Arthur Clarke - Les sables de Mars

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Au prix d’efforts fantastiques, les hommes sont parvenus à s’implanter sur Mars ! Un voile de mystère recouvre cette tentative et le monde ignore encore ce qui se passe sur cette planète froide et stérile.
Martin Gibson est le premier reporter autorisé à s’embarquer sur « L’Ares », qui effectue son voyage d’essai vers la colonie sidérale. Dès le décollage, la réalité dément toutes ses prévisions ; loin d’être fastidieuse comme il se l’imaginait, cette croisière ne tarde pas à lui ouvrir les yeux sur mille problèmes insoupçonnés du public. Mais les étonnements de Gibson se multiplient à son arrivée sur Mars. S’il y découvre une étrange colonie en pleine activité, il sent aussi que l’amabilité dont on l’entoure est factice. Il fait figure d’intrus, d’indésirable. Pourquoi ?
Persuadé qu’on se ligue contre lui pour dissimuler un important secret, Gibson se met en tête d’élucider cette énigme. Il n’y parviendrait pas si, au hasard d’une exploration,une singulière trouvaille ne lui valait une soudaine célébrité parmi les colons.
A mesure qu’il pénètre plus avant dans les secrets de la cité martienne, il est gagné par l’enthousiasme. Oubliant ses devoirs de reporter pour participer à l’extraordinaire bataille que les pionniers livrent contre la sauvagerie glacée de la planète, il n’informe pas la Terre de ce qu’il apprend.
Martin Gibson est lui-même conquis par ce monde désolé mais riche de promesses, au point que le retour sur sa planète natale ne lui semble plus souhaitable,
Quels sont donc les sortilèges qui enchaînent Gibson à la première cité extra-terrestre ? Pourquoi est-il devenu un autre homme ?
La réponse à ces deux questions est enfouie dans les sables rouges des déserts de Mars.

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Il regarda son interlocuteur d’un œil soupçonneux, réalisant que l’attitude de Hadfield avait quelque chose de bizarre. En effet, un léger sourire jouait sur les lèvres de l’administrateur.

— Je crois que vous ne me prenez pas au sérieux ! protesta-t-il avec amertume.

Hadfield se redressa en sursautant.

— Au contraire ! affirma-t-il. Je vous prends plus au sérieux que vous ne le pensez !

Il joua avec son presse-papier et sembla soudain prendre une décision. Brusquement, il se pencha vers son interphone et pressa un bouton.

— Préparez-moi un « pou » et un chauffeur, dit-il. Qu’ils m’attendent devant le bloc ouest n° 1 dans une demi-heure. Puis, se tournant vers Gibson :

— Pouvez-vous être disponible à ce moment-là ?

— Eh bien, mais … je pense que oui. Je dois simplement aller chercher mon attirail respiratoire à l’hôtel …

— Bon ; alors, à tout à l’heure …

L’esprit passablement embrouillé, le romancier se trouva au rendez-vous dix minutes à l’avance. Le service des transports avait pu fournir un véhicule à temps, l’administrateur fut ponctuel comme toujours. Il donna au chauffeur des instructions que son compagnon ne put saisir, et le « pou » fut bientôt hors du dôme, sur la route qui entourait la ville.

— Gibson, ce que je fais en ce moment est assez téméraire, déclara Hadfield, tandis que le décor vert émeraude défilait de chaque côté. Voulez-vous me donner votre parole que vous ne direz rien sans mon autorisation ?

— Mais certainement ! répondit l’écrivain, un peu effrayé.

— Je vous fais confiance parce que je crois vous savoir favorable à nos idées, et aussi parce que vous avez été plus raisonnable que je ne le pensais …

— Merci, fit Martin sèchement.

— Et encore pour ce que vous venez de nous apprendre sur notre propre planète. Il me semble que nous vous devons bien quelque chose en retour.

Le « pou » avait bifurqué vers le sud, suivant la piste qui menait aux collines, et Gibson comprit soudain où ils allaient.

— Vous n’avez pas été inquiète en apprenant notre accident ? demanda Jimmy avec anxiété.

— Oh, si ! murmura Irène, terriblement même. Je ne pouvais pas trouver le sommeil en pensant à vous.

— Mais à présent que c’est fini, vous ne croyez pas que cela en valait la peine ?

— Peut-être, mais je me tourmente en me disant que dans un mois, vous serez déjà reparti. Oh ! Jimmy, qu’est-ce que nous allons devenir ?

— Leur joie s’évanouit et un profond désespoir descendit sur les deux amoureux. On ne pouvait échapper à l’implacable réalité. Dans moins de quatre semaines, l’Arès quitterait Déimos, et des années s’écouleraient peut-être avant que Jimmy puisse revenir sur Mars. C’était une perspective trop terrible pour être exprimée.

— Je ne peux pas rester ici, même si on me le permettait, reprit le jeune homme. Tant que je ne serai pas qualifié, il me sera impossible de gagner ma vie, et il me reste deux années d’études à faire, plus un voyage sur Vénus ! Il n’y a qu’une solution !

