Il prit la perche que lui tendit Colby et disparut de nouveau sous l’eau. L’objet qu’il essayait d’atteindre se trouvait à peu près à un mètre cinquante de la surface, mais cette profondeur augmentait régulièrement avec le passage incessant des vagues.
À plusieurs reprises Rice remonta pour respirer sans avoir pu faire bouger l’objet mystérieux. Finalement Bob plongea avec lui pour l’aider. Grâce au Chasseur, Bob jouissait d’un avantage supplémentaire sur ses camarades. En accentuant la courbure de sa rétine, le Chasseur permettait à Bob de voir à peu près aussi bien dans l’eau que dans l’air. Il put donc se rendre compte très rapidement de l’apparence de l’objet que Rice essayait d’atteindre. Cependant il ne put attacher à un souvenir ce qu’il voyait. C’était une demi-sphère de métal sombre, de vingt à vingt-cinq centimètres de diamètre et d’un centimètre d’épaisseur, dont le côté plat était à demi protégé par une plaque de même métal. L’objet était suspendu à une branche de corail à quelques centimètres du fond, un peu comme une casquette accrochée à un portemanteau. L’autre moitié avait dû tomber plus loin. Rice s’efforçait de ramener la demi-sphère avec sa perche. Après quelques minutes de vains efforts, ils remontèrent respirer une fois de plus et décidèrent de mettre au point une tactique plus rationnelle. Bob irait jusqu’au fond du petit canal et glisserait le bout de la perche sous l’objet en question. À son signal, Rice prendrait appui sur son pied et pousserait de l’autre pour faire tomber le gros fragment de corail qui bloquait la demi-sphère. Le premier essai ne donna rien. Bob n’avait pas poussé la perche assez loin et elle glissa sur le côté. Le second, en revanche, réussit même trop bien. L’objet en métal sortit très facilement de l’anfractuosité où il était coincé et glissa aussitôt vers un endroit plus profond. Bob, qui commençait à manquer de souffle, revint à la surface. Il respira profondément et s’apprêtait à commenter le résultat avec Rice lorsqu’il s’aperçut que la tête aux cheveux flamboyants avait disparu. Il supposa un instant que son camarade était retourné au fond après avoir renouvelé sa provision d’air, mais à ce moment-là le niveau de l’eau baissa brusquement et la tête de Rice apparut.
« Au secours ! Mon pied est… »
Il ne put en dire davantage car l’eau venait de remonter, mais la situation était extrêmement claire. Bob plongea immédiatement, coinça son pied au fond et essaya de soulever le gros morceau de corail qui était tombé sur le pied de Rice dès que la sphère de métal avait été enlevée. Il ne réussit pas mieux qu’auparavant et, très inquiet, remonta à la surface au moment ou l’eau baissait de nouveau.
« Ne parle pas ! Respire ! » hurlait Malmstrom, ce qui était à peu près inutile, car Rice était trop occupé à aspirer de l’air frais dès qu’il le pouvait pour songer à autre chose. La perche avait disparu et Bob la chercha rapidement autour de lui. Il la vit flottant sur l’eau a quelques mètres et plongea aussitôt pour la ramener. Sans mot dire Colby s’était éloigné vers l’embarcation et, au moment où Bob nageait en poussant la perche devant lui, le jeune garçon revenait en portant le seau que Hay avait mis tout à l’heure dans le bateau.
Tout se passa alors si rapidement que ni Malmstrom ni Hay n’eurent le temps de comprendre ce qui arrivait. Avec des yeux ronds ils contemplaient Hugh Colby et son seau. Colby ne perdit pas son temps en vaines explications et se précipita vers le bord de l’eau à l’endroit où Rice allait apparaître. Au moment où le niveau baissait, il posa vivement à l’envers le seau sur la tête de son camarade :
« Tiens-le bien ! » cria-t-il, sortant de son mutisme pour la première fois depuis le début de la promenade.
