Theodore Sturgeon - Vénus plus X

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On a volé Charlie Johns. Qui ? Le peuple de Ledom, un monde libre, sans contrainte, sans guerre, sans peur. Un monde sans reproches dont tous les habitants sont bisexués, à la fois mâle et femelle. Bref, le paradis pour Charlie, Homo Sapiens du XXeme siècle ! Jusqu'au jour où il découvre ou il est. Pourquoi il y est. Comment il y est arrivé et ce que sont exactement « ceux-celles » qu'il désigne du nom de vénus plus X.

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— À quoi bon ? Nous avons le cérébrostyle.

— Osséon m’en a parlé. Je n’y ai pas compris grand-chose.

— Je n’y comprends pas grand-chose non plus, mais je t’assure que ça fonctionne.

— Alors, vous vous en servez pour enseigner, pour remplacer les écoles ?

— Non. Oui.

Cette réponse fit rire Charlie.

Philos rit aussi avant de dire :

— Ma réponse n’est pas aussi confuse qu’elle en a l’air. Le « non » était destiné à l’idée d’enseignement. Nous n’enseignons pas à nos enfants le genre de savoir qu’on trouve dans les livres. Nous le leur implantons à l’aide du cérébrostyle. C’est rapide — il suffit de choisir le bloc adéquat et d’enfoncer un interrupteur. Les (il utilisa un terme technique, sans équivalent en anglais, signifiant à peu près « cellules mémorielles inutilisées et disponibles »,) et les relais synaptiques qui y conduisent sont localisés et il ne reste plus qu’à « imprimer » dans l’esprit l’information voulue. Cela ne prend que quelques secondes. Puis le bloc peut recevoir un nouveau sujet. Mais l’enseignement, c’est tout de même autre chose. Cette information implantée, si elle fait l’objet du moindre enseignement, c’est de la part de l’esprit même dans lequel elle a été implantée. Je veux dire qu’on peut soi-même réfléchir, passer mentalement en revue l’information ainsi acquise — c’est beaucoup plus rapide que la lecture, au demeurant — soit pendant qu’on se livre à une activité purement manuelle, soit au cours d’une « pause ». Tu te souviens du jeune Ledom que nous avons rencontré avant d’arriver à la maison de Grocide ? De là à parler d’enseignement proprement dit… Enseigner est un art. C’est un art que l’on peut apprendre, tout comme apprendre est un art qui s’apprend. Tout le monde peut essayer — et nous le faisons tous — d’acquérir une certaine compétence en la matière, et ça demande du travail. Mais un véritable enseignant, c’est quelqu’un qui a un talent, un don particulier, comme un grand artiste, un musicien, un sculpteur. Nous tenons l’enseignement et les professeurs en haute estime. Enseigner est un aspect de l’amour, tu sais, ajouta-t-il.

Charlie songea à la froide, dure et repoussante Miss Moran, à son agonie, et un grand éclair de compréhension chaude le traversa. Il songea à Laura.

— Nous nous servons du cérébrostyle, poursuivit Philos, comme nous nous servons du champ-A : sans en dépendre. C’est pourquoi nous n’en avons pas besoin. Nous apprenons à lire et à écrire et nous possédons des livres en grand nombre ; tout Ledom qui le désire peut les lire. S’il s’agit d’un ouvrage non enregistré, nous lui demandons simplement de se placer sous cérébrostyle, pendant sa lecture pour enregistrer l’ouvrage sur un nouveau bloc.

— Ces blocs… Ils peuvent contenir tout un volume ?

Philos montra ses deux pouces côte à côte : — Dans un espace à peu près aussi réduit que ça, oui… Et nous savons fabriquer du papier et imprimer des livres, de sorte que, si nous y étions un jour contraints, nous pourrions le faire. Tu dois comprendre, nous refusons d’être, nous ne serons jamais, les esclaves de notre confort, de nos techniques.

— C’est une bonne chose, dit Charlie, dont l’esprit s’emplit aussitôt des nombreux, très nombreux exemples de mauvaises choses qu’il avait connues : industries entières paralysées par la grève des garçons d’ascenseur du siège social ; calvaire des citadins soudain privés d’électricité par une panne : privés d’eau, de chauffage, de cuisinière, de lessive, sans lumière, sans radio, sans télé, sans cinéma, sans ascenseur, etc.

