— Je sais . Je serai prudente, je te le garantis.
— Et si jamais tu es blessée, par des éclats d’obus ou quoi que ce soit, pas de souci. Je promets de venir à ton secours, si tu te trouves en difficulté.
Oh ! Seigneur, Merope ne s’était pas trompée !
— C’est juré : je marcherai contre les façades, assura-t-elle d’un ton léger. À propos de M. Dunworthy, tu ne lui as pas raconté que j’étais de retour ?
— Non . Je ne lui ai même pas dit que je suis ici. Il me croit au lycée.
Parfait. Elle n’avait donc pas à s’inquiéter qu’il vende la mèche à son sujet.
— Merci pour la liste. C’est une aide formidable.
Elle lui sourit, puis se rappela que ce n’était pas une bonne idée, vu les circonstances.
— Je ferais mieux de retourner à ma prépa, annonça-t-elle avant de commencer à traverser la rue.
— Attends ! appela-t-il, courant pour la rattraper. Y a-t-il une autre recherche dont tu aurais besoin ? N’importe quoi ? En plus des heures des sirènes, bien sûr ? Veux-tu une liste des autres abris au cas où tu ne pourrais pas atteindre une station de métro ? ou une liste des modèles de bombes ?
— Non. Tu as déjà passé trop de temps à m’aider, Colin, et tu as ton propre travail scolaire en cours et…
— Ce sont les vacances toute cette semaine, et cela m’est égal. Je t’assure. C’est un excellent entraînement pour le moment où je deviendrai historien. J’y retourne de ce pas.
Et il descendit la rue en bondissant.
Polly revint à Recherche et se fit implanter la liste des raids de Colin. Ainsi, elle ne perdrait pas de temps à les mémoriser. Puis elle s’en fut à Fournitures prendre ses papiers et ses lettres, et gagna enfin la Bodléienne pour étudier.
Elle avait mémorisé tous ces documents auparavant, quand elle pensait qu’elle partirait d’abord pour le Blitz, mais elle avait oublié la plus grande part de ses acquis dans l’intervalle. Elle vérifia le rationnement, le black-out, les événements qu’un contemporain devait connaître à l’automne de l’année 1940 – la bataille d’Angleterre, l’opération Lion de mer, la bataille de l’Atlantique –, et pour finir elle apprit par cœur la carte d’Oxford Street. Elle se demanda si elle n’allait pas enregistrer de même la carte du métro, mais elle était affichée dans toutes les stations. À la place, elle ferait mieux de mémoriser les numéros des bus, et…
— Je t’ai cherchée partout ! s’exclama Colin avant de s’écrouler sur une chaise de l’autre côté de sa table. J’ai oublié une question : où vivras-tu quand tu seras là-bas ? Il y a des milliers d’abris à Londres.
— Quelque part à Marylebone, Kensington ou Notting Hill. Cela dépend de l’endroit où je peux trouver une chambre à louer.
Elle lui mentionna les restrictions de M. Dunworthy : un-kilomètre-d’Oxford Street-et-pas-plus-loin.
— Alors je vais commencer par les abris circonscrits dans ce rayon. Et, si j’ai le temps, j’élargirai au reste du West End. Oh ! et quand reviens-tu ? Pour que je puisse te marquer ceux que tu dois éviter ?
— Le 22 octobre.
— Six semaines, traduisit-il d’une voix distraite. Et ensuite tu fais les raids des zeppelins. Combien de temps passeras-tu en 1915 ?
— Je l’ignore. Ça n’a pas encore été planifié. Je ne peux pas me permettre d’y penser maintenant. Je dois me concentrer pour aller au bout de la mission présente. Écoute, Colin, j’ai une masse de boulot en retard. Est-ce que tu avais juste besoin des dates ?
— Oui. Non. Je voudrais te demander une faveur.
— Colin, je serai heureuse de parler de toi à M. Dunworthy, mais je doute vraiment qu’il m’entende. Il maintient catégoriquement que personne ne doit se rendre dans le passé avant d’avoir vingt ans. Je sais que tu as déjà voyagé dans le passé, et probablement dans l’un des endroits les plus dangereux où quiconque soit jamais allé, mais…
— Non, ce n’est rien de tout ça.
