— J’aime mieux ça.
— C’est pareil en sens inverse. Quand nous ensemençons le sol de la planète avec nos propres bactéries, elles ne s’y reproduisent pas.
— Qu’en est-il des plantes pluricellulaires ?
— Nous avons fait des essais, mais les résultats sont très médiocres. C’est sûrement à cause de la lumière de Némésis, car nos plantes poussent parfaitement bien à l’intérieur du Dôme, avec le sol et l’eau d’Erythro. Nous avons transmis ces résultats à Rotor, bien entendu, mais je doute que l’information ait été largement publiée. Le redoutable Pitt ne s’intéresse pas à nous, et il n’y a que lui qui compte là-bas, n’est-ce pas ? »
Genarr dit cela en souriant, mais c’était un sourire tendu. (Qu’est-ce que Marlène en aurait pensé ? se demanda Insigna.)
« Pitt n’est pas redoutable. Il est parfois assommant, ce qui n’est pas la même chose. Tu sais, Siever, quand nous étions jeunes, je pensais que tu serais peut-être gouverneur un jour. Tu étais très brillant, tu sais.
— J’étais ?
— Tu l’es toujours, j’en suis sûre, mais à cette époque tu t’intéressais à la politique, tu avais beaucoup d’idées. Je t’écoutais, fascinée. Tu aurais été un bien meilleur gouverneur que Janus. Tu sais écouter les gens. Tu n’aurais pas insisté autant pour qu’on fasse tout à ta manière.
— C’est précisément pour cela que j’aurais fait un médiocre gouverneur. Tu vois, je n’ai pas de but précis dans la vie. J’ai juste le désir de faire ce qui me semble bien, sur le moment, dans l’espoir que cela aboutira à quelque chose de supportable. Pitt, lui, sait ce qu’il veut et a l’intention de le réaliser.
— Tu te méprends sur son compte, Siever. Il a des opinions bien marquées, mais c’est un homme très raisonnable.
— Bien sûr, Eugenia. Quel que soit son but, il a toujours une raison parfaitement bonne, parfaitement logique, parfaitement humaine de le réaliser. Il peut en inventer une à n’importe quel moment, et d’une manière si sincère qu’il se persuade lui-même. Je suis certain que si tu as eu affaire à lui, il a réussi à te convaincre de faire le contraire de ce que tu voulais, et qu’il a gagné sans te donner d’ordre, ni te menacer, mais patiemment, en avançant des arguments rationnels. »
Insigna répondit d’une petite voix : « Eh bien … »
Genarr ajouta d’un air sardonique : « Je vois que tu as souffert de sa nature rationnelle. Tu peux voir par toi-même, alors, combien c’est un bon gouverneur. Pas un type bien, mais un bon gouverneur.
— Je n’irais pas jusqu’à dire que ce n’est pas un type bien, répliqua Insigna en secouant légèrement la tête.
— Allons, ne nous disputons pas pour cela. Je souhaite faire la connaissance de ta fille. » Il se leva. « Pourrai-je vous rendre visite après dîner ?
— C’est une excellente idée. »
Genarr la regarda partir avec un sourire qui s’effaça rapidement de ses lèvres. Eugenia avait souhaité évoquer des souvenirs et sa propre réaction avait été de parler de son mari … ce qui l’avait refroidie.
Il soupira intérieurement. Il avait toujours le chic pour gâcher ses chances.
« Il s’appelle Siever Genarr, dit Eugenia Insigna à sa fille, mais quand on s’adresse à lui, il faut l’appeler Commandant, car c’est lui qui dirige le dôme d’Erythro.
— Entendu, maman. Si c’est son titre, je l’appellerai comme cela.
— Et je ne veux pas que tu l’importunes …
— Bien sûr que non, maman.
— C’est ta tendance, Marlène. Tu le sais bien. Accepte ce qu’il te dit sans faire de commentaires fondés sur le langage du corps. Je t’en prie ! A l’université, nous étions bons amis, et même après. Bien qu’il soit ici depuis dix ans et que je ne l’aie pas vu durant tout ce temps, c’est toujours un vieil ami à moi.
