Le docteur se mit à sourire, comprenant très bien où voulait en venir le jeune garçon.
« C’est très agréable de trouver quelqu’un possédant une telle foi dans la science médicale, répondit-il, mais je crains fort de vous décevoir. Laissez-moi une minute et je vous montrerai pourquoi. »
Le docteur acheva d’appliquer la pommade contre les coups de soleil, se lava les mains et alla prendre dans une armoire un microscope de belle taille. Des boîtes oblongues contenaient des séries de préparations et il chercha quelques minutes pour trouver ce qu’il désirait. Puis il en introduisit une sur la platine du microscope.
« Celui-ci est très facile à reconnaître, commença-t-il. C’est un protozoaire, une amibe. C’est une de ses sœurs qui est à l’origine de la dysenterie. Dans le genre néfaste, c’est un des plus gros.
— J’en avais déjà vu en classe d’histoire naturelle mais j’ignorais qu’ils pussent être la cause de maladies.
— La plupart des amibes sont inoffensives. Regardez celui-là à présent, ajouta le docteur en glissant une autre lame sous l’objectif, il est beaucoup plus petit. Le premier n’était pas un microbe à proprement parler. Celui-ci donne la fièvre typhoïde. Heureusement nous n’en avons pas eu de cas depuis très longtemps. Celui-là est encore plus petit et est responsable du choléra.
— On dirait une saucisse à qui on a oublié d’enlever une ficelle à un bout, dit Bob en relevant la tête.
— Vous le verrez encore mieux avec le grand objectif », dit le docteur en faisant pivoter la tourelle qui se trouvait au bas de l’objectif. Puis il s’assit dans un fauteuil pendant que Bob reprenait son observation.
« C’est le grossissement maximum pour un appareil de ce genre, mais il existe d’autres bactéries beaucoup plus petites. Certaines sont inoffensives, d’autres extrêmement virulentes. Encore au-dessous, sur l’échelle des grandeurs, on trouve les spirochètes qui ne sont peut-être pas des bactéries, et en dernier lieu viennent les virus. »
Bob abandonna le microscope et entreprit la tâche difficile de paraître intéressé sans toutefois laisser voir que la conversation venait d’atteindre le point où il voulait la mener.
« Alors, vous ne pouvez pas me montrer un virus, demanda-t-il en sachant parfaitement ce qu’on allait lui répondre.
— C’est précisément ce que je voulais vous dire. On en a photographié quelques-uns au microscope électronique et ils ressemblent un petit peu à ce bacille du choléra que je vous ai montré. En réalité, le mot virus a dissimulé pendant de longues années l’aveu d’une ignorance totale. De nombreux docteurs se trouvaient en présence de maladies qui semblaient causées par un être vivant, mais qu’on ne parvenait pas à déceler. On a baptisé ces êtres hypothétiques « virus filtrants » parce qu’ils passaient à travers la porcelaine des filtres les plus fins. On a finalement trouvé un moyen de déceler le virus chimiquement, en le cristallisant. Il était facile, par exemple, de constater que la même maladie se produisait lorsque l’on injectait les mêmes cristaux dissous dans l’eau. On a donc fait un grand nombre d’expériences très astucieuses pour déterminer la grandeur, la forme et autres caractéristiques de ces virus, sans que personne ne les ait jamais vus. Quelques savants pensaient et pensent toujours qu’il s’agit d’une molécule unique, énorme évidemment, peut-être plus grosse même que celle de l’albumine, qui est comme vous le savez le blanc de l’œuf. J’ai lu récemment quelques bons livres sur ce sujet et cela vous intéresserait peut-être ?
— Certainement, répondit Bob en s’efforçant toujours de dissimuler son anxiété. Les avez-vous là ? »
Le docteur se leva de son fauteuil et alla fouiller dans un autre placard d’où il retirait de temps en temps un gros volume qu’il feuilletait rapidement.
