La nuit était particulièrement calme. Bob demeura assez tard sur le pont et de temps à autre allait échanger quelques mots avec l’homme de veille à la barre. Vers minuit, il quitta la passerelle et resta quelque temps encore accoudé à l’arrière pour regarder le sillage argenté que laissait le navire.
Au cours de la nuit, le vent fraîchit et au réveil la mer était assez forte. Le Chasseur eut l’occasion de rechercher les causes et la nature du mal de mer et arriva à la conclusion qu’il ne pouvait rien y faire sans porter gravement atteinte au sens de l’équilibre de son hôte. Heureusement pour Bob, le vent se calma au bout de quelques heures et les vagues devinrent moins agressives. Le navire avait à peine effleuré la zone de la tempête.
Dès qu’il put se mêler de nouveau aux membres de l’équipage, Bob oublia aussitôt ses ennuis passés. Il savait que peu après midi l’on apercevrait son île à l’horizon. Au cours des quelques heures qui lui restaient il courut du pont à la passerelle, pour repartir aussi vite vers les machines, faisant le tour de tous les amis qu’il comptait à bord et frôlant des dangers qu’il ne soupçonnait même pas.
Dans la terminologie géographique, l’île était classée dans les « Terres hautes » parce que la montagne sous-marine qui la formait s’élevait au-dessus de la surface de l’eau, au lieu d’en approcher simplement et de servir ainsi de base aux coraux, comme c’était le cas pour de nombreuses îles. En dépit de cette classification, le point culminant de l’île ne dépassait pas trente mètres. Il fallut donc que le navire arrivât presqu’au port pour que Bob pût montrer quelque chose à son compagnon invisible.
Le Chasseur estima qu’il était temps d’examiner sérieusement la situation, et il projeta devant les yeux de Bob :
« Je me suis rendu compte que ce voyage vous amusait beaucoup, mais nous allons débarquer bientôt et, si cela ne vous ennuie pas, j’aimerais revoir votre carte. »
Le Chasseur n’avait évidemment aucun moyen d’exprimer la moindre émotion dans son écriture, mais Bob sentit que ses mots dénotaient un grand sérieux.
« D’accord », répondit Bob en se dirigeant vers sa cabine. Dès que la feuille de papier fut posée devant lui, le détective alla droit à la question :
« Bob, avez-vous réfléchi à ce que nous allons faire pour attraper le fugitif que je poursuis ? Vous m’avez posé cette question il y a quelque temps et je n’ai jamais répondu.
— Oui ! Sur le moment cela m’a paru étonnant. Mais tout est si étrange avec vous, du moins pour moi. Il vous sera sans doute possible de découvrir votre petit copain par un moyen ou un autre. S’il est caché comme vous, vous ne pourrez certainement pas le voir. Avez-vous un moyen quelconque qui vous permette de le détecter ?
— Ne vendez pas la peau de l’ours », répondit le Chasseur qui ne se donna pas la peine d’expliquer le sens de sa phrase et qui précisa : « Je n’ai aucun appareil avec moi. N’oubliez pas que je suis seul sur votre planète. Que feriez-vous si vous étiez dans mon cas ? »
Bob réfléchit un long moment avant de dire :
« Si vous pouvez entrer dans un corps, je suppose que vous êtes à même de découvrir si l’un de vos semblables s’y trouve déjà. »
La phrase était plus affirmative qu’interrogative. Néanmoins, le Chasseur émit le signe bref que Bob avait appris à considérer comme un accord.
« Combien vous faudrait-il de temps pour vous en rendre compte ? continua Bob. Pourriez-vous passer dans la peau de quelqu’un d’autre assez rapidement, pendant que je lui serre la main, par exemple ?
