« Je crois qu’il est inutile de procéder à des recherches au-delà de ce cercle. Il n’est certainement pas tombé sur la plage, car j’ai vu dans mes instruments qu’il coulait lentement après le premier choc. Je suis également à peu près certain qu’il n’a pas échoué dans le lagon puisque vous m’affirmez que l’eau est peu profonde. Il est arrivé avec une telle force dans l’eau, qu’il a dû immédiatement couler au fond ; et d’après le temps qu’il a mis pour descendre il devait y avoir au moins quinze mètres d’eau, sinon davantage.
« Nous pouvons donc baser nos recherches sur la certitude qu’il est tombé à l’ouest de l’île, à l’intérieur d’une circonférence de deux kilomètres de rayon et dont le centre serait à proximité de votre plage. J’admets que ce n’est pas une certitude absolue, mais cela nous donne au moins un point de départ. Avez-vous d’autres idées sur la question ?
— Je voudrais simplement vous demander combien de temps, selon vous, il lui a fallu pour gagner le rivage.
— Sur ce point vous en savez autant que moi. S’il a eu autant de chance que moi, quelques heures lui ont suffi. En revanche, s’il s’est trouvé dans des eaux très profondes avec encore moins d’oxygène que moi, il peut très bien avoir mis plusieurs jours ou même des semaines à se traîner sur le fond, car n’oubliez pas qu’il devait faire très attention, sachant que je n’étais pas loin. Personnellement je n’aurais jamais attaqué de requin, ni ne me serais hasardé à quitter le fond si je n’avais pas été absolument sûr d’être très près de la côte.
— Comment a-t-il pu savoir qu’il fallait prendre une direction donnée plutôt qu’une autre ? Peut-être est-il toujours en train de ramper sous l’eau ?
— C’est possible, mais avec la tempête qu’il faisait cette nuit-là, il a pu déterminer, aussi facilement que moi, la direction des brisants. Et si, d’autre part, le sol est aussi abrupt que vous le supposez il a pu trouver là une indication supplémentaire. Je ne crois pas que ce problème lui ait été difficile à résoudre. Étant donné que c’est un lâche – et cette réputation est bien établie – il est fort possible qu’il soit resté quelque temps dans l’épave de son engin.
— Donc avant de nous lancer dans d’autres recherches, il nous faudra explorer le récif sur un ou deux kilomètres de chaque côté de la plage, afin de voir s’il a laissé des traces. C’est bien ce que vous voulez dire ? Et en admettant qu’il ait réussi à gagner l’île, que croyez-vous qu’il ait fait ? Comme vous ?
— Vous avez raison quant aux recherches à effectuer, mais il est difficile de dire ce qu’il a pu faire en arrivant sur la plage. Sans aucun doute il a cherché à découvrir un hôte, mais toute la question est de savoir s’il a attendu que quelqu’un passe près de lui ou s’il est parti en exploration pour réaliser son projet. S’il a pris pied en un endroit d’où l’on aperçoit des constructions ou tout autre signe de vie, il s’est certainement dirigé vers ce point en partant du principe que tôt ou tard des créatures intelligentes finiraient par apparaître. Je suis à peu près sûr de ce que j’avance dans ce domaine et c’est pourquoi je tiens à connaître très exactement les lieux et les circonstances du drame afin de pouvoir deviner ses actes. »
Bob approuva d’un signe de tête et conserva le silence quelques instants avant de demander :
« Quelle sorte de traces espérez-vous découvrir sur la plage ? Et si par hasard vous ne trouvez rien, que ferons-nous ?
— Je ne sais pas. »
À quelle question le Chasseur avait-il répondu ? Bob aurait voulu le savoir, mais il décida d’attendre d’autres explications. Il était ennuyé de se rendre compte que les méthodes envisagées ne promettaient guère de bons résultats. Il réfléchit pendant quelques minutes et brusquement une idée lui vint.
« Chasseur, vous souvenez-vous que le jour de votre arrivée, vous n’avez pu vous approcher de moi qu’à l’instant où je m’étais couché sur le sable ? Il y a de fortes chances pour qu’il en ait été de même de votre fugitif. Vous m’avez dit vous-même que plusieurs minutes étaient nécessaires pour pénétrer dans le corps d’un homme et votre ennemi intime n’avait certainement aucune envie d’être découvert. On arrive donc à restreindre le champ des investigations en ne retenant comme suspects que les gens qui sont allés s’étendre tout près de l’eau au cours des derniers mois. Il n’y a aucune maison dans le voisinage immédiat de la mer. La plus proche est celle de Hay. Par ailleurs, peu de gens viennent pique-niquer dans ce coin-là, comme nous le faisions, mes camarades et moi. Qu’en pensez-vous ?
— C’est une idée à ne pas négliger. Mais vous ne devez pas oublier que celui que je poursuis peut se rendre dans toute l’île en prenant le temps nécessaire. En outre, tous les humains dorment à un moment ou à un autre, et bien qu’il pût ignorer ce fait, il a certainement fini par s’en apercevoir. De toute façon votre idée est bonne et quiconque s’est endormi sur la plage peut être considéré comme suspect. »
Le navire venait de ralentir et se présentait devant la passe s’ouvrant à l’ouest dans les récifs. Le Chasseur eut l’impression que la barrière de corail était un endroit bien curieux pour procéder à des recherches. En admettant même que le fugitif ait voulu y rester caché, la vie n’avait pas dû être drôle pour lui. De longues traînées de récifs apparaissaient à peine au-dessus de l’eau, on les devinait plutôt grâce aux brisants. En quelques rares endroits les coraux étaient plus élevés et avaient recueilli assez de terre pour nourrir des plantes, voire deux ou trois palmiers.
Le navire s’engagea dans l’étroit passage, et le Chasseur comprit que des traces seraient difficiles à relever sur ces rochers. À en juger par le peu de continuité que présentaient les récifs, une personne à pied ne pouvait guère aller loin. La navigation dans ces parages devait être extrêmement dangereuse, car les vagues déferlaient sans interruption sur les coraux, et entraînaient toute embarcation s’approchant trop près. Le gros navire même, avec sa masse énorme et la place qu’il avait pour gouverner, prenait grand soin de rester au centre du chenal balisé.
À l’intérieur du lagon, le Chasseur remarqua que le commandant faisait très attention à ne pas s’écarter des bouées. Il se souvint de ce que Bob lui avait dit au sujet du peu de profondeur de l’eau.
Entre les récifs et l’île proprement dite on apercevait de grosses constructions carrées. Le Chasseur présuma qu’il s’agissait des réservoirs dont Bob lui avait parlé. Ils avaient cent à deux cents mètres de long, mais les murailles de béton s’élevaient à peine de cinq à six mètres au-dessus de l’eau. Le plus proche était malheureusement encore trop éloigné pour que l’on pût en distinguer les détails. Cependant le Chasseur avait constaté que les toits des réservoirs étaient faits en grande partie de plaques de verre. À chaque extrémité de petites constructions étaient reliées entre elles par des passerelles aboutissant toutes à une plateforme, d’où partait un petit escalier donnant accès au chenal.
Le navire approchait doucement de l’appontement. Des filins voltigèrent en l’air et des mains s’empressèrent de les ramasser pour tirer à bord d’énormes tuyaux. Le ronronnement des pompes annonça que la production en huile de la semaine commençait à se déverser dans les cales du navire. Il fallut qu’on les appelât de la passerelle pour que Bob et son ami invisible se détachent du spectacle qui s’offrait à eux. C’était Teroa qui hurlait du haut de son perchoir :
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