« Michel et moi. Nous avions dû à sa qualité d’astronome d’avoir une bonne place. Ce fut pour moi une glorieuse journée !
— Je vous ai peut-être rencontrée ce jour-là, dis-je. J’aidais Bernard à faire passer les clichés dans l’appareil de projection ! »
M’aidant d’une loupe, je pus reconnaître le visage de Martine, encore un peu enfantin.
Ainsi devisions-nous, soir après soir. Puis, sans que je sache très bien comment cela se passe, nous en vînmes à nous tutoyer. Et, un soir où Michel nous attendait sur le pas de la porte — nous arrivâmes la main dans la main. Comiquement, il plaça les siennes au-dessus de nos têtes.
« Mes chers enfants, en tant que chef de famille, je vous donne ma bénédiction ! »
Un peu gênés, nous nous regardâmes.
« Eh quoi ? Me serais-je trompé ? »
En même temps, nous répondîmes:
« Demande à Martine. »
« Demande à Jean. »
Puis tous trois nous éclatâmes de rire.
Le lendemain, ayant ruminé depuis longtemps mes projets, j’exposai au Conseil mon plan d’exploration.
« Pouvez-vous, demandai-je à Estranges, transformer un camion en une sorte de tank léger, blindé en dural et armé d’une mitrailleuse ? Ce serait pour explorer une partie de la surface de Tellus.
— Est-ce bien nécessaire ? dit Louis.
— Certes ! Tu n’ignores pas que nos ressources sont assez précaires. La poche de minerai de fer est à peine suffisante pour deux ans — en y allant doucement ! La plaine et le marais qui nous entourent sont très peu propices à la découverte de gisements métallifères. Il faudrait aller vers les montagnes. Peut-être là-bas trouverions-nous aussi des arbres capables de nous fournir du bois d’œuvre sans que nous ayons à massacrer les forêts qui nous restent — et il n’y en a pas beaucoup ! Peut-être découvrirons-nous des animaux utiles, de la houille, que sais-je ? Peut-être aussi un endroit sans hydres. Il est peu probable qu’elles s’éloignent beaucoup des marais.
— Combien penses-tu consommer de gas-oil ?
— Combien consomme le meilleur camion ?
— 22 litres au cent. Chargé, et en terrain varié, cela peut monter à trente.
— Mettons que j’emporte 1 200 litres. Cela me donne un rayon d’action de 2 000 kilomètres. Je ne m’éloignerai pas autant mais il faut compter avec les zigzags.
— Combien d’hommes te faut-il ?
— Sept en me comptant. Je pense prendre Beltaire, à qui j’ai enseigné à reconnaître les principaux minerais. Michel, s’il veut venir …
— Bien sûr, j’en suis ! Je vais enfin faire de l’astronomie « sur le terrain ».
— Tu me seras surtout utile pour faire le point et les levés topographiques. Pour les autres membres, je verrai. »
À l’unanimité moins une voix, celle de Charnier, le projet fut adopté. Dès le lendemain, Estranges mit les ouvriers au travail, pour faire subir au camion les transformations désirées. On choisit un camion à roues arrière jumelées. On remplaça les vitres trop fragiles, par des plaques de plexiglas, provenant des réserves de l’observatoire. Le système de fermeture des portes fut renforcé, des plaques de dural pouvant, le cas échéant, obstruer les fenêtres. La cloison entre le poste de direction et la plate-forme fut percée, la plate-forme elle-même élargie et transformée en habitacle: de forts arceaux d’acier furent recouverts de plaques épaisses de durai. Une coupole supérieure reçut une des mitrailleuses de 20 mm, le pivotement étant obtenu par un système de pédales. Nous devions emporter en plus: 50 fusées de 1 m 10 de long, à grande portée, et deux F.M., plus quatre mitraillettes. La mitrailleuse fut approvisionnée à 800 coups, les F.M. à 600 chacun, les mitraillettes à 400. Six réservoirs supplémentaires de 200 litres contenaient notre gas-oil. Six couchettes superposées par trois, une petite table pliante, des caisses pleines de vivres et servant en même temps de sièges, des instruments, des explosifs, des outils, un réservoir d’eau potable, un petit poste émetteur-récepteur achevaient d’encombrer l’espace réduit de l’intérieur et le toit. L’habitacle était éclairé par deux ampoules et trois fenêtres obturables. Des meurtrières permettaient de tirer en restant à l’abri. Sur le toit, autour de la coupole, se placèrent six pneus neufs. Le moteur fut entièrement révisé, et j’eus à ma disposition un engin assez redoutable, bien armé, capable de défier les hydres, possédant en carburant une autonomie de 4 000 kilomètres, en vivres une autonomie de 25 jours. Aux essais sur route, nous obtînmes facilement une moyenne de 60 km/h. En terrain varié, il ne fallait pas compter dépasser le 30.