Les yeux d’Irène se mirent à briller, puis elle sombra de nouveau dans la mélancolie.

— Oh, j’y ai déjà songé, mais je suis sûre que papa n’y consentira pas.

— On ne risque rien en essayant. Je vais demander à Martin de lui en parler.

— M. Gibson ? Vous pensez qu’il acceptera ?

— J’en suis certain. Je tâcherai de me faire aussi convaincant que possible …

— Je ne vois pas pourquoi il s’en occuperait …

— Oh, il a de l’affection pour moi, dit Jimmy avec une belle et facile assurance. Je suis sûr qu’il sera d’accord avec nous. Il n’est pas juste que vous demeuriez toujours ici sans rien connaître de la Terre. Paris, New York, Londres … Voyons, vous n’avez pas vécu tant que vous n’avez pas vu cela. Vous voulez mon avis ?

— Oui.

— Votre père est égoïste en vous gardant ici.

Irène fit une petite moue. Elle aimait beaucoup son père et son premier réflexe fut de le défendre avec force, mais elle était maintenant déchirée entre deux affections et elle devinait bien laquelle des deux l’emporterait à la longue.

— Bien sûr, corrigea-t-il aussitôt, réalisant qu’il était allé trop loin, il a pour vous les meilleures intentions, mais il doit s’occuper de tant de choses ! Il a probablement oublié à quoi ressemblait la Terre et il ne conçoit pas tout ce que vous perdez ! Non, il faut partir avant qu’il ne soit trop tard.

Irène paraissait encore indécise. C’est alors que son sens de l’humour, beaucoup plus développé que celui de Jimmy, vint à la rescousse.

— Je suis certaine que si j’étais sur Terre et que vous deviez regagner Mars, vous trouveriez d’aussi bonnes raisons pour me convaincre de vous y accompagner !

Il sembla un peu choqué, avant de comprendre qu’elle ne se moquait pas vraiment de lui.

— D’accord, dit-il, c’est décidé. Je parlerai à Martin dès que je le verrai, et je lui dirai d’intervenir auprès de votre père. En attendant, oublions tout ceci, voulez-vous ?

Ce qu’ils firent sans tarder …

Le petit amphithéâtre de collines dominant Port Lowell était tel que Gibson se le rappelait, mis à part le fait que le vert de sa végétation luxuriante s’était un peu assombri, sous l’effet des prémices d’un automne pourtant encore lointain. Le « pou des sables » stoppa devant le plus important des quatre petits dômes et ils se dirigèrent à pied vers la valve d’entrée. C’était l’endroit où Gibson avait pressenti quelque chose de mystérieux lors de sa première excursion.

— Quand je suis venu ici la première fois, observa le romancier, on m’a dit qu’il fallait passer à la désinfection avant d’entrer.

— Une petite exagération destinée à décourager les intrus, répondit l’administrateur sans se démonter.

La porte extérieure s’étant ouverte à son signal, ils se débarrassèrent rapidement de leur équipement respiratoire.

— Auparavant, ajouta Hadfield, nous prenions des précautions de ce genre, mais elles ne sont plus nécessaires.

Le dernier panneau pivota et les deux hommes pénétrèrent à l’intérieur du dôme. Un employé les attendait, vêtu de la blouse blanche des services scientifiques, une blouse immaculée qui dénotait des fonctions supérieures.

— Hello, Baines ! salua Hadfield. Gibson, voici le professeur Baines. Je pense que vous vous connaissez déjà de nom, l’un et l’autre …

Le romancier n’ignorait pas qu’il serrait la main à l’un des plus fameux experts mondiaux dans la genèse des plantes. Un an ou deux auparavant, il avait appris par la presse son départ pour Mars afin d’y étudier la flore.

— Ainsi, c’est vous l’homme qui venez de découvrir l’Oxyfère, fit le savant d’un ton rêveur.

C’était un grand gaillard d’aspect rude, affichant un air distrait qui contrastait étrangement avec sa taille massive et ses traits décidés.

— C’est ainsi que vous l’appelez ? Eh bien oui, je pensais l’avoir découvert, mais je commence à avoir des doutes … avoua Martin.

— Vous avez en tout cas déniché quelque chose d’au moins aussi important, rectifia Hadfield. Mais Baines ne s’intéresse pas aux animaux, et il vaut mieux ne pas lui parler de vos amis martiens.

Ils marchaient entre des parois basses et d’apparence provisoire qui, Gibson le remarqua, partageaient le dôme en de nombreuses pièces et couloirs. Tout paraissait avoir été construit en grande hâte. C’est ainsi qu’ils passèrent devant de magnifiques appareils scientifiques installés sur de vulgaires caisses en bois. On sentait partout une ambiance d’improvisation fiévreuse. Pourtant, chose paradoxale, on ne décelait que peu d’activité et Gibson eut l’impression que le travail qu’on y avait poursuivi antérieurement avait pris fin et qu’il ne restait qu’une faible partie du personnel initial.

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