— Et tu gardais tout cela pour toi ? »
Teroa essaya d’attraper Bob qui fit un pas rapide en arrière.
« Il m’avait affirmé que c’était préférable… que tu ne le saches pas.
— Ne parle à personne de ce qui m’arrive, insista Teroa. Tu m’entends, je ne veux pas. Je vais maintenant chez Ray reprendre deux ou trois choses qu’il m’a empruntées il y a déjà quelque temps. Tu viens avec moi ? »
Bob leva les yeux au ciel, mais le Chasseur n’exprima aucune opinion particulière et il dut se décider lui-même. Il refusa et regarda s’éloigner, parmi les hangars, la silhouette du futur marin, puis revint lentement sur la route.
« C’était la seule chance d’avoir un bateau, dit-il au Chasseur. Nous allons maintenant être obligés d’attendre que les copains sortent de l’école, et peut-être réussirons-nous à en emprunter un. De plus, en mettant les choses au pire, on ira plus vite s’il faut réparer le nôtre. Je n’ai d’ailleurs pas eu le temps de l’examiner de très près en portant la planche hier soir »
Le Chasseur, préoccupé, résuma la situation :
« Ce garçon à qui vous venez de parler va prendre un bateau. Il a déjà quitté l’île une fois depuis mon arrivée.
— Forcément. Vous avez entendu qu’il avait l’intention de se rendre chez Ray au réservoir n° 4 pour récupérer ses affaires. Le garçon dont il parle travaille sur l’une des plates qui servent à évacuer les résidus des réservoirs. Charlie veut rassembler tout ce qui lui appartient avant de quitter l’île. »
L’attention du Chasseur fut immédiatement alertée et il demanda : « Comment ? Quitter l’île ? Le type de la plate veut s’en aller ?
— Non ; Charlie, vous n’avez pas entendu ce qu’il disait ?
— Je l’ai entendu parler d’un nouveau job, c’est tout. Est-ce pour cela qu’il doit partir ?
— Bien sûr, Charlie est le fils du commandant de ce navire sur lequel il s’était caché dans l’espoir de trouver un emploi à bord. Vous ne vous souvenez donc de rien ? Son père nous a mis au courant le premier soir de notre installation à bord.
— Vous avez en effet parlé à un marin, répondit le Chasseur, mais je ne savais pas et ne sais pas encore ce que vous vous êtes dit alors, car vous parliez le pidgin des îles.
— C’est vrai, j’avais oublié », répondit Bob qui resta quelques instants à mettre de l’ordre dans ses pensées puis raconta l’histoire aussi brièvement et aussi clairement que possible. Le Chasseur réfléchit à son tour et dit : « Ce Charles Teroa a donc quitté l’île une fois depuis mon arrivée et il va s’en aller sous peu. Votre ami Norman Hay l’a quittée également. Je vous en prie, n’oubliez pas de me dire si, d’après vous, d’autres personnes sont parties entre temps.
— Il n’y en a pas d’autre. À moins que vous ne vouliez compter le père de Charlie, le commandant du bateau, mais il ne descend que très rarement à terre. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi le voyage des deux garçons peut avoir de l’importance. Vous savez comme moi qu’ils n’ont pas mis les pieds à terre, et en admettant que votre criminel se soit trouvé avec eux il n’aurait pu se sauver qu’en pleine mer.
— Vous avez peut-être raison, mais en tout cas le garçon que vous venez de voir va s’en aller. Il faut l’examiner avant son départ ; essayons donc de trouver un moyen pour y parvenir. »
Pour la première fois depuis le début de la journée Bob oublia complètement ses coups de soleil en remontant chez lui.
Au cours du déjeuner Bob s’efforça de dissimuler ses soucis. Le matin même sa mère avait cru trouver un moyen d’éclaircir une fois pour toutes le problème qui, d’après elle, devait le préoccuper. Depuis l’arrivée de son fils elle se demandait comment elle pourrait parvenir à le décider à aller voir le docteur de l’île. Elle venait de comprendre quel prétexte merveilleux allait être le coup de soleil. Elle n’eut pas l’occasion d’en parler à son mari, car Bob était rentré le premier à la maison mais elle était sûre que M. Kinnaird serait de son avis. Le repas touchait à sa fin lorsqu’elle mit le sujet sur le tapis.
