Connie Willis - Black-out

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Oxford, futur proche. L’université est définitivement dépoussiérée : historien est devenu un métier à haut risque. Car désormais, pour étudier le passé, il faut le vivre. Littéralement.
Michael Davies se prépare pour Pearl Harbor, Merope Ward est aux prises avec une volée d’enfants évacués en 1940, Polly Churchill sera vendeuse en plein cœur du Blitz, et le jeune Colin Templer irait n’importe où, n’importe quand, pour Polly…
Ils seront aux premières loges pour les épisodes les plus fascinants de la Seconde Guerre mondiale. Une aubaine pour des historiens, sauf que les bombes qui tombent sont bien réelles et une mort soudaine les guette à tout moment. Sans parler de ce sentiment grandissant que l’Histoire elle-même est en train de dérailler.
Et si, finalement, il était possible de changer le passé ?

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— Jamais ! Vous ne pourriez jouer aucun autre rôle que celui du duc Orsino.

Il étreignit son torse d’un geste théâtral.

— Ah ! retrouver mes vingt-cinq ans ! (Il la poussa dans l’escalier roulant.) Disparaissez, maintenant ! Vite, pour que nous puissions nous retrouver à nouveau. Dimanche soir à Notting’s Gate quand la Luftwaffe rugit. Ne m’abandonnez pas, belle dame ! Ma vie et votre réputation en dépendent !

Il se fondit dans la foule avant qu’elle ait pu lui répondre.

Elle se précipita sur le quai de la Central Line. Il était déjà 19 h 40. Je n’arriverai jamais à Euston à temps. À moins que, par quelque miracle, le train soit en retard.

Il l’était, et cela tombait bien. Les sirènes se déclenchèrent au moment même où le 19 h 55 sortait de la gare. Bien qu’ils aient échappé à cette alerte, des raids les arrêtèrent pendant la majeure partie de la nuit, et le samedi s’écoula pour l’essentiel sur des voies de garage afin de laisser passer les trains militaires, si bien que Polly rata sa correspondance à Leamington. Et il n’y aurait rien d’autre avant le lendemain matin.

— Il n’y a rien ce soir ?

L’agent du guichet secoua la tête.

— C’est la guerre, vous savez.

Si le train du matin était retardé comme celui qu’elle venait de quitter, elle ne parviendrait pas à Backbury avant lundi matin, et Merope serait partie à Oxford faire son rapport. Si elle n’était pas rentrée pour de bon.

— Y a-t-il un bus pour Backbury ?

L’agent consulta un horaire différent.

— Il y a un bus pour Hereford, et un autre qui en part à destination de Backbury demain matin à 7 heures.

Il lui faudrait s’installer pour la nuit dans la gare de Hereford, mais au moins elle serait à Backbury dimanche, et non lundi. Et, à la différence d’un train, un bus ne pouvait pas se trouver bloqué pendant des heures sur une voie d’évitement pendant le défilé d’une série de trains militaires.

Toutefois, un bus pouvait être bloqué à des passages à niveau pendant que ces mêmes transports de troupes se succédaient. Ou à des barrages, quand des officiers de la Home Guard trop zélés insistaient pour vérifier les papiers de chaque voyageur. Polly n’aurait pas dû s’inquiéter de cette nuit dans la gare. Il était presque 7 heures lorsqu’ils atteignirent Hereford.

Le bus à destination de Backbury ne fut arrêté qu’une seule fois par un train militaire, et seulement une demi-heure. Quand le conducteur annonça « Backbury ! », il était juste un peu plus de 8 heures.

— À quelle heure est le prochain bus pour le retour à Hereford ? demanda Polly alors qu’elle descendait.

— 17 h 25.

— Pardon ?

— Seulement deux bus le dimanche. C’est la guerre, vous savez.

Oui, on ne peut pas l’ignorer.

Au moins, il y avait un train au départ de Backbury. Elle se réjouit d’avoir consulté l’ABC et noté l’horaire. Le train de 11 h 19 la ramènerait à Londres bien plus vite que le bus. Si elle réussissait à se rendre au manoir et à en revenir en trois heures. Et à le trouver, pour commencer. Le conducteur s’était arrêté au milieu d’un petit ensemble de boutiques et de chaumières. Polly n’apercevait pas de manoir. Ni de gare. Elle se retourna pour interroger le conducteur.

— Pouvez-vous m’indiquer la direction du manoir ?

Il avait déjà fermé la porte et démarrait.

Je devrai demander à l’un des villageois.