— Ah, non ?
— Non. Je veux que tu partes pour le Blitz en temps-réel, pas en temps-flash.
— C’est le cas, déclara-t-elle, surprise.
Ce n’était certainement pas ce qu’elle s’attendait à ce qu’il lui demande.
— M. Dunworthy a exigé que la fenêtre de saut soit ouverte toutes les demi-heures au cas où je serais blessée, et cela se passera donc en temps-réel.
— Ah ? Parfait.
Qu’avait-il en tête ?
— Pourquoi veux-tu que je parte en temps-réel pour cette mission ?
— Pas pour celle-ci. Pour toutes tes missions.
— Toutes mes… ?
— Oui. Ainsi je pourrai te rattraper. En âge. Le fait est… (Il s’interrompit pour déglutir.) Le fait est que je te trouve tout simplement super…
Oh là là !
— Colin, tu es…
Elle s’arrêta avant de dire : « un enfant », juste à temps !
— … tu n’as que dix-sept ans. J’en ai vingt-cinq…
— Je sais, mais ce n’est pas comme si nous étions des gens ordinaires. Si c’était le cas, je te l’accorde, ce serait plutôt décourageant…
— Et illégal.
— Et illégal, concéda-t-il. Mais nous sommes des historiens. Ou du moins, tu es une historienne, et je le deviendrai, et nous disposons du voyage temporel, si bien que je pourrai ne pas être toujours plus jeune que toi. Ou dans l’illégalité. (Il sourit.) Écoute, si je fais quatre missions de deux ans ou six missions de dix-huit mois, et si je les fais toutes en temps-flash, je peux avoir vingt-cinq ans pile au moment où tu reviendras du Blitz.
— Tu ne peux pas…
— Je sais, M. Dunworthy représente un problème, mais je trouverai un moyen de le convaincre. Et, même s’il m’empêche d’aller dans le passé avant que je sois en troisième année, j’arriverai à supporter ce délai tant que tu n’exécuteras aucune de tes missions en temps-flash.
— Colin…
— Ce n’est pas comme si je te demandais d’attendre pendant des années entières. Enfin, ce seraient des années entières, mais les miennes, pas les tiennes, et je m’en fiche. Et ces années ne seraient pas si longues si tu m’emmenais sur le Blitz.
— C’est totalement exclu.
— Je ne veux pas dire pour faire le Blitz. Si je suis tué, je ne risque pas de te rattraper. J’irais dans le Nord, là où sont partis les évacués.
— Non. Et je croyais que tu souhaitais me rattraper. Si tu viens avec moi, nos âges relatifs demeureront les mêmes.
— Pas si je ne reviens pas avec toi. Je pourrais m’attarder jusqu’à la fin de la guerre – c’est-à-dire cinq années –, et là revenir en temps-flash. Cela me ferait vingt-deux ans, et il ne me resterait plus qu’une ou deux missions à faire. Que je pourrais exécuter de la même façon, ainsi tu n’aurais pas à m’attendre du tout.
Elle devait mettre un coup d’arrêt à cette folie.
— Colin, il faut que tu trouves quelqu’un de ton âge.
— Tout juste. Et tu auras précisément mon âge dès que…
— C’est ridicule. Avant d’avoir atteint vingt-deux ans, tu auras eu le temps de changer mille fois d’idée. Comme au sujet de ton désir de partir aux croisades…
— Non, je n’ai pas changé.
— Mais tu disais…
— Je raconte ça aux gens pour qu’ils n’essaient pas de m’en dissuader. J’ai parfaitement l’intention de m’y rendre ainsi qu’au World Trade Center. Et je ne changerai d’avis sur aucun des deux. Quel âge avais-tu quand tu as su que tu voulais devenir historienne ?
— Quatorze ans, mais…
— Et tu veux toujours en être une, n’est-ce pas ?
— Colin, c’est différent !
— Pourquoi ? Tu savais ce que tu voulais, et je sais ce que je veux. Et j’ai trois ans de plus que toi à la même époque. Je sais que tu penses que j’éprouve une espèce d’amour juvénile, qu’à dix-sept ans, on est trop jeune pour être amoureux de quelqu’un…
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