« Bob, faut-il vous donner un coup de main pour vous aider à porter vos affaires à terre ?
— Je veux bien, je vous remercie », hurla Bob en guise de réponse. Avant de quitter le plat-bord, il jeta un rapide coup d’œil autour de lui et esquissa un vague sourire. Puis il se dirigea en toute hâte sur la petite passerelle pour gagner l’arrière. À demi caché par un coin de l’appontement, on apercevait la jetée qui reliait le quai à la terre ferme.
Une Jeep s’engageait à toute vitesse sur la jetée, et Bob savait très bien qui était au volant. En un temps record, les bagages furent descendus sur le quai, mais la Jeep avait pourtant réussi à faire le tour de deux pompes et à venir s’arrêter près des marches quelques instants avant que Bob ne descendît à terre avec le commandant. Bob sauta sur le quai et courut à toutes jambes vers l’homme qui se tenait près de la voiture. Le Chasseur surveillait la scène avec intérêt et beaucoup de sympathie.
Les visages humains lui étaient assez familiers à présent. Il remarqua immédiatement la ressemblance existant entre Bob et son père. Bob n’était évidemment pas aussi grand, mais on retrouvait les mêmes cheveux noirs et les yeux bleus, le même nez droit et un peu fort, la bouche souriante et la même forme de menton.
L’accueil de Bob se manifesta avec une exubérance naturelle à son âge. Son père aussi était heureux, mais on sentait chez lui une certaine gravité que le jeune garçon ne remarqua pas, mais qui n’échappa pas au Chasseur. Celui-ci comprit que la tâche la plus urgente était de convaincre M. Kinnaird que son fils n’était pas malade, afin que sa liberté d’action ne se trouvât pas réduite par les soins dont on voudrait sans doute l’entourer. Le Chasseur décida de garder cette idée présente à l’esprit.
Bob submergeait son père sous un flot de questions en demandant des nouvelles de la population entière de l’île. La première réaction du Chasseur fut de critiquer la conduite de son hôte, car ce n’était pas encore le moment de commencer, l’enquête ; mais il se rendit compte très vite que le jeune garçon n’y pensait pas. Il essayait simplement de savoir ce qui s’était passé au cours de ses cinq mois d’absence. Le détective cessa donc de s’inquiéter d’une démarche qu’il jugeait prématurée et écouta avec attention les réponses de M. Kinnaird, dans l’espoir d’y découvrir quelques renseignements précieux. Le Chasseur habitait depuis assez longtemps dans le corps d’un être humain pour éprouver une légère déception lorsque le père de Bob répondit en riant :
« Comme tu y vas, mon garçon ! Je ne sais pas ce que tout le monde a fait ici depuis ton départ. Si cela t’intéresse tant, tu n’auras qu’à demander autour de toi. Il faut que j’attende la fin du chargement et tu ferais mieux de prendre la Jeep pour porter tes bagages à la maison. J’ai l’impression que ta mère ne s’évanouira pas d’inquiétude en te voyant. Tu as l’air en forme. Tu as le temps de monter là-haut, car tes camarades ne sortiront pas tout de suite de l’école. Attends une minute. »
M. Kinnaird fouilla dans la boîte à outils pour en retirer une ou deux clefs dont il pouvait avoir besoin.
« Ah ! c’est vrai, je n’y pensais plus ! Il va falloir aller, moi aussi, à l’école. J’avais complètement oublié que, cette fois-ci, je ne revenais pas en vacances. »
Bob eut tout à coup un air si sérieux, que son père ne put s’empêcher de rire, sans comprendre évidemment la cause de l’état d’âme de son fils, qui d’ailleurs très vite reprit ses esprits et lança d’un air joyeux :
« D’accord, papa, j’emmène tout ça à la maison et je te reverrai pour le déjeuner.
— Je veux bien, à condition que tu ramènes la Jeep ici dès que tu n’en auras plus besoin. Autre chose, inutile de recommencer tes remarques au sujet de mon besoin d’exercice ! »
Bob, qui à présent avait retrouvé toute sa bonne humeur, répondit en s’éloignant :
« Je ne te parlerai pas de ton petit ventre jusqu’au moment où nous irons nous baigner. »
Les valises furent rapidement chargées et Bob se mit au volant. La Jeep roula sur la jetée qui menait au rivage et là, prit une route pavée qui s’enfonçait perpendiculairement à l’intérieur de l’île. Au bout de cinq cents mètres, la voiture rejoignit la route principale traversant l’île de bout en bout.
