L’odyssée du Thiouss, l’astronef qui revint, avait duré vingt ans. Ils étaient sortis de l’hyperespace près d’un système solaire qui restera à jamais inconnu, gravitant autour d’une étoile du type G 2. Onze planètes se présentèrent, dont deux étaient habitables par l’homme, mais peuplée seulement d’animaux. Le ciel, complètement différent de celui que nous voyions de la Terre, fourmillait d’étoiles géantes. Pendant cinq ans, ils reconnurent ce système, puis songèrent au retour. Les calculs minutieusement faits, ils passèrent dans l’hyperespace.
Ils émergèrent dans un noir presque absolu, entre deux galaxies, la nôtre et celle d’Andromède. De toute évidence, quelque chose n’allait pas. Ils pointèrent alors vers notre galaxie, firent à nouveau « le saut ». Cette fois, ils émergèrent si près d’une étoile géante qu’ils furent obligés de repasser immédiatement dans l’hyperespace. Et cela continua ainsi, pendant des années, coupées d’arrêts sur les planètes hospitalières trouvées çà et là. Ce n’est que par un hasard que l’équipage, décimé par les maladies attrapées sur des mondes inconnus, et par l’étrange nourriture qu’ils y trouvèrent, revit un jour la Terre. Les données recueillies par eux furent analysées, et la conclusion fut que, pour l’hyperespace, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, et que la notion de direction n’a que peu de sens. Ainsi finit momentanément un des plus vieux rêves des hommes, aller aux étoiles ! Oh, nous n’abandonnâmes pas tout espoir, et les recherches furent poursuivies. Mais nous n’avions pas encore trouvé quand survint le Grand Crépuscule.
Quant aux autres astronefs, nul n’en eut plus de nouvelles. Avaient-elles été détruites sur quelque monde ignoré ? Leurs équipages, lassés de chercher en vain la voie du retour, s’étaient-ils établis sur quelque planète ? Nous n’eûmes, plus tard, qu’une réponse incomplète.
Ne voulant pas nous avouer vaincus, nous nous rabattîmes sur les cosmomagnétiques. Ils avaient été inventés — ou plutôt retrouvés, car les Drums les possédaient — en l’an 3910. Leur source d’énergie était ce que nous avions, faute d’un meilleur nom, appelé le cosmomagnétisme, car certains effets rappelaient de loin le magnétisme. C’est ce cosmomagnétisme qui est la force profonde de cohésion des univers aussi bien que des atomes. Notre univers est sillonné de lignes de forces de ce type, et on peut, en les utilisant, atteindre des vitesses de l’ordre des huit-dixièmes de la vitesse de la lumière. Cela revient, si vous voulez, à créer un cosmo-aimant unipolaire (image très grossière, mais qui suffira) et ainsi … [1] Le bas de la page manque, coupé aux ciseaux.
On revint donc au vieux projet Bramug. En 4153, un cosmomagnétique accéléra au sein du système solaire, et en passant l’orbite d’Hadès il atteignait déjà la moitié de la vitesse de la lumière. Il était dirigé vers la plus proche étoile, qui, en mon temps, n’est plus Proxima Centauri, comme de vos jours. Compte tenu du temps nécessaire pour les accélérations et les décélérations, il devait revenir douze ans plus tard. Il revint moins de cinq ans après, en 4158, au début de l’année. Et nous eûmes vite l’explication de ce nouvel échec. Chaque étoile est entourée d’un puissant champ cosmomagnétique qui s’étend jusqu’au champ de l’étoile voisine. Au contact des deux champs se place une sorte de barrière de potentiel, qui, sans action sur les rayonnements, oppose un obstacle infranchissable aux corps matériels qui ne possèdent pas une certaine masse. Notre astronef fut doucement freinée. Tous les efforts pour franchir la barrière furent vains.
Là aussi, il y a certainement un moyen de tourner cet obstacle, puisque les astronefs des Drums, à peine plus massifs que les nôtres, l’avaient franchi. Mais là encore nous n’avions pas trouvé le moyen quand survint le Grand Crépuscule, et c’est en y travaillant que se produisit l’accident qui me jeta chez vous.