Mais on n’en voyait aucun. Peut-être étaient-ils à l’église ? C’était dimanche et, même si Backbury n’avait pas de messe matinale, l’équivalent local de Mme Wyvern serait en train de fleurir l’autel. Cependant, quand elle ouvrit la porte et regarda dans le sanctuaire, elle le trouva vide.

— Hello ? appela-t-elle. Il y a quelqu’un ?

Pour seule réponse, elle distingua un sifflement distant. Maintenant, je connais la direction de la gare. Dehors, elle s’orienta grâce au bruit et au panache de fumée. Elle parvint au quai à temps pour voir un train militaire passer à toute allure.

Pourquoi allaient-ils tellement moins vite la nuit dernière ?

Elle marcha vers un bâtiment qu’il était difficile de qualifier de gare. Il n’était pas plus grand qu’une remise. Il ne servait sans doute à rien de frapper, pourtant, quand elle le fit, elle entendit tousser, puis un froissement, enfin un homme pas rasé et qui souffrait de toute évidence d’une gueule de bois – s’il avait dessoûlé – ouvrit la porte.

— Excusez-moi, monsieur, dit Polly, reculant d’un pas pour éviter qu’il ne tombe sur elle. Pouvez-vous m’indiquer la direction du manoir ?

Manoir ? répéta-t-il.

Il titubait et la lorgnait, le regard trouble. Soûl comme un cochon, pas de doute.

— Oui. Pouvez-vous me dire comment m’y rendre ?

Il fit un vague geste du bras.

— La route juste derrière l’église.

— Dans quel sens ?

— L’a qu’un sens.

Et il aurait fermé la porte si Polly ne l’avait pas saisie et maintenue ouverte.

— Je cherche quelqu’un qui travaille au manoir. Une des servantes. Elle s’appelle Eileen. En charge des évacués. Elle a les cheveux roux et…

— Évacués ? grogna-t-il, ses yeux s’étrécissant. Vous êtes pas là pour ces maudits Hodbin, hein ?

Hodbin ? C’était le nom des évacués qui avaient donné tant de fil à retordre à Merope.

— Z’avez pas intérêt à les ramener !

— Je n’en ai pas l’intention. Eileen travaille-t-elle toujours au manoir ?

Mais il avait déjà claqué la porte, et l’huis aurait écrasé sa main si Polly ne l’avait pas enlevée à la dernière seconde.

— Est-ce que c’est loin ? demanda-t-elle à travers la porte.

Elle n’obtint pas de réponse.

Ça ne peut pas être si loin que ça. Merope faisait le trajet à pied.

Polly retourna à l’église, puis s’engagea sur la route qui s’ouvrait derrière. C’était davantage un chemin qu’une route, et du genre qui se termine en cul-de-sac en plein milieu d’un champ, mais rien d’autre ne ressemblait à un axe routier, et il ne menait qu’au sud. Par ailleurs, il était défoncé par des traces de pneus, et Merope avait pris des leçons de conduite.

Si l’on en croyait les dires de l’agent de la gare, cependant, les Hodbin n’étaient plus là, et si les évacués étaient rentrés chez eux, Eileen serait partie aussi. Néanmoins, les propos d’Eileen à leur sujet laissaient penser que les Hodbin pouvaient avoir été renvoyés chez eux en représailles. Ou transférés dans une maison de redressement.

Le chemin longeait une prairie avant de s’enfoncer sous les bois. Une odeur de pluie flottait dans l’air. La pluie. Il ne manquerait plus que ça. Il vaudrait mieux que Merope soit là, après tout ce périple.

Où se cachait ce manoir ? Polly avait déjà parcouru près de deux kilomètres et elle n’apercevait pas de portail, ni de véhicule susceptible de la prendre en stop malgré les innombrables traces de pneus. Seulement des bois. Encore des bois.

Merope – correction, Eileen : il fallait se souvenir de l’appeler Eileen – avait dit que sa fenêtre de saut s’ouvrait dans la forêt, à proximité du manoir. Si Eileen était absente, peut-être Polly réussirait-elle à trouver le site. Évidemment, en cas de retour définitif, il ne serait plus fonctionnel.

Le chemin s’incurvait à gauche. Cela ne peut pas être beaucoup plus loin , se disait Polly qui peinait entre les ornières. Il n’y avait toujours aucun signe du manoir dans le bois, ni de quelque maison, d’ailleurs, et le chemin sembla se rétrécir. Devant, du fil de fer barbelé clôturait les arbres.

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