En atteignant le croisement, le Chasseur vit que d’autres dépôts s’étendaient sur le côté opposé. Il était intrigué par la masse de béton blanc d’un réservoir construit sur la colline alors que les autres réservoirs étaient dans l’eau.
À la bifurcation des chemins, commençaient aussi à apparaître les maisons d’habitation. La plupart étaient bâties du côté de la mer. Une seule se trouvait de l’autre côté, entourée d’un vaste jardin. On l’apercevait à droite, juste avant de s’engager sur la grand-route. Un jeune garçon, grand et mince, au visage bronzé, travaillait dans le jardin. En le voyant, Bob tourna brusquement son volant et lança un sifflement aigu. Le jardinier se redressa et courut jusqu’à la route.
« Bob ! Je ne savais pas que tu devais revenir si tôt. Qu’est-ce qui t’arrive, petit ? »
Charles Teroa n’avait que trois ans de plus que Bob, mais ayant terminé ses études, il prenait toujours un ton condescendant pour s’adresser à ses camarades plus jeunes. Bob avait cessé de se formaliser de cette habitude, d’autant que pour l’instant il avait assez d’arguments pour clore le bec à l’autre.
« Je n’ai rien fait de plus extraordinaire que toi, répondit Bob, du moins si j’en crois ce que m’a dit ton père. »
Le jeune Teroa esquissa une vague grimace avant de répondre :
« Papa n’aurait pas dû t’en parler. Enfin on s’est bien amusés.
— Crois-tu vraiment qu’ils allaient engager quelqu’un qui dort la moitié de la journée ? »
Bob se mordit les lèvres, se souvenant brusquement qu’on lui avait demandé de ne pas parler de ce défaut qui s’était manifesté durant la traversée.
Teroa débordait d’indignation :
« Qu’est-ce que tu veux dire par dormir toute la journée ? Je ne me suis jamais couché lorsqu’il y avait du travail à faire. » Il jeta un coup d’œil vers une petite pelouse que l’on apercevait à l’ombre des grands arbres. « Regarde, tu ne crois pas que ce serait le meilleur endroit du monde pour dormir alors que je travaille en plein soleil ? Je retourne même à l’école.
— Pas possible !
— Mais si ! Je prends des cours de navigation avec M. Dennis. Cela pourra me servir lorsque j’essaierai la prochaine fois. »
Bob leva les sourcils :
« La prochaine fois ? Eh bien, tu ne te décourages pas facilement. Et quand as-tu l’intention de recommencer ?
— Je ne sais pas encore. Je te le dirai lorsque je serai prêt. Pourquoi me demandes-tu cela ? As-tu l’intention de venir avec moi ?
— Sûrement pas. Je n’ai aucune envie d’aller travailler sur un navire, mais on ne sait jamais après tout. Parle-m’en lorsque tu seras décidé. Je me sauve, il faut que j’aille déposer mes bagages à la maison, que je ramène la Jeep à papa et que je sois à l’école avant la sortie des copains. »
Teroa, qui s’était accoudé sur le capot, recula d’un pas, puis dit :
« C’est dommage que l’on ne soit pas comme ces petites bêtes que l’on étudiait au cours d’histoire naturelle et qui se divisent en deux autant de fois qu’elles le veulent. J’ai toujours rêvé d’être comme cela pour mieux profiter de la vie. »
Bob, en général, avait l’esprit prompt et cette fois-ci encore il réussit à dissimuler le choc que venait de lui causer la réponse de Charles Teroa. Il prit congé, mit le moteur en route, fit une marche arrière savante et s’éloigna rapidement. Durant un kilomètre la route était bordée de maisons et de jardins. Bob n’ouvrit pas la bouche, sauf en passant devant une construction assez basse qu’il indiqua comme étant l’école. Quelques minutes plus tard, il ralentit et arrêta l’auto sur un des bas-côtés de la route. À cet endroit les arbres dissimulaient tout le reste de l’île et personne n’aurait pu savoir qu’une voiture était arrêtée là.
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