Les calculs démontrèrent que pour franchir cette barrière, il aurait fallu un astronef d’une masse légèrement inférieure à celle de la Lune ! Du même coup, un vieux problème était complètement résolu : les comètes, loin d’être des « vagabondes de l’infini », comme on l’avait supposé pour certaines d’entre elles, n’échappaient jamais au champ cosmomagnétique solaire.
Il était donc impossible, jusqu’à ce que nous retrouvions le procédé des Drums, ou un autre, de sortir de notre prison cosmique. Si nous avions pu atteindre presque la vitesse de la lumière, l’accroissement de la masse de l’astronef eût été suffisante.
Mais aux vitesses atteintes, cet accroissement était trop faible. D’un autre côté, une masse de la valeur de celle de la Lune, même animée d’une vitesse dérisoire, eût aisément passé. Mais construire un tel engin, et le mouvoir, était hors de notre portée à cette époque où nous n’avions encore qu’imparfaitement maîtrisé les forces cosmomagnétiques. Nous renonçâmes donc à la conquête de l’univers, provisoirement. Nous n’avions pas fait de progrès en 4602.
Je dois donner maintenant quelques détails sur notre organisation, très différente de la vôtre. Dans l’ensemble, au point de vue géographique, la face de la Terre n’avait pas beaucoup changé. Il existait toujours deux grandes masses continentales, l’Eurasie-Afrique d’une part, avec des contours peu modifiés, les Amériques d’autre part, plus massives qu’aujourd’hui, le golfe du Mexique ayant disparu. Mais il existait — existera — en plus une grande île, dans l’Atlantique central, très allongée du nord au sud, avec comme épine dorsale une basse chaîne de montagnes. Elle occupait l’emplacement d’une partie des hauts-fonds relatifs de votre Atlantique, et c’est sur cette île, apparue probablement assez brutalement au cours de la sixième glaciation, qu’avait survécu l’humanité. La population totale de la Terre était de cinq milliards d’habitants, mais sa répartition était complètement différente de celle d’aujourd’hui. Elle se concentrait surtout en 172 villes dont la plus peuplée, Huri-Holdé, située à peu près sur l’emplacement du Casablanca actuel, comptait 90 000 000 d’âmes. Par contre, de larges espaces restaient vides à la surface de la Terre, non cultivés, et y vivaient en abondance les bêtes sauvages qui avaient survécu aux cataclysmes et à l’extermination des civilisations antéglaciaires, les vôtres ! Nous tirions en effet notre nourriture partiellement de champs cultivés, partiellement de la mer, et surtout de la photosynthèse artificielle.
Huri-Holdé poussait ses habitations à 1 000 mètres de haut et 450 mètres de profondeur. Elle comprenait 580 niveaux — vous diriez étages — et couvrait un cercle irrégulier d’environ 75 kilomètres de diamètre. Les habitations n’étaient pas entassées les unes contre les autres, et de grands parcs, à différents niveaux, l’aéraient. À la limite nord, dominant la mer, se situait le palais du Conseil, siège du conseil des Maîtres, du gouvernement, et, dans les niveaux inférieurs, des universités. Entre ce palais et la mer s’étendait, sur plusieurs kilomètres, un parc qui contenait nos stades et le musée d’Art.
Notre organisation sociale vous paraîtrait curieuse et impossible. En réalité, la Terre abritait deux peuples différents, les tekns et les trills.
Les tekns, infime minorité, comprenaient les savants, les chercheurs, les ingénieurs, les médecins des hôpitaux, certaines catégories d’écrivains. Je me suis souvent demandé si ce terme ne dérivait pas lointainement de votre mot « technicien ». Ce n’était nullement une caste héréditaire ou fermée. Chaque enfant, selon ses aptitudes et ses goûts, était classé, vers l’âge de 16 ans, parmi les tekns ou les trills. Un trill qui, plus tard, montrait des aptitudes pour les sciences, pouvait demander sa reclassification comme tekn. Le cas était cependant rare.
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