Mais…

— Malgré tout, hasarda-t-il, il y a dans tout ça quelque chose qui ne me plaît guère… Avec ce moyen, vous pouvez à loisir sélectionner tel bloc et implanter dans les esprits tout un système de croyances et d’assujettissements… Créer un système esclavagiste qui laisserait loin derrière lui, comme des plaisanteries anodines, les plus affreux totalitarismes que nous ayons connus.

Absolument impossible ! protesta énergiquement Philos. Et de toute façon, nous ne le voudrions pas ! On n’aime pas — et on n’est pas aimé — par la coercition, la tricherie et le mensonge.

— Vraiment pas ? demanda Charlie.

— Nous connaissons les différentes fonctions et les diverses localisations du cerveau. Le cérébrostyle est un instrument de transfert de l’information. Pour implanter de fausses doctrines, il faudrait être en mesure d’effacer simultanément l’ensemble des autres souvenirs et la totalité des informations apportées par les sens ! Les données de tout nouveau cérébrostyle sont nécessairement confrontées à la totalité du savoir déjà constitué, à la totalité de l’expérience passée et, au fur et à mesure, à la totalité de l’expérience à venir. Même si nous le voulions, nous serions dans l’impossibilité d’enseigner la moindre incohérence : elle ne résisterait pas à l’examen.

— Alors il ne vous arrive jamais de censurer certaines informations ?

Philos eut un petit rire : — Tu vas vraiment au fond des choses quand il s’agit de trouver le défaut, n’est-ce pas ?

— Eh bien, dit Charlie, vous arrive-t-il oui ou non de censurer certaines informations ?

Le rire de Philos s’arrêta net. Il dit d’une voix égale :

— Bien sûr que oui. Nous n’apprendrions pas à un enfant à fabriquer de l’acide nitrique. Nous éviterions de parler à un Ledom des hurlements de douleur qu’a poussés son compagnon pris dans un éboulis…

— Mmmm… (Ils firent quelques pas en silence… un Ledom et son compagnon …) Vous vous mariez donc ?

— Oh oui ! Être amants est un grand bonheur. Mais être mariés… c’est un bonheur à un tout autre niveau. C’est pour nous un lien solennel que nous prenons très au sérieux. Tu connais Grocide et Nassiv.

La lumière se fit soudain dans l’esprit de Charlie.

— Ils s’habillent de la même façon…

— Ils font tout de la même façon ou du moins, ensemble. Oui, ils sont mariés.

— Est-ce que vous… est-ce que les gens… heu…

Philos lui donna une tape sur l’épaule.

— Je sais que les choses du sexe te préoccupent, fit-il. Vas-y ! Interroge-moi, nous sommes entre amis…

— Mais pas du tout, ça ne me préoccupe pas du tout !

Ils poursuivirent leur chemin en silence. Charlie boudait. Philos se mit soudain à chanter à bouche fermée, reprenant une mélodie qui parvenait jusqu’à eux depuis un groupe d’enfants au loin, dans les champs… La mauvaise humeur de Charlie n’y résista pas. Il se rendit compte que dans ce domaine, essentiellement, tout est relatif. De fait, les Ledom étaient moins préoccupés que lui des choses du sexe. Comme il l’était lui-même moins que les ménagères de l’ère victorienne, qui mettaient des jupes aux jambes des pianos et n’auraient jamais rangé, sur un rayon de bibliothèque, l’ouvrage d’un auteur masculin à côté de celui d’une femme, sans que les deux ne fussent mariés !

Du ton le plus dégagé qu’il pût, il demanda donc :

— Et les enfants ?

— Quoi, les enfants ?

— Eh bien, je ne sais pas, moi… supposons qu’un enfant… que les parents ne soient pas mariés…

— C’est la situation la plus courante.

— Et ça ne fait aucune différence ?

— Ni pour l’enfant, ni pour les parents…

— Pourquoi se marier, alors ?

— Parce que le tout, cher Charlie Johns, est supérieur à la somme de ses parties.

— Je vois.

— Tu m’accorderas que l’expression la plus achevée de la sexualité est l’orgasme mutuel ?

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