— Je crois même que c’était ton petit ami.
— Je ne veux pas que tu l’observes pour lui dire ce qu’il pense ou sent réellement. Et pour ton information, ce n’était pas mon petit ami, pas vraiment, nous n’étions pas amants. Nous étions amis et nous avions de l’affection l’un pour l’autre. Mais après mon mariage … » Elle secoua la tête et fit un geste vague. « Fais attention à ce que tu diras sur le Gouverneur … si ce sujet vient sur le tapis. J’ai l’impression que le commandant Genarr n’est pas un chaud partisan de Pitt … »
Marlène accorda à sa mère l’un de ses rares sourires. « Tu as étudié le comportement subliminal du commandant Siever ? Parce que c’est plus qu’une impression, dirait-on. »
Insigna secoua la tête. « Tu vois ? Tu ne peux pas t’en empêcher. D’accord, ce n’est pas une impression. Il a lui-même parlé sévèrement du Gouverneur. Tu sais, continua-t-elle, presque pour elle-même, il a peut-être raison … »
Elle se tourna vers Marlène et ajouta soudain : « Je t’en prie, Marlène. Tu es parfaitement libre d’observer le Commandant et de découvrir ce que tu peux, mais ne lui en parle pas. Tu comprends ?
— Tu penses que nous courons un danger, maman ?
— Je ne sais pas.
— Moi, si, dit Marlène d’une voix neutre. J’ai compris qu’il y avait un danger dès que le Gouverneur a dit que nous pouvions aller sur Erythro. Mais je ne sais lequel. »
En voyant Marlène pour la première fois, Siever Genarr éprouva un choc, encore aggravé par l’expression maussade de la jeune fille, qui lui donna à penser qu’elle savait parfaitement bien ce qu’il venait d’éprouver, et pourquoi.
Rien chez elle n’indiquait qu’elle fût la fille d’Eugenia, elle n’avait rien de sa beauté, rien de sa grâce, rien de son charme. Elle l’examinait de ses grands yeux brillants, qu’elle ne tenait pas, non plus, d’Eugenia. En cela, seulement, elle surpassait sa mère.
Peu à peu, il révisa sa première impression. Il s’était joint à elles pour le thé et le dessert, et Marlène se comporta parfaitement bien. Une véritable dame, et visiblement intelligente. Comment Eugenia avait-elle formulé la chose ? Toutes les vertus ingrates ? Ce n’était pas à ce point. Il avait l’impression que Marlène mourait d’envie d’être aimée, comme les gens sans beauté, parfois. Comme lui-même. Un flot de sympathie l’envahit soudain.
Au bout d’un moment, il dit : « Eugenia, je me demande si je pourrais parler seul à seul avec Marlène.
— Pour quelle raison, Siever ? » Eugenia essayait de prendre un air détaché.
« Eh bien, c’est Marlène qui a parlé à Pitt et c’est elle qui l’a persuadé de vous laisser venir ici, toutes les deux. En tant que commandant du Dôme, je dépends fortement de ce que dit et fait le gouverneur et j’aimerais bien que Marlène puisse me parler de leur rencontre. Je pense qu’elle le ferait plus librement si nous étions seuls. »
Genarr suivit Insigna des yeux, puis se tourna vers Marlène qui, assise dans un coin de la pièce, disparaissait presque dans les coussins moelleux d’un grand fauteuil. Ses mains étaient mollement jointes sur ses genoux et ses beaux yeux noirs regardaient gravement le commandant.
Genarr dit, avec une pointe d’humour dans la voix : « Votre mère semble un peu inquiète de vous laisser ici avec moi. L’êtes-vous aussi ?
— Pas du tout. Et ma mère est inquiète pour vous, pas pour moi.
— Pour moi. Et pourquoi donc ?
— Elle pense que je pourrais dire quelque chose qui vous froisserait.
— Vous le feriez, Marlène ?
— Pas volontairement, commandant. Je vais m’efforcer de ne pas le faire.
— Et je suis sûr que vous allez réussir. Savez-vous pourquoi je veux vous voir seule ?
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