- Mais c'est pas possible ?! fulmine le père en tapant du pied toutes les cinq secondes, comme un enfant en plein caprice. Qu'est-ce qu'il faut faire ? demande-t-il au garagiste, sans même le regarder.
- Faut appeler la police ! lui répond l'homme en rajustant sa casquette. Allez, à la prochaine !
Le garagiste remonte en sifflotant dans sa dépanneuse et repart tranquillement. Armand reste là, hébété au milieu de la cour, ne sachant plus quoi faire.
- Chéri ?! crie sa femme.
Armand se retourne et voit sa cruche de femme qui justement en exhibe une.
- J'ai réussi à faire de la limonade ! dit-elle avec bonheur, des sparadraps pratiquement sur tous les doigts.
Chapitre 16
Archibald entre dans son grenier qui fait office de bureau, de boudoir et, maintenant, de mur des lamentations. Le pauvre homme est abattu et semble même avoir rétréci, tellement sa tristesse est grande. Son petit-fils est toujours porté disparu et il n'y a rien au monde qui le chagrine davantage. Arthur c'est son rayon de soleil, sa joie de vivre. C'est le souvenir permanent de ce qu'il était, un petit garçon turbulent et plein de vie, bouillonnant d'énergie à chaque seconde, s'émerveillant de tout et surtout prêt à toutes les aventures. Mais Archibald est toujours revenu sain et sauf de ses jeux d'enfants. Arthur, lui, est parti pour une aventure d'une autre dimension. Ce n'est pas un jeu auquel il est en train de participer, c'est une guerre.
Archibald se laisse tomber dans son fauteuil et pousse un grand soupir. Il tient entre ses doigts le wagon du train électrique qu'il a trouvé par terre. Le jouet est complètement éventré et Archibald secoue la tête en souriant. Comment peut-il mettre ses jouets dans un tel état ? se demande-t-il, presque admiratif.
Il rassemble les morceaux du toit déchiqueté et cherche son pot de colle à maquette. Mais quelque chose l'intrigue à l'arrière du wagon. Un objet qu'il n'avait jamais remarqué. Archibald saisit sa loupe et l'approche du balcon situé à l'arrière du wagon. Il y découvre, assis les jambes dans le vide, Darkos. Ce dernier semble complètement éteint. On dirait
Bourriquet, le fidèle ami de Winnie l'ourson, tellement il a l'air déprimé.
- Que fais-tu là, Darkos ? lance Archibald, nullement inquiet, vu leur différence de taille.
Mais c'est précisément cette différence de taille qui pousse Darkos à se mettre les mains sur les oreilles.
- C'est pas la peine de hurler comme ça !! Je ne suis pas sourd !! hurle ce dernier qui a soudain retrouvé sa vigueur.
- Quoi ? J'entends rien ! répond Archibald en tendant l'oreille.
En voilà deux qui avaient déjà du mal à communiquer avant et c'est pas parti pour s'arranger.
Le grand-père réfléchit une seconde, fouille dans un tiroir, sort un micro, le branche à un ampli et le pose juste devant le wagon.
- Vas-y, parle ! chuchote Archibald. Parle dans la machine !
Darkos s'approche du micro avec réticence et tape dessus. Un bruit assourdissant envahit aussitôt la pièce, comme un écho en pleine montagne.
- Tu m'entends ?! hurle soudain Darkos.
Archibald fait un bond en arrière en se tenant les oreilles.
- Tu m'appelles ? demande Marguerite, probablement allongée dans la chambre voisine.
- Euh... non, mon cœur ! Tout va bien ! Je... je faisais des essais de microphone ! explique Archibald, tout en baissant le niveau de l'amplificateur. Qu'est-ce que tu fais là ? demande- t-il à voix basse à Darkos.
- Je ne sais pas ! répond Darkos en haussant les épaules. J'ai suivi Arthur et Sélénia. Je voulais leur faire la peau et puis mon père est arrivé et... m'a abandonné une nouvelle fois !
Le guerrier a l'air bien déprimé et il n'en faut pas davantage pour attendrir un petit grand-père comme Archibald.
- Sais-tu où est Arthur maintenant ? demande-t-il gentiment.
