Sans prendre conscience qu’il venait de prendre une décision, il se retrouva dans l’entrepôt où avaient été regroupés les cas désespérés. Ce ne fut qu’alors que Conway prit le temps de discuter ou, si toute conversation était impossible, de faire ces petites choses essentielles et en même temps inutiles qui apportent un certain réconfort aux mourants. En présence d’extra-terrestres, il pouvait seulement se tenir à leur côté et espérer que cette épave sanglante et brisée de Tralthien, de Meltien, ou d’êtres appartenant à une autres espèce, possédait une parcelle de la faculté empathique de Prilica, afin qu’elle pût comprendre qu’il était son ami et deviner ce qu’il éprouvait.
Ce ne fut que graduellement que Conway prit conscience que les blessés capables de marcher l’avaient suivi dans cette salle en tirant derrière eux ceux qui en étaient incapables. Ils se regroupèrent lentement autour et au-dessus de lui, l’expression grave, déterminée, et respectueuse. Le commandant Stillman se propulsa vers l’avant du groupe, avec maladresse car dans sa main encore valide il tenait une arme.
— Ce massacre doit prendre fin, professeur, dit-il calmement. Nous en avons tous discuté longuement et nous avons pris cette décision. Et il faut y mettre immédiatement un terme.
Il retourna brusquement son arme et la tendit à Conway.
« Vous pourrez en avoir besoin. Vous devrez peut-être la braquer contre Dermod afin de l’empêcher de faire quelque chose de stupide pendant que nous lui expliquerons ce qui s’est passé …
Juste à côté de Stillman flottait la forme momifiée du colonel Williamson et de l’homme qui l’avait tiré jusque-là. Ils se parlaient à voix basse dans une langue qui était à la fois étrangère et familière à Conway. Avant qu’il eût pu la reconnaître, tous les patients se déplaçaient à nouveau et il nota qu’un grand nombre d’entre eux étaient armés. Les pistolets faisaient partie de leur équipement réglementaire et Conway n’avait pas pensé à eux lorsqu’il avait rangé les combinaisons dans un placard du service. Il estima que Dermod serait fou de rage contre lui. Il suivit les convalescents vers l’issue principale du service, puis dans la coursive qui conduisait à la Réception.
Stillman parlait presque tout le temps, lui expliquant ce qui s’était passé. Puis, lorsqu’ils furent pratiquement arrivés à destination, il demanda sur un ton angoissé :
— Professeur, vous ne pensez pas que je suis … que je suis un traître?
Tant d’émotions différentes bouillonnaient en Conway que tout ce qu’il trouva à répondre fut un seul mot :
— Non !
L’arme braquée sur le commandant de la flotte, il se sentait ridicule mais il devait admettre que c’était sans doute l’unique moyen de parvenir à leurs fins. Conway était entré dans la salle de la Réception, puis s’était frayé un chemin jusqu’à Dermod en évitant les officiers et en contournant les consoles de contrôle. Finalement, il avait dirigé son arme contre le commandant alors que les autres entraient à leur tour. Il avait naturellement tenté d’expliquer la situation, mais sans se montrer très convaincant.
— … Vous voudriez donc que je capitule, professeur, résuma Dermod avec lassitude, sans regarder l’arme.
Ses yeux allaient du visage de Conway à ceux des blessés qui flottaient dans la salle, immobiles. Il semblait être choqué et déçu, comme si l’un de ses amis venait de commettre un acte véritablement répugnant.
Conway décida de faire une nouvelle tentative.
