Baines les mena à un sas conduisant à l’une des autres coupoles et, tandis qu’ils attendaient l’ouverture de la dernière porte, il avertit tranquillement :
— Prenez garde à vos yeux.
Gibson utilisa promptement sa main comme écran.
Sa première sensation fut faite de lumière et de chaleur. C’était presque comme s’il avait franchi d’un seul pas la distance qui sépare le pôle des tropiques. Au-dessus de sa tête, des batteries d’ampoules puissantes inondaient de lumière la chambre hémisphérique. Il y avait dans l’air quelque chose de lourd et d’oppressant qui n’était pas seulement dû à la température ; Martin se demanda quel genre d’atmosphère il respirait …
Cette coupole n’était pas divisée en cellules, mais elle se présentait comme une grande étendue circulaire recouverte de petits tas de sable bien rangés où poussaient toutes les plantes martiennes que Martin connaissait, ainsi que de nombreuses autres. À peu près un quart de la surface disponible était occupé par les grandes feuilles brunes qu’il reconnut d’emblée.
— Ainsi, vous les avez toujours connues ? dit-il, sans se montrer particulièrement surpris ou désappointé ( Hadfield avait raison, les Martiens étaient beaucoup plus intéressants ).
— Bien sûr, confirma l’administrateur. On les a découvertes il y a environ deux ans. Elles ne sont pas tellement rares le long de la ceinture équatoriale, car elles ne poussent que sous un soleil abondant. Notre petite récolte est la plus septentrionale qui ait jamais été obtenue.
Il leur faut une certaine dose d’énergie pour extraire l’oxygène du sable, expliqua Baines. C’est pourquoi nous les y aidons avec cet éclairage, tout en procédant à certaines expériences inédites. Venez voir les résultats …
Gibson se dirigea vers le petit enclos en suivant l’étroite allée avec précaution. Somme toute, ces plantes n’étaient pas exactement identiques à celles qu’il avait trouvées, encore que leur souche commune fût évidente. La différence la plus surprenante résidait dans l’absence complète de gousses gazeuses, remplacées ici par des myriades de pores minuscules.
— Voilà le point important, dit Hadfield. Nous avons engendré une variété qui laisse échapper son oxygène directement dans l’air parce qu’elle n’a plus besoin de l’emmagasiner. Aussi longtemps qu’elle reçoit en abondance de la chaleur et de la lumière, elle peut extraire du sable ce qui lui est nécessaire et rejeter le surplus. Tout l’oxygène que vous respirez en ce moment provient de ces plantes, il n’en existe aucune autre source à l’intérieur du dôme.
— Je vois, fit lentement Gibson. Ainsi, vous aviez déjà pensé à mon idée, et vous êtes même allés beaucoup plus loin … Mais je ne comprends toujours pas la nécessité d’entourer tout ceci de mystère.
— Quel mystère ? releva Hadfield avec un air d’innocence outragée.
— Tout de même ! Vous venez de me demander il y a un instant de ne rien révéler à ce sujet.
— Oh, c’est à cause d’une proclamation officielle qui doit avoir lieu dans quelques jours. Nous ne désirons pas soulever d’espoirs prématurés, mais il n’y a pas de véritable secret.
Gibson médita cette réflexion tout au long du trajet de retour vers Port Lowell. Hadfield lui avait confié beaucoup de choses, mais avait-il tout dit ? Que devenait Phobos dans l’affaire ? Les soupçons de Martin sur le satellite étaient-ils tout à fait dénués de fondement ? En tout cas, il ne pouvait exister le moindre rapport entre l’astéroïde et ce projet particulier. Après avoir envisagé de forcer la main d’Hadfield par une question directe, Gibson se ravisa. De cette façon-là, il ne réussirait qu’à se ridiculiser.
Les coupoles de Port Lowell montaient déjà derrière la convexité abrupte de l’horizon quand il se résolut à aborder le sujet qui lui tenait à cœur depuis quinze jours.
— L’Arès retourne sur Terre dans trois semaines, n’est-ce pas ? remarqua-t-il d’un ton négligent.
Hadfield hocha simplement la tête. La question lui semblait visiblement superflue : son compagnon devait être au courant comme tout le monde.
— Si c’était possible, reprit lentement Martin, j’aimerais rester sur Mars un peu plus longtemps … Jusqu’à l’année prochaine, peut-être …
— Vraiment ! fit Hadfield.
L’exclamation ne trahissait ni encouragement ni désapprobation, et Gibson se vexa un peu de voir son éclatante révélation tourner court.
— Et votre travail ? poursuivit l’administrateur.
— Je peux aussi bien l’exécuter ici que sur Terre.
— Je suppose que vous comprenez que, pour rester ici, vous devez embrasser une profession utile. ( Hadfield eut un petit sourire en coin. ) Pardonnez mon manque de tact, je voulais dire que vous devez aider à la bonne marche de la colonie. Avez-vous une idée à cet égard ?
C’était un peu plus encourageant ; au moins l’administrateur ne repoussait pas la suggestion en bloc. Mais Gibson avait tout de même perdu ce point de vue dans son premier élan d’enthousiasme.
— Je ne pensais pas m’établir à demeure ici, dit-il en manière d’excuse, mais je voudrais passer quelque temps à étudier les Martiens et voir si je peux en découvrir d’autres. De plus, je n’ai pas envie de quitter Mars au moment précis où cela devient intéressant.
— Que voulez-vous dire ? questionna vivement son interlocuteur.
— Eh bien, je veux parler de ces usines à oxygène de source végétale et de la mise en service du Dôme n° 7. J’aimerais voir ce que tout cela va devenir au cours des prochains mois.
Hadfield dévisagea pensivement son passager. Il était moins surpris que Gibson ne l’imaginait, car il avait déjà connu ce genre de situation. Il s’était même demandé si cela allait arriver au romancier, et la tournure des événements ne lui déplaisait pas du tout.
L’explication véritable était très simple : Gibson se sentait plus heureux qu’il ne l’avait jamais été sur Terre ; il avait accompli quelque chose de profitable pour la communauté martienne et s’en sentait devenir partie intégrante. Son assimilation était presque totale et le fait que Mars avait déjà attenté une fois à sa vie ne faisait que renforcer sa détermination de rester. En retournant sur Terre, il ne rejoindrait pas son pays, il partirait vers l’exil.
— L’enthousiasme n’est pas suffisant, voyez-vous, dit encore l’administrateur.
— Je comprends très bien, admit Gibson, soucieux.
— Notre petit monde repose sur deux bases : la science et un travail acharné. Si l’une d’entre elles nous faisait défaut, nous ferions mieux de rentrer chez nous.
— Je n’ai pas peur du travail ; et je suis sûr de pouvoir apprendre très vite n’importe laquelle des besognes administratives que vous avez ici, et même une bonne partie de la routine de certains emplois techniques …
« C’est probablement vrai », pensa Hadfield. L’aptitude à remplir ces emplois était fonction de l’intelligence, et Gibson en avait beaucoup. Mais on avait besoin de plus que cela, il y avait aussi des facteurs personnels. Mieux valait ne pas encourager les espoirs du candidat avant d’avoir procédé à certaines enquêtes et discuté la chose avec Whittaker.
— Voilà ce qu’il faut faire, reprit Hadfield. Déposez une demande de séjour temporaire, que je transmettrai à la Terre. Nous aurons la réponse dans une semaine environ. Naturellement, s’ils refusent, nous ne pouvons plus rien.
Gibson en doutait, sachant combien peu Hadfield tenait compte des ordonnances de la planète mère quand elles contrariaient ses plans, mais il dit simplement :
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