« Il y a pas mal de choses là-dedans, mais je crains que ce ne soit un peu trop technique. Vous pouvez le prendre si vous voulez. J’avais un autre ouvrage qui aurait été de loin meilleur pour vous, parce que beaucoup plus simple et plus vivant, mais je l’ai déjà prêté.
— À qui ?
— À l’un de vos amis ; le jeune Norman Hay. Il s’intéresse énormément à la biologie depuis quelque temps. Sans doute vous a-t-on déjà dit qu’il avait essayé de se rendre à Tahiti pour voir le muséum. Je me demande s’il espère me remplacer un jour. Enfin il a le volume depuis plusieurs mois déjà et vous pouvez le lui réclamer de ma part.
— Je vous remercie, docteur, et je n’y manquerai pas, répondit Bob de son ton le plus naturel. Mais ne pourriez-vous pas me dire tout de suite en gros ce que vous savez sur la séparation chimique des virus dont vous venez de me parler ? Je trouve curieux que l’on identifie une créature vivante par des procédés chimiques.
— Je vous ai déjà dit que l’on n’était pas certain que les virus fussent vivants. Pourtant il n’y a absolument rien d’extraordinaire dans les expériences dont vous parlez. Vous savez ce que sont les sérums ?
— Oui… et jusqu’à présent j’ai toujours cru qu’il s’agissait de substances que l’on employait pour guérir les gens de certaines maladies.
— C’est effectivement le cas le plus fréquent. Cependant on peu les considérer également comme des moyens de renseignement chimique. Les tissus de certaines créatures essaient de repousser et de détruire des sérums issus des mêmes tissus d’autres créatures. Vous pouvez très bien habituer un animal au sérum humain par exemple, puis d’après les réactions qui se produisent entre le sérum de cet animal et un élément inconnu, il est facile de découvrir si la substance inconnue provient de tissus humains ou non. Évidemment, les détails peuvent varier à l’infini, mais c’est une façon très précise de savoir si une trace de sang ou de toute autre substance provient d’un homme ou d’un animal.
— Je comprends, dit Bob les sourcils froncés, parle-t-on de ces questions dans ce volume ?
— Non, je puis vous donner un livre sur ce sujet, mais je tiens à vous prévenir tout de suite qu’il est un tout petit peu plus élevé que ce que l’on enseigne dans les classes de chimie. Pourquoi me demandez-vous tout cela ?
— N’ayez crainte, je ne cherche pas à vous remplacer. Je me suis trouvé mêlé à un problème et aimerais beaucoup le résoudre tout seul, si c’est possible. Dans le cas contraire je reviendrai vous voir pour vous demander encore votre aide. Merci, docteur. »
Seever acquiesça et abandonna son bureau pendant que Bob s’en allait. Le médecin resta plusieurs minutes à réfléchir.
Bob était certainement beaucoup plus sérieux qu’il ne l’avait jamais été, et il serait évidemment très agréable de savoir quel était le problème qui l’agitait tant. Selon toute vraisemblance une telle disposition d’esprit provenait très probablement des changements d’attitudes qui inquiétaient tant les autorités scolaires. Au moins c’était un rapport très encourageant qu’il allait faire au père de l’enfant.
« Je n’ai pas l’impression qu’il faut vous inquiéter le moins du monde, dit-il à M. Kinnaird. Votre fils s’intéresse brusquement à des questions qui semblent avoir un côté scientifique certain. Le jeune Hay a fait exactement la même chose il y a quelques mois. Vous agirez sans doute de même lorsque vous vous trouverez en face d’un problème important. Il est, de toute évidence, en train de changer la face du monde et vous entendrez parler de lui en temps utile. »
Bob n’avait nullement l’intention de réformer le monde dans aucun domaine. Toutefois, certains problèmes qui s’étaient posés au cours de la conversation de l’après-midi pouvaient très bien entraîner des transformations chez lui. À peine sorti du cabinet du médecin, il ne perdit pas de temps pour entrer en communication avec le Chasseur.
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