Elle s’attendait à une discussion serrée et avait déjà préparé bon nombre d’arguments plus convaincants les uns que les autres. En effet Bob avait un peu honte d’avoir attrapé des coups de soleil si violents et souhaitait évidemment que cette petite aventure ne s’ébruitât pas. Mme Kinnaird fut donc profondément étonnée lorsque son fils accepta sans le moindre murmure de se rendre chez le médecin l’après-midi même comme elle venait de le lui proposer.
Bob avait souvent réfléchi aux questions que le Chasseur avaient laissées sans réponse. En particulier celles qui avaient trait aux détails qui lui permettraient de reconnaître le fugitif. En outre, le Chasseur n’avait jamais dit à Bob ce qu’il ferait une fois sa proie découverte. Si le Chasseur pouvait se débrouiller tout seul, parfait, mais Bob avait de plus en plus l’impression que son invité invisible ne savait que faire. En conséquence Bob estimait très urgent d’apporter lui-même une solution. Et en premier lieu, il devait, pour y parvenir, connaître tout ce qui concernait la race du Chasseur. Ce dernier avait dit un jour qu’il ressemblait à un virus. Il fallait donc découvrir une documentation sur eux, et où la trouver sinon dans le cabinet d’un médecin ? Évidemment, il lui aurait été difficile d’aborder cette question en premier après avoir été renvoyé chez ses parents par les médecins du collège et pourtant, il ne songea même pas à s’étonner en entendant sa mère lui faire cette proposition. Il se contenta d’accepter en y voyant un heureux coup du sort.
Le docteur Seever connaissait très bien Bob, comme d’ailleurs toutes les personnes nées dans l’île. Il avait lu le rapport envoyé à la famille par les médecins du collège et ses réactions avaient été les mêmes que celles de M. Kinnaird. Inutile de s’affoler. Néanmoins, il était heureux de voir le garçon. Bien qu’habitué aux diverses maladies et accidents, il ne put retenir un cri de surprise devant la teinte de la peau de Bob.
« Eh bien, mon vieux, lui dit-il, vous avez bien fait les choses pour votre retour !
— N’insistez pas, docteur. Je suis mieux placé que quiconque pour le savoir !
— On s’en doute en vous voyant ! Enfin, on va voir ce que l’on peut faire pour vous empêcher de cuire. Ce ne sera pas parfait, mais vous aurez moins mal. » Le docteur se mit en devoir de lui enduire le dos d’une pommade particulièrement grasse tout en continuant à parler : « Vous avez beaucoup changé ces derniers temps. Je me souviens de vous comme un des garçons les plus sérieux et les plus prudents de l’île. Vous avez été malade à votre collège dans le nord ? Je crois que votre père m’en a parlé un jour. »
Bob ne s’attendait pas à s’entendre poser la question si rapidement et sous cette forme, mais il avait déjà établi des plans pour y répondre en faisant dévier la conversation dans le sens qu’il souhaitait.
« Pas le moins du monde. Vous pouvez m’examiner des journées entières et vous ne découvrirez certainement pas un seul microbe. »
Le docteur Seever regarda longuement le jeune garçon et retira ses lunettes avant de répondre :
« C’est fort possible, mais cela ne prouverait certainement pas que tout va bien chez vous. Vous savez aussi bien que moi que ce ne sont pas des microbes qui sont la cause de ces coups de soleil bien réussis.
— Eh bien, je puis vous dire encore que je me suis foulé une cheville, coupé à plusieurs reprises, je suppose que cela n’a aucun intérêt. Vous vouliez certainement parler de mon état maladif, comme disent les médecins du collège ? Croyez-vous pouvoir découvrir ce qu’il y a, en admettant qu’il y ait quelque chose, simplement avec votre microscope ? »
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