Je m’occupai, en même temps, de composer l’équipage. Il devait comprendre:
Chef de mission et géologue: Jean Bournat.
Chef de camp: Breffort.
Zoologiste et botaniste: Vandal.
Navigateur: Michel Sauvage.
Prospecteur: Beltaire.
Mécanicien-radio: Paul Schœffer.
Ce dernier, ancien mécanicien navigant d’aviation, était un ami de Louis.
Je ne savais comment choisir le dernier membre. J’aurais bien emmené Massacre, mais sa présence était au moins aussi indispensable au village. Je laissai ma liste incomplète sur la table.
Quand je revins, elle portait, de l’écriture hardie de Martine:
Cuisinier et infirmier: Martine Sauvage.
Malgré toutes mes supplications et celles de son frère, il fut impossible de lui en faire démordre. Comme elle était robuste, courageuse et excellente tireuse, je ne fus pas fâché outre mesure d’avoir à céder. J’étais d’ailleurs convaincu que notre « tank » nous offrait un maximum de sécurité.
Nous fîmes nos derniers préparatifs. Chacun casa comme il put les quelques livres ou objets personnels qu’il voulait emporter. Chacun prit possession de sa couchette. Il y avait bien 60 centimètres de haut entre elles ! Martine prit la plus haute à droite, moi la plus haute à gauche. J’avais sous moi Vandal et Breffort, elle avait sous elle Michel et Beltaire. Schœffer devait coucher sur la banquette du conducteur, la cabine étant assez large pour ses 1 m 60. Comme la température risquait d’être étouffante, nous installâmes encore un ventilateur. Une trappe, s’ouvrant à côté de la coupole, permettait de monter sur le toit. Mais, au moindre danger, tout le monde devait rentrer immédiatement.
Nous prîmes place, un matin, à l’aube bleue. Je me mis au volant, avec Michel et Martine à côté de moi Vandal, Breffort et Schœffer montèrent sur le toit. Beltaire était au poste de mitrailleur, dans la tourelle, relié à moi par téléphone. Je m’étais assuré que chacun de nous, y compris Martine, était capable de conduire, tirer à la mitrailleuse, réparer les pannes les plus fréquentes. Après avoir serré la main à nos amis et embrassé mon oncle et mon frère, je mis le moteur en marche. Nous roulâmes dans la direction du château. Dans la tourelle, Beltaire agita longtemps la main, en réponse au mouchoir d’Ida. J’étais exalté et heureux, chantant à tue-tête. Nous dépassâmes les ruines, longeâmes la voie ferrée, et par la route nouvelle que nous avions construite — une piste plutôt — nous arrivâmes à la mine de fer. J’eus la satisfaction de trouver les guetteurs à leurs postes. Quelques ouvriers allaient et venaient avant de commencer le travail, d’autres cassaient la croûte. Nous échangeâmes des signes amicaux. Puis nous commençâmes à rouler sur la plaine, parmi les herbes telluriennes. Au début, par-ci, par-là, nous vîmes des plantes terrestres. Elles disparurent vite. Une heure plus tard, nous dépassâmes les ultimes ornières, traces de mes reconnaissances, et nous nous enfonçâmes dans l’inconnu.
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