— Pas capituler, commandant, dit-il en désignant l’homme qui retenait toujours la civière de Williamson. Nous … je veux dire que cet homme, là-bas, à besoin d’un émetteur. Il veut ordonner un cessez-le-feu …
Conway bafouillait, tant il était impatient d’expliquer ce qui s’était passé. Il commença son récit par l’afflux de blessés dû à la collision entre le Vespasien et le transport de troupes ennemi. L’intérieur des deux vaisseaux ressemblait à un abattoir et, alors que tous savaient qu’il y avait autant d’ennemis que de Moniteurs parmi les blessés, il avait été impossible pour des raisons de temps et de personnel disponible de faire le moindre tri. Plus tard, lorsque les blessés les moins gravement atteints s’étaient mis à circuler à l’intérieur du service, pour converser ou aider à soigner leurs compagnons, il s’était avéré que la moitié des patients appartenaient à l’autre camp. Chose étrange, cela n’avait pas semblé affecter outre mesure les blessés et le personnel soignant avait été quant à lui bien trop occupé pour le remarquer. Et les plus valides avaient continué d’effectuer les tâches simples et pas toujours plaisantes qui permettaient de soulager leurs semblables, ces choses qu’il était tout simplement indispensables d’effectuer dans une salle au personnel si peu nombreux. Et ils avaient discuté …
Car les Moniteurs avaient appartenu à l’équipage du Vespasien. Comme ce vaisseau avait fait escale sur Etla, ces hommes possédaient à des degrés divers une certaine maîtrise de l’étlien. Or les Etliens parlaient une langue utilisée dans tout l’Empire … un langage qui était l’équivalent de l’universel employé dans la Fédération. Ils avaient longuement conversé entre eux et ils avaient entre autre appris, après la dissipation partielle de la prudence et de la méfiance initiales, que le transport de troupes ennemi avait eu à son bord certains officiers supérieurs. Un de ceux qui avaient survécu à la collision faisait partie de l’état major de la flotte Impériale qui assiégeait le Secteur Général …
« … Et durant ces derniers jours, mes patients n’ont parlé que d’une seule chose : des possibilités de paix, conclut Conway, à bout de souffle. Les pourparlers ont été naturellement menés à un niveau non officiel, mais je crois que le colonel Williamson et Héraltnor, ici présent, ont un grade suffisant pour leur donner un certain poids.
Héraltnor, l’officier ennemi, se tourna vers Williamson et s’adressa à lui en étlien, avec véhémence. Il inclina ensuite doucement le visage immobilisé par le plâtre du colonel afin que ce dernier pût voir le commandant de la flotte, puis il fixa Dermod à son tour, visiblement anxieux.
— Il n’est pas stupide, commandant, dit laborieusement Williamson. Il a entendu les explosions et vu sur les écrans que nos défenses ont été anéanties. Il dit que si ses hommes se posaient maintenant nous ne pourrions rien faire pour les en empêcher. C’est la stricte vérité, commandant, et vous le savez aussi bien que moi. Il ajoute que l’état major va certainement ordonner un débarquement et que ce n’est qu’une question d’heures, mais il désire cependant obtenir un cessez-le-feu, pas une reddition.
« Il ne désire pas que son camp remporte une victoire, conclut le colonel d’une voix faible. Il veut simplement l’interruption des combats. Il dit encore que certaines choses qu’il a apprises sur notre compte et sur celui de cette guerre devraient être tirées au clair …
— Il dit énormément de choses, rétorqua le commandant Dermod avec colère.
À en juger par son visage il semblait être soumis à une torture, comme s’il avait désespérément voulu espérer mais qu’il n’osait pas le faire.
« Et vous paraissez avoir énormément discuté entre vous ! ajouta-t-il. Pourquoi ne pas m’avoir tenu au courant?
— Ce sont moins les paroles que les actes qui comptent ! intervint Stillman d’un ton sec. Au début, ils ne croyaient pas un traître mot de ce que nous leur disions. Mais le Secteur Général ne ressemblait absolument pas à ce qu’ils s’étaient attendus à trouver. Cet endroit rappelait plus un hôpital qu’une salle de tortures. Ils savaient que les apparences sont parfois trompeuses et ils étaient très suspicieux, mais ils ont vu des médecins et des infirmières humains et extra-terrestres lutter côte à côte, avec la mort au-dessus de leurs têtes et ils ont surtout vu Conway. Les discussions ont été inutiles, tout au moins jusqu’à une période récente. C’est ce que nous avons fait qui a compté. Ce qu’il a fait !..
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