Arthur Clarke - La cité et les astres

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Tel un joyau resplendissant, la cité reposait au sein du désert. Elle avait autrefois connu le changement et la modification, mais le temps, maintenant, ne passait plus pour elle : jours et nuits voltigeaient sur la face du désert, mais dans les rues de Diaspar, c’était toujours l’après-midi, et le soir ne tombait jamais. Les longues nuits d’hiver pouvaient poudrer le désert de gelée blanche où se figeait le vestige d’humidité de l’air ténu de la terre : la cité ne connaissait ni chaleur ni froid. Elle n’avait aucun contact avec le monde extérieur ; elle était elle-même un univers.
Auparavant, les hommes avaient construit des villes, mais jamais aucune comme celle-là. Certaines avaient duré des siècles, d’autres des millénaires, avant que le temps ne balayât jusqu’à leurs noms. Diaspar seule avait défié l’éternité, se défendant, ainsi que tout ce qu’elle abritait, contre la lente érosion des siècles, les ravages de la vieillesse et la corrosion de la rouille.
Depuis que la cité avait été construite, les océans de la terre avaient fait leur temps, le désert recouvert le globe tout entier. Les dernières montagnes avaient été réduites en poussière par les vents et les pluies, et le monde était trop las pour en enfanter d’autres. La cité n’en avait cure. Même la Terre pouvait s’effriter, Diaspar continuerait de protéger les rejetons de ses bâtisseurs et de les transporter, eux et leurs trésors, sains et saufs sur les flots du temps.
Ils avaient beaucoup oublié, mais ils ne le savaient pas…

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Arthur C. Clarke

La Cité et les Astres

Texte français de Françoise Cousteau

ÉDITIONS DENOËL

Titre original :

THE CITY AND THE STARS

© 1960, by Éditions Gallimard, Paris.

Tel un joyau resplendissant, la cité reposait au sein du désert. Elle avait autrefois connu le changement et la modification, mais le temps, maintenant, ne passait plus pour elle : jours et nuits voltigeaient sur la face du désert, mais dans les rues de Diaspar, c’était toujours l’après-midi, et le soir ne tombait jamais. Les longues nuits d’hiver pouvaient poudrer le désert de gelée blanche où se figeait le vestige d’humidité de l’air ténu de la terre : la cité ne connaissait ni chaleur ni froid. Elle n’avait aucun contact avec le monde extérieur ; elle était elle-même un univers.

Auparavant, les hommes avaient construit des villes, mais jamais aucune comme celle-là. Certaines avaient duré des siècles, d’autres des millénaires, avant que le temps ne balayât jusqu’à leurs noms. Diaspar seule avait défié l’éternité, se défendant, ainsi que tout ce qu’elle abritait, contre la lente érosion des siècles, les ravages de la vieillesse et la corrosion de la rouille.

Depuis que la cité avait été construite, les océans de la terre avaient fait leur temps, le désert recouvert le globe tout entier. Les dernières montagnes avaient été réduites en poussière par les vents et les pluies, et le monde était trop las pour en enfanter d’autres. La cité n’en avait cure. Même la Terre pouvait s’effriter, Diaspar continuerait de protéger les rejetons de ses bâtisseurs et de les transporter, eux et leurs trésors, sains et saufs sur les flots du temps.

Ils avaient beaucoup oublié, mais ils ne le savaient pas.

Ils étaient aussi parfaitement adaptés à leur milieu qu’à eux celui-ci car, de part et d’autre, ils avaient été Créés l’un pour l’autre. Ce qui existait au-delà des murs de la ville n’intéressait point ses habitants ; c’était là quelque chose qu’ils avaient rayé de leur esprit Diaspar était pour eux tout ce qui existait, tout ce qu’il leur fallait, tout ce qu’ils pouvaient imaginer. Que l’homme eût jadis possédé les étoiles n’avait pour eux aucune importance.

Cependant, les mythes anciens revenaient parfois les hanter et ils s’agitaient, mal à l’aise, lorsqu’ils se souvenaient des légendes de l’Empire, du temps où Diaspar jeune puisait sa vitalité dans son commerce avec nombre de soleils. Ils ne désiraient pas revivre les jours passés, car ils se sentaient satisfaits de leur éternel automne. Les gloires de l’Empire appartenaient au passé et pouvaient y rester, car les habitants de Diaspar se rappelaient la fin de l’Empire et, à la pensée des Envahisseurs, le froid de l’espace même s’insinuait dans leurs os.

Alors une fois encore ils s’en revenaient vers la vie et vers la chaleur de la cité, vers le long âge d’or dont le début était déjà oublié, et la fin encore plus lointaine. D’autres hommes avaient rêvé d’un âge tel, mais eux seuls l’avaient réalisé.

