A Mark Hurst, mon estimé metteur en copie qui, je pense, travaille plus que moi sur mes manuscrits.
Titre original : Nemesis
Traduit par Monique Lebailly
1989 by Nightfall Inc.
Presses de la Cité 1991 pour la traduction française
Ce livre ne fait pas partie de la série Fondation, ni de celle de l’Empire, ni du cycle des Robots. Il est unique en son genre. J’ai pensé qu’il valait mieux vous avertir pour éviter tout malentendu. Bien sûr, il se peut qu’un jour j’écrive un autre roman pour articuler celui-ci sur les autres, mais peut-être bien que je n’en ferai rien. Après tout, pendant combien de temps continuerai-je à me donner du mal pour élaborer les complexités de l’histoire future ?
Autre chose. Il y a longtemps que j’ai décidé de suivre une règle stricte : être clair. J’ai abandonné toute idée d’écriture poétique, symbolique ou expérimentale, ou de tout autre mode qui pourrait (à condition d’être assez doué) me valoir un prix Pulitzer. Je me contente d’écrire d’une manière limpide et de créer ainsi une relation chaleureuse entre mes lecteurs et moi ; quant aux critiques littéraires … eh bien, ils sont libres.
Cependant, mes histoires s’écrivent toutes seules, j’en ai bien peur, et, pour celle-ci, j’ai découvert, à mon grand embarras, que je suivais deux fils narratifs différents. Une série d’événements prenait place dans le présent de mon histoire et une autre dans son passé, mais en se rapprochant régulièrement du présent. Je suis sûr que vous n’aurez pas de peine à suivre le scénario, mais puisque nous sommes amis, j’ai pensé qu’il valait mieux vous prévenir.
Il était là, seul et cloîtré.
Dehors, il y avait les étoiles et une, en particulier, accompagnée de son petit système planétaire. Il pouvait la voir en imagination, plus clairement qu’il ne l’aurait vue de ses yeux en désopacifiant la fenêtre.
Une petite étoile, d’un rouge rosâtre — la couleur du sang et de la destruction — et au nom bien choisi.
Némésis !
Némésis, la Déesse du Châtiment.
Il se rappela l’histoire qu’il avait entendue dans son enfance — une légende, un mythe, le récit d’un Déluge planétaire qui avait anéanti une humanité pécheresse en épargnant une seule famille pour repartir à zéro. Pas d’inondation, cette fois. Juste Némésis.
L’humanité avait encore dégénéré et Némésis était le châtiment qu’il lui fallait. Ce ne serait pas un déluge. Rien d’aussi simple.
Même ceux qui pourraient y échapper … où iraient-ils ?
Pourquoi n’éprouvait-il aucun chagrin ? L’humanité ne pouvait pas continuer comme cela. Elle se mourait lentement de ses propres méfaits. Si au lieu de cette mort atrocement lente, elle en subissait une beaucoup plus rapide, fallait-il s’en désoler ?
Une planète gravitait autour de Némésis. Autour de la planète, un satellite. Et autour du satellite, Rotor.
Le vieux Déluge avait épargné quelques hommes et quelques femmes, à l’abri dans une Arche. Une Arche ? Qu’est-ce que c’était ? Il n’en avait qu’une vague idée, mais Rotor en était l’équivalent. Elle emportait un échantillon d’humanité qui serait à l’abri et pourrait édifier un monde nouveau et meilleur.
Mais pour l’ancien monde … n’y aurait-il que Némésis !
Il y pensa de nouveau. Une étoile rouge, une naine, suivait sa route inexorable. Elle et ses planètes étaient en sécurité. Pas la Terre.
Terre, Némésis est en route !
Avec son châtiment divin !
La dernière fois que Marlène avait vu le système solaire, elle était un bébé de un an. Bien entendu, elle n’en avait gardé aucun souvenir.