Rice comprit heureusement sur-le-champ ce qu’on lui conseillait et au moment où l’eau remontait pour le submerger il découvrit avec satisfaction que son visage était à présent entouré d’un plein baquet d’air. Bob qui était au fond à essayer une fois de plus de bouger le morceau de corail, n’avait pas vu ce qui s’était passé et eut du mal à en croire ses yeux lorsqu’il comprit le stratagème de Rice.
« Veux-tu que l’on descende ? demanda Hay très inquiet.
— Je crois que cette fois je vais y arriver, répliqua Bob; ce qui m’inquiétait le plus c’était de ne pas savoir s’il pourrait tenir le coup. Maintenant tout ira bien. Laisse-moi souffler encore une minute et je redescends. »
Il se reposa quelques instants pendant que Hay hurlait des encouragements à son camarade dont la tête était emprisonnée dans le seau. Des phrases étaient hachées, car il fallait profiter du moment où l’eau était basse. Robert trouva le temps de murmurer au Chasseur :
« Vous comprenez pourquoi je ne voulais pas venir seul ici ! » Puis s’accrochant d’une main ferme à la perche, il plongea une fois de plus. Bob pu trouver alors un meilleur endroit pour faire levier et il appuya de toutes ses forces. Le morceau de corail se souleva lentement et Bob voyait déjà la fin de cette aventure lorsque la perche-cassa. Un éclat pointu lui entama profondément la poitrine. Le Chasseur ne pouvait lui en vouloir, car la blessure provenait d’un accident reçu en accomplissant son devoir, et il referma les bords de la plaie. Bob revint à la surface.
« J’ai l’impression qu’il va falloir s’y mettre tous. J’ai réussi à le faire remuer, mais la perche a cassé. Vous devriez aller chercher les autres bouts de bois ou plutôt les deux avirons et tout le monde s’y mettrait.
— Mieux vaudrait peut-être aller chercher une barre de mine, proposa Malmstrom.
— Mieux vaudrait que nous en venions rapidement à bout, répliqua Bob d’un ton sec. La marée monte et le petit truc du seau ne tiendra que tant que l’eau descendra au-dessous des bords. Allez, dépêchez-vous. »
Quelques secondes plus tard les quatre garçons étaient dans l’eau, entourant leur camarade, chacun muni ou d’un bout de bois ou d’un aviron. Bob plongeait constamment afin de placer correctement les extrémités des leviers pendant que les autres s’apprêtaient à appuyer de toutes leurs forces à son signal. Personne ne savait évidemment qu’il pouvait voir sous l’eau, mais tous acceptaient d’obéir à ses ordres pour la simple raison qu’il avait pris la direction des opérations à un moment où ils ne savaient que faire, et d’autre part ce n’était vraiment pas le moment de discuter de question de préséance.
Bien que gros, le bloc se souleva sous les efforts conjugués de tous les garçons, qui faillirent casser un aviron. Ils tinrent le bloc en équilibre la fraction de seconde nécessaire à Rice pour enlever rapidement son pied. Avec l’aide de ses camarades, il parvint à se hisser sur le rocher et s’assit pour masser son pied endolori.
En dépit de son hâle, Rice était pâle et quelques minutes se passèrent avant qu’il reprît sa respiration normale et que son pouls devienne plus régulier. Il put alors se mettre debout. Les autres garçons avaient eu au moins aussi peur que lui et personne ne proposa de chercher à repêcher l’objet de métal qui était à l’origine de l’incident. Dix minutes plus tard, Rice déclara qu’il serait dommage de s’être donné tant de mal pour rien. Bob releva le gant et plongea une fois de plus. L’objet n’était plus visible parmi les coraux et les algues qui tapissaient le fond du lagon. Bob se piqua les doigts à un oursin et estima qu’il était inutile de pousser plus avant les recherches. Rice était extrêmement déçu de ne rien rapporter de sa promenade, lui qui mettait un point d’honneur à toujours montrer quelque chose à ses parents en revenant de ses explorations. Il ne pourrait que leur raconter l’aventure dont il avait failli être victime, ce qui était peu.
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