— Non, il faut plusieurs minutes pour entrer dans un corps comme le vôtre, sans attirer l’attention. Les pores de votre peau sont larges, mais je suis quand même plus gros. Si vous lâchiez la main de l’autre personne avant que je ne vous aie complètement quitté, ma position serait des plus précaires. Je pourrais évidemment vous quitter la nuit et m’atteler à la tâche pendant que tout le monde dort. Ma vitesse est extrêmement limitée et je ne saurais que faire si j’entrais dans le corps où se trouve mon fugitif. Je serais sans doute obligé de le faire en dernier ressort mais avant de faire un essai sur quelqu’un, je voudrais être tout à fait sûr du terrain sur lequel je m’engage. Il faut que vous m’aidiez.
— Je ne connais rien à vos méthodes habituelles, répondit Bob lentement. Je ne vois pas le moyen de rester assez longtemps auprès de tous les gens qui habitent l’île. Nous pourrions cependant essayer de retrouver les traces de votre collègue en partant de l’endroit où il est arrivé sur la Terre. Puis nous tâcherions de localiser les personnes qui ont pu lui donner refuge. Qu’en pensez-vous ?
— Ce n’est pas une mauvaise idée. Nous pourrions reconstituer sa marche possible. Il y a peu de chance pour que nous trouvions des preuves apparentes de sa situation actuelle, néanmoins je crois pouvoir estimer sans grand risque d’erreur ce qu’il a pu faire dans telle ou telle situation. Dans ce cas il me faudra beaucoup de renseignements afin d’avoir une vue très nette de l’ensemble. Vous devrez me dire tout ce que vous voyez et moi, je vous ferai part de mes découvertes. Tout d’abord, nous devons trouver l’endroit où l’appareil du fugitif s’est écrasé. Voulez-vous me montrer sur la carte le lieu où vous étiez ce jour-là ? »
Bob indiqua de son doigt un point sur la carte. À l’extrémité nord-ouest de l’île, au bout de la plus longue branche du L, la terre s’effilait pour se terminer brusquement dans la mer. De là le récif de corail s’étendait tout d’abord vers le nord pour s’incurver vers l’est et revenir vers le sud comme pour fermer complètement le lagon. Bob montrait la partie est de la péninsule.
« Ici, précisa-t-il, on trouve la seule plage de l’île. C’est l’unique endroit où le rivage n’est pas protégé par les récifs. Au sud de ce petit cap on trouve une centaine de mètres de côte avant que le récif ne réapparaisse pour protéger le rivage des brisants. Mes camarades et moi aimons beaucoup y aller et c’est là que nous nous baignions le jour de votre arrivée. Je revois très bien le requin qui s’était échoué. »
Le Chasseur expliqua à son tour :
« Peu de temps avant que nous atteignions l’atmosphère de la Terre, je poursuivais le fugitif en me guidant sur mon appareil automatique de contrôle. Je m’étais écarté de quelques mètres de sa ligne de vol, lorsque je compris que j’arrivais au voisinage d’une planète. Je repris la direction en main, car j’estimais dangereuse une telle rencontre. Nous étions à ce moment sur la même ligne. En admettant même que votre atmosphère ait pu amener quelques perturbations dans notre trajectoire, je ne crois pas que nos points de chute puissent être éloignés de plus d’un ou de deux kilomètres l’un de l’autre. J’en suis d’autant plus sûr que je surveillais le fugitif sur mon écran, dont le champ visuel est limité à dix degrés. Je suis donc persuadé qu’il n’est pas tombé très loin du rivage. Savez-vous si la profondeur de l’eau augmente rapidement autour de l’île ?
— Je l’ignore, mais je sais que de grands navires s’approchent fréquemment très près du récif.
— C’est bien ce que je pensais et je suis tombé à un endroit où il y avait peu d’eau. Nous pouvons donc affirmer qu’il s’est écrasé dans un rayon de deux kilomètres autour de ce point. »
Le Chasseur fit passer une ombre sur la rétine de Bob de telle façon qu’il ne vît plus qu’une surface très limitée, située à quelque distance de la plage. Puis il reprit :
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