Elle avait beaucoup lu, à ce sujet, mais rien de toute cette littérature n’avait pu lui donner l’impression que le système solaire avait pu être une part d’elle-même, ni qu’elle en avait fait partie.
Elle avait quinze ans maintenant, et ne se souvenait que de Rotor. Pour elle, ce monde était grand. Après tout, la station spatiale mesurait huit kilomètres de circonférence. De temps à autre, depuis ses dix ans, Marlène en faisait le tour, pour le plaisir de marcher, en passant parfois dans les zones de faible pesanteur, afin de glisser un peu. C’était toujours amusant. Qu’elle glisse ou qu’elle marche, Rotor défilait avec ses bâtiments, ses parcs, ses fermes et surtout ses habitants.
Cela lui prenait toute une journée, mais sa mère ne s’inquiétait pas. Elle disait qu’il n’y avait pas de danger sur Rotor. « Ce n’est pas comme sur Terre, ajoutait-elle mystérieusement. Ne t’inquiète pas. »
Ce que Marlène aimait le moins, c’étaient les gens. Le nouveau recensement, disait-on, en dénombrait soixante mille sur Rotor. C’était trop. Beaucoup trop. Chacun d’eux arborait un visage mensonger. Marlène détestait voir ces mines trompeuses en sachant ce qui se cachait derrière. Elle ne pouvait pas en parler. Toute petite, elle avait essayé, mais sa mère s’était mise en colère et lui avait défendu de dire des choses pareilles.
En grandissant, elle avait vu plus clair dans cette duplicité, mais elle en souffrait moins. Elle avait appris à trouver cela normal et passait le plus de temps possible seule avec ses pensées.
Depuis quelque temps, elle pensait souvent à Erythro, la planète autour de laquelle ils gravitaient. Sans savoir pourquoi, elle glissait jusqu’au pont d’observation, à ses heures perdues, et contemplait avidement Erythro, s’abandonnant au désir d’être là-bas …
Sa mère lui demandait, avec impatience, ce qu’elle irait faire sur une planète totalement stérile, mais Marlène ne pouvait pas répondre. « J’en ai juste envie », disait-elle.
Elle était seule sur le pont d’observation. Les Rotoriens n’y venaient presque jamais. Pour elle, c’était un lieu familier, Quelqu’un, croyait-elle, l’avait portée là dans ses bras. Vrai ou faux souvenir ? A l’époque, elle allait sur ses quatre ans.
Cette planète, elle l’avait vue grandir à mesure que Rotor s’en rapprochait. Elle avait douze mille kilomètres de diamètre : une dimension impossible à concevoir. Sur l’écran, elle n’avait pas l’air si grande que cela, et Marlène n’arrivait pas à s’imaginer à sa surface, en train de regarder alentour, sur des centaines, des milliers de kilomètres. Mais elle savait qu’elle en avait envie. Terriblement.
Aurinel ne s’intéressait pas à Erythro ; dommage. Il disait qu’il avait d’autres chats à fouetter ; il pensait à l’université. Il avait dix-sept ans et demi. Marlène venait juste d’avoir quinze ans. Cela ne faisait pas une grande différence, se disait-elle avec un sentiment de révolte, puisque les filles mûrissaient plus rapidement.
En tout cas, elles auraient dû. Elle se contempla et pensa, déçue et consternée, comme toujours, qu’elle avait l’air d’une petite gamine boulotte.
Marlène regarda de nouveau Erythro, grande et belle, d’un rouge doux dans les zones éclairées. Elle avait la taille d’une planète et tout le monde la qualifiait ainsi ; pourtant, elle tournait autour de Mégas, encore bien plus grande, qui, elle, gravitait autour de l’étoile Némésis.
« Marlène ! »
Elle reconnut la voix d’Aurinel. Ces derniers temps, elle devenait de plus en plus timide avec lui. Elle aimait la manière dont il disait son nom. Il prononçait distinctement les trois syllabes : Mar-lè-ne, en faisant un peu rouler le « r ». C’était doux de l’entendre.
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