- Il est parti chez la reine des abeilles lui demander de la liqueur de miel, afin de grandir et pouvoir courir après mon père ! annonce Darkos sans enthousiasme.
Archibald comprend mieux la situation. Arthur fait tout pour empêcher Maltazard de nuire. Il est probablement venu jusqu'au bureau pour attraper la fiole, mais M a été plus rapide que lui.
- Exactement ! confirme Darkos. Il voulait boire le contenu de la fiole pour retrouver sa vraie taille.
- Maltazard va sûrement aller en ville et la mettre à feu et à sang, murmure Archibald, en se rongeant déjà les sangs. Il faut que je fasse quelque chose ! Je ne peux pas laisser Arthur se battre seul contre ce monstre ! s'exclame le grand- père en se levant tout à coup.
Il attrape son fusil de chasse, qui pend au mur depuis des siècles, se coiffe d'un magnifique casque colonial et s'apprête à sortir, aussi ridicule qu'un acteur d'opérette.
- Archibald ! crie Darkos dans le microphone.
Archibald sursaute et le coup part tout seul. Le lustre tombe à ses pieds comme un oiseau foudroyé en plein vol. Archibald regarde son tableau de chasse avec embarras.
- Qu'est-ce que tu fabriques ? hurle Marguerite, toujours allongée dans la chambre voisine.
- C'est rien ! Je fais un peu de ménage !! répond Archibald.
- Il serait temps ! lance la grand-mère, de l'autre côté mur.
Darkos s'est rapproché du micro.
- Archibald, laisse-moi t'aider ! Je connais Maltazard par cœur, ses défauts et ses faiblesses. Je peux t'être utile. Laisse- moi passer dans ton monde et je t'aiderai à le mettre hors d'état de nuire.
Archibald revient à son bureau et s'assied. La proposition est alléchante. C'est vrai qu'un guerrier comme Darkos ferait de l'effet au sein d'une armée qui ne compte qu'un vieillard et un enfant. Mais comment être sûr qu'il ne s'agit pas, une fois de plus, d'une ruse de guerrier, justement. Comment lui faire confiance ? Une fois qu'il mesurera deux mètres, qui pourra l'empêcher de rejoindre son père et de s'allier à nouveau à lui ? Leurs forces conjointes deviendraient une arme redoutable et personne ne pourrait plus les empêcher de détruire le monde.
- Je n'ai jamais eu envie de dominer le monde et encore moins de le détruire ! lâche Darkos en baissant les yeux. Ce que je voulais, moi, c'était pouvoir jouer avec mes copains, comme tous les enfants de mon âge, mais mon père m'en a toujours empêché. Il me disait sans arrêt que j'étais d'une race supérieure et que je ne pouvais pas me mêler aux autres, que de hautes fonctions m'attendaient et que je devais dès à présent m'y préparer. Mais ses espoirs n'étaient pas les miens. Moi je voulais juste être comme tout le monde et faire partie de cette grande famille.
Archibald ne s'attendait pas à de tels aveux et il est au bord des larmes.
- Je dois parler à mon père, lui faire comprendre que le chaos et la destruction ne lui amèneront jamais la paix. On ne soigne pas la douleur par la douleur. Je dois le lui dire, et je le combattrai s'il ne veut pas entendre raison.
Archibald saisit sa loupe, la rapproche de Darkos et l'observe un long moment.
- Je vais te faire confiance, car chacun d'entre nous mérite d'avoir une chance de se racheter. Mais si jamais tu me mens et que tout ceci n'est qu'un piège, le ciel te punira ! menace le vieil homme.
- Je préférerais mourir de honte plutôt que de te trahir, répond Darkos, en bon guerrier qu'il est.
Archibald prend alors un livre sur l'étagère et plonge la main dans le trou qu'il a laissé. Il ressort une deuxième petite fiole, identique à la première.
- Tu... tu avais caché une autre fiole ? bégaye Darkos, impressionné par ce tour de magie.
- Eh oui ! fait Archibald en souriant. J'ai appris à connaître ton père pendant ces longues années de prison qu'il m'a fait subir. Je sais maintenant qu'il ne faut jamais le sous-estimer et toujours être prévoyant.
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