« Ne pourrions-nous pas nous servir de cette histoire de sérum dont parlait le docteur ?
— Je ne crois pas. Cette technique m’est assez familière et depuis le temps que j’habite en vous j’ai eu le temps de découvrir que votre sérum sanguin peut parfaitement servir, sauf dans un seul cas. Nous avons encore le temps de décider si nous l’emploierons ou non. Si nous ne pouvions y parvenir, je serais à même de faire des explorations extrêmement rapides grâce à mon contact personnel.
— C’est sans doute vrai. Vous pourriez peut-être me laisser faire, je ferai le sondage moi-même.
— C’est une idée, pensez-y. Savez-vous quand le jeune Teroa doit quitter l’île et comment on pourrait l’approcher ?
— Le navire vient ici tous les huit jours ; il sera donc là la semaine prochaine. Teroa repartira avec, en tout cas pas avant, car le Beam n’est pas dans les parages.
— Le Beam ?
— C’est un yacht appartenant à l’un des gros pontes de la compagnie qui vient voir de temps à autre ce qui se passe ici. Je suis parti à bord l’automne dernier et c’est pourquoi nous étions si loin de l’île lorsque vous avez regardé pour la première fois aux alentours. Mais j’y pense tout à coup, ce bateau ne risque pas de venir, on l’a mis en cale sèche à Seattle au début de l’hiver. On veut lui installer sous la quille un système pour plonger de l’intérieur du bateau, et il est toujours là-bas. Je suppose que vous allez me demander maintenant qui a pu quitter l’île pendant notre absence ?
— Exact, et je vous remercie d’avoir pensé à soulever cette question assez rapidement. »
Si le Chasseur avait pu sourire, nul doute qu’il en eût profité largement.
Bob ne possédait pas de montre, mais était à peu près certain que l’heure de la sortie de l’école approchait et il se dirigea dans cette direction. Étant un peu en avance, il dut attendre devant la grille mais ses amis vinrent le rejoindre peu après, sans chercher à dissimuler l’envie qu’ils ressentaient en voyant Bob.
« Ne vous occupez pas de la chance que j’ai de ne pas aller en classe, dit Bob. Mettons-nous plutôt au travail pour arranger le bateau. Lundi prochain ce sera mon tour d’être avec vous et j’aimerais bien m’amuser un peu avant.
— En tout cas, dit Hay, on peut dire que tu nous as apporté la chance. Cela fait des mois que l’on cherche une planche pour réparer le bateau et personne n’a rien trouvé jusqu’à ton arrivée. Ne croyez-vous pas, les gars, qu’il vaudrait mieux aller installer cette planche dans le bateau pendant que la chance est avec nous ? »
Un chœur s’éleva pour acquiescer à cette proposition, puis ce fut la ruée générale pour prendre les bicyclettes. Bob qui revenait de chez le médecin s’installa sur le cadre de celle de Malmstrom qui l’amena jusque chez lui où il put prendre son vélo et quelques outils. Malmstrom et Colbry en firent autant, et bientôt tout le monde se retrouva, pieds nus et pantalons retroussés à l’endroit où une petite rivière serpentant dans le sable servait de trop-plein au lagon qui se vidait par là. Le bateau était toujours à sa place avec la planche déposée la veille. Ils laissèrent tomber leurs outils. Les garçons étaient heureux de voir que leur découverte était encore là, car le bois plat était précieux dans cette partie de l’île. Bob vit tout de suite qu’on ne lui avait pas menti en déclarant que Colby était passé à travers le fond du bateau, en effet une des grandes planches du fond manquait.
Les connaissances en menuiserie des garçons étaient assez rudimentaires, mais suffisantes, néanmoins, pour une pareille réparation. Après quelques tâtonnements mais avec beaucoup d’adresse ils finirent par obtenir un résultat à peu près satisfaisant.
