— Que vouliez-vous que je fasse d’autre ? murmura Bob d’une voix imperceptible afin que les autres ne pussent entendre.
— Je n’affirme rien, évidemment, mais trouve curieux que votre accident, qui aurait pu être grave, ait suivi si rapidement votre conversation. Et n’oubliez pas que toutes vos paroles ont été prononcées en présence de gens parmi lesquels se trouve un de ceux qui ont le plus de chance de servir d’hôte au fugitif. »
Bob réfléchit quelques instants. Il n’avait jamais envisagé auparavant que sa mission pût le mettre personnellement en danger. Avant qu’il n’ait eu le temps de songer à cette question, le Chasseur ajouta :
« En examinant d’aussi près que vous l’avez fait ce poisson mort, vous pouviez très certainement attirer l’attention d’un être aussi attentif que doit être notre ennemi.
— Mais Norman l’a regardé aussi longtemps que moi, répondit Bob.
— Je l’ai remarqué. »
Le Chasseur ne s’étendit pas davantage sur cette question, laissant à son hôte le soin de juger des conséquences qu’elle pouvait entraîner.
« Et que vouliez-vous donc que je fasse ? Comment le fugitif pourrait-il être à l’origine de ma chute ? Vous m’avez dit vous-même qu’il vous était impossible de me faire faire ce que je ne voulais pas. Est-il donc très différent de vous ?
— Non. Sans aucun doute, il n’a pas pu obliger quelqu’un à vous pousser, au sens physique du terme. Néanmoins, il est peut-être arrivé à persuader un de vos camarades d’agir suivant sa volonté. Souvenez-vous que vous avez déjà fait beaucoup pour moi.
— Vous m’avez assuré qu’il ne se serait pas risqué à révéler sa présence.
— À mon avis, cela aurait été dangereux pour lui, mais peut-être a-t-il malgré tout voulu courir sa chance. Il est sans doute parvenu à décider son hôte en lui racontant une histoire plus ou moins vraisemblable. C’était facile, car rien ne pouvait laisser supposer qu’il mentait.
— Je ne vois pas très bien où il aurait pu en venir en me faisant tomber. Tout le monde sait que je nage et en admettant même que je me sois noyé, ma disparition n’aurait pas arrêté vos recherches.
— C’est tout à fait exact, mais il pouvait fort bien souhaiter simplement que vous soyez blessé assez gravement pour que je trahisse ma présence en vous portant secours. En supposant qu’il ait raconté une histoire fantastique à l’un de vos camarades, je ne crois quand même pas que l’un d’eux aurait accepté de gaieté de cœur de vous faire du mal, et à plus forte raison de vous tuer.
— Vous croyez donc que Charles Teroa s’efforce d’obtenir cette place qui lui ferait quitter l’île dans l’unique but de plaire à celui que nous recherchons ?
— C’est une possibilité que nous ne devons pas négliger. Il faut absolument que nous trouvions un moyen de l’examiner avant qu’il ne s’en aille… ou alors il faut l’empêcher de partir. »
Bob ne fit guère attention à cette dernière phrase. Tout d’abord, il l’avait déjà entendue et surtout, une idée venait de germer dans son esprit. Il en était si troublé que ses camarades n’auraient pas manqué de s’apercevoir du changement qui s’opérait en lui s’ils l’avaient vu de face.
Une simple phrase du Chasseur, prononcée quelques minutes plus tôt, était responsable de cette transformation. Bob n’y avait pas attaché grande importance, mais à présent l’idée s’imposait à lui avec d’autant plus de force qu’il n’y avait pas songé précédemment. Le Chasseur avait en effet déclaré que le criminel pouvait fort bien abuser de la confiance de son hôte en lui racontant une histoire que personne n’était en mesure de vérifier. Et Bob songea brusquement que lui non plus n’avait aucun moyen de s’assurer de la véracité des dires du Chasseur. Dans l’état actuel des choses, la créature qu’il portait en lui pouvait très bien être un criminel s’efforçant de se soustraire aux légitimes poursuites d’un représentant de l’ordre.
Il allait ouvrir la bouche pour exposer ses doutes, mais son bon sens l’en empêcha à la dernière minute. Il ne pouvait compter que sur lui pour être fixé sur ce point et jusque-là, il devait paraître aussi confiant et dévoué qu’auparavant.
Au fond de lui, Bob ne mettait pas sérieusement en doute la parole du Chasseur. En dépit de leur façon très limitée de correspondre entre eux, l’attitude même du Chasseur et son comportement avaient donné au jeune garçon une image très complète de la personnalité du Chasseur, à tel point que Bob ne s’était jamais interrogé avant sur les véritables motifs de son occupant invisible. Néanmoins, le doute existait et d’une façon ou d’une autre il faudrait donner une réponse à la grave question qui demeurait en suspens.
Bob en était là de ses réflexions lorsque l’embarcation atteignit le fond de la crique et il ne dit rien ou presque pendant que ses camarades et lui tiraient le bateau au sec et le dissimulaient sous les buissons avec les avirons.
Son mutisme ne suscita aucun commentaire. Tous les garçons étaient morts de fatigue et les deux accidents de l’après-midi les avaient profondément remués. Ils traversèrent rapidement les petits canaux d’évacuation pour aller retrouver leurs bicyclettes et chacun rentra chez soi après avoir décidé de se retrouver au même endroit le lendemain matin.
Une fois seul, Bob put parler un peu plus librement avec le Chasseur.
« Chasseur, dit-il. Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous êtes ennuyé à l’idée que mes paroles et mon comportement puissent éveiller les soupçons de mes camarades. Si, par hasard, l’autre tente quelque chose contre nous, ce serait la meilleure façon de découvrir enfin une preuve de sa présence. Je crois même que ce serait la meilleure façon de le découvrir. Je pourrais servir d’appât. Le seul moyen de retrouver une aiguille dans une botte de foin est encore de prendre un aimant.
— J’y ai déjà pensé, mais c’est trop dangereux.
— Comment voulez-vous qu’il vous atteigne ?
— Je sais très bien que personnellement je ne risque rien. C’est pour vous que je m’inquiète. Je ne sais si votre idée a pour cause la bravoure de l’homme mûr ou la folle témérité de la jeunesse, mais je voudrais que vous vous persuadiez une fois pour toutes que je me refuserai toujours à vous exposer au moindre danger tant que je pourrai faire autrement. »
Bob ne répondit pas sur-le-champ. Et si le Chasseur se rendit compte de la signification de l’effort que fit Bob pour refréner un sourire de satisfaction, il n’en laissa rien paraître. Une autre question brûlait les lèvres de Bob, qui voulait absolument y apporter une réponse et il demanda en s’engageant sur le chemin menant à la maison de ses parents :
« Dans le bateau, vous avez vaguement parlé de me paralyser les muscles de la langue. Pouvez-vous vraiment le faire ou cherchiez-vous simplement à me bourrer le crâne ? »
Le Chasseur ne connaissait pas cette expression, mais parvint néanmoins à comprendre le sens de la phrase.
« Je peux très bien paralyser n’importe quel muscle de votre corps en agissant sur les nerfs moteurs. En revanche, j’ignore totalement combien de temps cela peut durer, car je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire l’expérience sur vous, ni sur aucun autre être humain.
— Eh bien, essayez ! C’est le moment », déclara Bob en s’arrêtant, à demi appuyé sur le guidon de sa bicyclette.
« Allez donc vous mettre à table, il est temps. Et cessez de poser des questions idiotes ! »
Bob reprit sa marche, souriant franchement à présent.
Читать дальше