana qui implore quelqu’un de la prendre ! Et vous, vous venez juste de la quitter et déjà vous en redemandez. Jamais je n’ai rien vu de tel !
— J’éprouve… une douleur… là…, dit Lawler, les mains refermées sur ses bourses.
— Ce sont des émanations venues de la mer qui provoquent tout cela. Qui s’attaquent à nos cerveaux. Moi aussi, je le ressens, mais je parviens à me contrôler. Alors que vous… vous êtes tous devenus complètement enragés.
Lawler avait beaucoup de difficulté à comprendre ce que lui disait le grand homme maigre. Il commença à s’éloigner et il vit la grosse femme à la crinière dorée qui arpentait le pont à la recherche de son prochain partenaire.
— Lawler ! Revenez !
— Attendez… Plus tard… Nous parlerons plus tard…
Tandis qu’il s’avançait d’un pas mal assuré vers la femme, il vit une silhouette sèche, masculine, à la peau sombre, le dépasser.
— Monsieur le père Quillan ! s’écria l’homme. Monsieur le docteur ! Je le vois ! Il est là, sur la coque !
— Que voyez-vous, Gharkid ? demanda l’homme anguleux répondant au nom de Quillan.
— Un gros mollusque, monsieur le prêtre. Fixé sur la coque. Ce doit être lui qui nous envoie une substance chimique, une drogue…
— Lawler ! Allez voir ce que Gharkid a découvert !
— Plus tard… plus tard…
Mais ils étaient sans pitié. Ils s’avancèrent vers lui et le prirent chacun par un bras, puis ils l’entraînèrent vers le bastingage. Lawler se pencha pour regarder. À cet endroit les sensations étaient beaucoup plus intenses qu’en n’importe quel autre point du navire. Lawler sentait des vibrations lentes et cadencées parcourir sa colonne vertébrale et lui marteler le bas-ventre. Ses testicules battaient comme des cloches. Son pénis rigide, agité de tremblements et de petites secousses, était pointé vers les étoiles.
Lawler fit un violent effort pour retrouver sa clarté d’esprit. Il avait énormément de peine à comprendre ce qui se passait.
Quelque chose avait envahi le navire, précipitant tout le monde dans des abîmes de lubricité.
Des noms commençaient à lui revenir en mémoire et ils les accolait à des visages et à des corps. Quillan. Gharkid. Eux avaient résisté à cette force. Et il y avait les autres, ceux qui n’avaient pas résisté : lui et Neyana, Sundira et Martello, Sundira et Delagard, Kinverson et Pilya, Felk et Lis. Changements fiévreux de partenaires, sarabande sans fin de verges et de vulves. Où était Lis ? Il avait envie de Lis. Jamais encore il n’avait eu envie d’elle. Jamais non plus il n’avait eu envie de Neyana. Mais maintenant il avait envie d’elles. Oui, Lis, tout de suite. Et ensuite Pilya. Lui donner enfin ce qu’elle attendait depuis le début du voyage. Et après Sundira. L’arracher à ce répugnant Delagard. Oui, Sundira, et puis encore Neyana et Lis et Pilya… Sundira, Neyana, Pilya, Lis… Baiser jusqu’à l’aube… baiser jusqu’à midi… baiser jusqu’à la fin des temps…
— Je vais tuer cette saloperie, dit Quillan. Passez-moi la gaffe, Natim.
— Vous ne sentez donc pas sa force ? demanda Lawler. Vous êtes donc immunisé contre elle ?
— Bien sûr que non, répliqua le prêtre.
— Mais alors, vos vœux…
— Ce ne sont pas mes vœux qui me retiennent, Lawler, c’est simplement la peur. La gaffe devrait être juste assez longue, poursuivit Quillan en se tournant vers Gharkid. Tenez-moi les jambes pour que je ne bascule pas par-dessus bord.
— Laissez-moi le faire, dit Lawler. Mes bras sont plus longs que les vôtres.
— Restez où vous êtes !
Le prêtre se laissa glisser par-dessus le plat-bord et descendit en se trémoussant le long de la coque. Gharkid saisit ses jambes tandis que Lawler retenait le petit homme. Le médecin regarda par-dessus le plat-bord et il vit une sorte de plaque d’un jaune vif, large d’à peu près un mètre, fixée sur la coque du navire, juste au-dessus de la ligne de flottaison. Au centre de la créature circulaire s’élevait un petit dôme plissé. Quillan allongea le bras aussi loin qu’il le put et piqua la créature de la pointe de la gaffe. Une fois, deux fois, trois fois. Un petit jet de fluide bleuté sortit du dos de la créature comme une fontaine sans pression. Quillan porta un nouveau coup et la créature fut parcourue de frémissements convulsifs.
Lawler sentit la douleur s’atténuer dans son bas-ventre.
— Serrez-moi plus fort ! s’écria Quillan. Je commence à glisser !
— Non, monsieur le prêtre ! Non !
Lawler referma les mains autour des chevilles dressées vers le ciel. Il sentit le corps du prêtre se raidir tandis qu’il s’écartait de la coque pour prendre de l’élan avant de frapper d’un coup sec avec la gaffe. La créature fixée à la coque se mit à onduler frénétiquement sur tout son périmètre. Le jaune tourna au vert profond, puis au noir. Des excroissances charnues et ondulantes se formèrent soudain dans la surface molle ; la créature se décolla de la coque et retomba dans la mer où elle fut aussitôt engloutie dans le sillage du navire.
Lawler sentit se dissiper en quelques instants les brumes qui obscurcissaient son cerveau.
— Mon Dieu ! murmura-t-il. Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?
— Gharkid a dit que c’était un mollusque, répondit Quillan qui tremblait comme un homme soulagé de quelque tension insupportable. Il était fixé à la coque et il sécrétait toutes sortes de puissantes phérormones. Certains étaient capables d’y résister. Les autres non.
Lawler parcourut le pont du regard. Des silhouettes nues se déplaçaient, l’air hébété, tels des somnambules tirés du sommeil. Léo Martello se tenait près de Neyana et la regardait fixement, comme s’il ne l’avait jamais vue de sa vie. Kinverson était avec Lis Niklaus. Le regard de Lawler croisa celui de Sundira. Elle semblait encore abasourdie et frottait nerveusement, anxieusement son ventre plat, comme pour effacer l’empreinte du corps de Delagard sur sa peau.
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