Ils poussèrent le bateau à l’eau, allèrent chercher les avirons dissimulés dans les buissons et toute la troupe embarqua. L’idée leur vint bien qu’il serait plus prudent de laisser gonfler la nouvelle planche dans l’eau et de voir si le bateau était vraiment étanche, mais tous étaient d’excellents nageurs et leur impatience était trop grande pour qu’ils s’arrêtassent à de semblables détails. Les joints fuyaient bien un petit peu au fond, mais la demi-noix de coco qui servait d’écope venait facilement à bout du trop-plein d’eau. Les deux plus jeunes de la bande étaient chargés de l’évacuation de l’eau pendant que Bob et Tout-Petit ramaient et que Rice tenait le gouvernail. Bob s’aperçut soudain qu’il manquait quelque chose à la proue du navire. Et en réfléchissant il comprit qu’un membre de la bande était absent, c’était le chien. Il aurait dû s’en apercevoir avant et demanda à Rice :
« Où est Tip ? Je ne l’ai pas vu depuis mon arrivée.
— Personne n’en sait rien, répondit le rouquin. Cela fait déjà un certain temps qu’il a disparu… c’était… oui, c’était bien avant Noël. On l’a cherché partout. Je crains qu’il n’ait eu envie d’aller à la nage dans une de ces petites îles où Norm a son réservoir. Tu te souviens qu’on allait souvent là-bas sans lui. Il a peut-être été boulotté par un requin, quoique cela semble peu vraisemblable. D’abord il n’y a pas loin d’ici à l’autre île et d’autre part je n’ai jamais vu un requin si près de la côte. On dirait qu’il s’est évanoui dans l’atmosphère.
— C’est étrange. Avez-vous cherché dans les bois ?
— Un peu ; tu sais que ce n’est pas commode d’aller dans la jungle si l’on s’écarte des chemins. De toute façon il nous aurait entendus appeler. J’ai beau réfléchir je ne vois pas ce qui aurait pu le tuer là-bas. »
Bob acquiesça et reprit à mi-voix, comme se parlant à lui-même :
« C’est pourtant vrai si on y réfléchit, il n’y a même pas de serpent. » Puis il ajouta un peu plus fort :
« Qu’est-ce que c’est que cette histoire de réservoir de Norm ? Il veut faire de la concurrence à la société d’ici ?
— Pas de danger, répliqua Hay en s’arrêtant un instant d’écoper. J’ai nettoyé une des mares qui se trouvent dans les récifs non loin de la plage et j’ai mis une petite muraille autour. J’ai commencé à y jeter un tas de poissons dans le dessein de faire un aquarium. Au début je faisais ça pour m’amuser, mais beaucoup de journaux cherchent des photos de poissons. J’en ai envoyé en couleurs, tout le monde avait l’air content. L’ennui est que rien ne semble vouloir vivre très longtemps dans mon aquarium. Même les coraux y meurent.
— Tu n’as pas dû pouvoir y aller depuis que le bateau est cassé. Si nous y faisions un tour ?
— Oh si ! J’y allais tous les deux jours à la nage avec Hugh ou Tout-Petit, et j’ai pu me rendre compte que mes poissons n’allaient pas très bien. Vous croyez qu’on a le temps d’y aller et de revenir avant le dîner ? On a passé pas mal de temps sur le bateau et le soleil commence à descendre. »
Tous les garçons levèrent les yeux pour voir si c’était vrai. Leurs parents avaient depuis longtemps abandonné l’idée de les empêcher d’aller explorer les lagons derrière le récif, pourtant par une sorte d’accord tacite les heures de repas étaient respectées. Sans plus de commentaires Rice amorça un virage et mit le cap sur le fond de la crique. Les rameurs se penchèrent un peu plus sur leurs avirons.
Bob ramait sans fixer son esprit sur un point particulier. Tous les spectacles qui s’offraient à lui semblaient intéressants, mais aucun n’avait de rapport précis avec le problème qui l’agitait. Le Chasseur estimait que Teroa devait être examiné, mais il n’avait pas de soupçons bien nets. Cette décision était uniquement due au départ prochain du garçon. Il se souvint alors de la conversation qu’il avait eue avec Charlie le matin même et se demandait si le jeune Polynésien avait pu trouver Rice à l’heure du dîner.
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