Eux seuls avaient vécu dans la même ville, arpenté les mêmes rues miraculeusement immuables, tandis que plus de mille millions d’années allaient s’usant.

I

Il leur avait fallu de longues heures pour se frayer un chemin hors de la caverne des Vers Blancs. Même maintenant, ils n’étaient pas sûrs de ne pas être poursuivis par quelque monstre blafard, et le pouvoir de leurs armes était presque épuisé. Devant eux le rai flottant de lumière, leur guide mystérieux dans les labyrinthes du mont de Cristal, les dirigeait toujours. Ils n’avaient d’autre choix que de le suivre, bien qu’il risquât de les conduire, comme il l’avait fait tant de fois auparavant, vers des périls encore plus effroyables.

Alvin jeta un coup d’œil derrière lui pour voir si tous ses compagnons étaient toujours là. Alystra était tout près derrière, portant la sphère de lumière froide, mais inextinguible, qui leur avait dévoilé de telles horreurs et de telles splendeurs depuis le début de leur aventure. La pâle clarté blanche emplissait l’étroit couloir et se reflétait sur les murs brillants ; aussi longtemps que durerait le pouvoir de la sphère lumineuse, ils pourraient voir où ils allaient et détecter tous les dangers visibles. Mais les plus grands dangers dans ces grottes, Alvin le savait trop bien, n’étaient nullement ceux que l’on apercevait.

Derrière Alystra, et peinant sous le poids de leurs projecteurs, venaient Narillian et Floranus. Alvin se demanda brièvement pourquoi ces projecteurs étaient si lourds, alors qu’il eût été si simple de les équiper de neutralisateurs de gravité. Alvin pensait toujours à des détails de ce genre, même au milieu des aventures les plus désespérées. Lorsque de telles idées lui traversaient l’esprit, il semblait que vacillât un instant la structure de la réalité et que, derrière le monde des sens, Alvin entrevoyait un autre univers, totalement différent…

Le couloir se terminait par un mur nu. Le rai de lumière les avait-il encore trahis ? Non… Tandis même qu’ils s’en approchaient, la roche se mit à crouler en poussière. Le mur fut transpercé par une lance de métal tournant sur elle-même pour bientôt devenir une vis géante. Alvin et ses amis reculèrent, attendant que la machine se fût foré un chemin dans la grotte. Avec un grincement assourdissant de métal sur du roc — qui résonnait sûrement dans toute la montagne et en réveillait l’engeance de cauchemar —, le sous-terrestre jaillit du mur et vint stopper près d’eux. Une porte massive s’ouvrit et Callistron parut, leur criant de se dépêcher. (Pourquoi Callistron ? se demanda Alvin. Que fait-il ici, lui ?) Quelques instants plus tard, les jeunes gens étaient en sûreté, et la machine faisait une embardée en avant, entamant son voyage dans les profondeurs du sol.

L’aventure était terminée. Bientôt, comme toujours, ils se retrouveraient chez eux, et leur étonnement, leur frayeur, leur émotion appartiendraient au passé. Ils étaient fatigués et contents.

Alvin se rendait compte, d’après l’inclinaison du plancher, que le sous-terrestre s’enfonçait dans la terre. Sans doute Callistron savait-il ce qu’il faisait, et était-ce là le chemin qui les ramenait chez eux. C’était pourtant dommage, lui semblait-il…

« Callistron, dit soudain Alvin, pourquoi n’allons-nous pas vers le haut ? Nul ne connaît l’aspect réel du mont de Cristal. Ne serait-il pas merveilleux de surgir dehors, quelque part sur ses pentes, de voir le ciel et le paysage environnant ? Nous sommes restés bien assez longtemps sous terre. »

Alors même qu’Alvin prononçait ces mots, il savait plus ou moins qu’il était dans l’erreur. Alystra poussa un cri étouffé, l’intérieur du souterrain ondoya comme une image reflétée sur l’eau et, au-delà des murs de métal qui l’entouraient, Alvin entrevit une fois encore cet autre univers. Les deux mondes semblaient en conflit, prédominant à tour de rôle. Puis, très soudainement, tout prit fin. Il y eut une sensation de déchirure, de brisure… Et le rêve cessa.

Alvin se retrouva à Diaspar dans sa chambre familière, flottant à une cinquantaine de centimètres du sol, car le champ de gravité le protégeait du contact meurtrissant de la matière brute.

Il était redevenu lui-même. Ceci était la réalité — il savait exactement ce qui allait ensuite se produire.

Alystra fut la première à se montrer. Elle était plus inquiète que contrariée, car elle était très éprise d’Alvin.

« Oh ! Alvin ! dit-elle, le regardant du haut du mur où elle semblait s’être matérialisée, c’était une si passionnante aventure ! Pourquoi a-t-il fallu que tu gâtes tout ?

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