Luc Besson
Arthuret les minimoys
D'APRÈS UNE IDÉE ORIGINALE DE CÉLINE GARCIA
INTERVISTA
© 2002 INTERVISTA / © 2002 EUROPACORP
ISBN 2-910753-22-0
« Droits réservés pour tous pays »
Imprimé en Italie
Chapitre 1
La campagne était comme à son habitude, ondulante et verdoyante, rasée de près par un soleil tranchant. Un ciel d'azur veillant sur elle, des petits nuages en coton prêts à jouer les sauveurs.
La campagne était belle, comme tous les matins de ces longues vacances d'été dont même les oiseaux semblaient profiter paresseusement.
Rien dans cette belle matinée ne pouvait laisser présager la terrible aventure qui allait débuter.
Au milieu de cette vallée, il y a ce bout de jardin en bord de rivière et surtout, cette maison au style étrange. Vaguement coloniale, sûrement briarde, elle est tout en bois, avec un long balcon. Sur le côté, un grand garage servant plutôt d'atelier, sur lequel vient s'adosser une grosse citerne en bois.
Un peu plus loin, une vieille éolienne surveille le jardin, comme un phare surveille ses bateaux. Elle semble tourner pour nous faire plaisir. Il faut dire que dans ce petit coin de paradis, même le vent souffle gentiment. Pourtant, aujourd'hui, c'est un souffle de terreur qui va envahir cette paisible maison. La porte d'entrée explose littéralement et une grosse dame vient prendre possession du perron. « Arthur ?!!! », hurle-t-elle, à en perdre une dent.
La Mamie a la soixantaine. Elle est plutôt ronde, même si sa belle robe noire, bordée de dentelle, a pour mission de dissimuler ses rondeurs.
Elle finit de mettre ses gants, ajuste son chapeau et tire violemment la cloche.
« Arthur ?! », hurle-t-elle encore une fois, mais elle n'obtient toujours pas de réponse.
« Où est-il encore passé ? Et le chien ? Disparu lui aussi ?.. Alfred ?! »
La Mamie gronde comme un orage lointain. Elle n'aime pas être en retard.
Elle fait demi-tour et entre à nouveau dans la maison.
L'intérieur est décoré sobrement mais avec goût. Le parquet est bien ciré et la dentelle a envahi tous les meubles, comme le lierre envahit les murs.
Mamie pose ses pieds sur les patins et traverse le salon en grommelant :
« C'est un excellent chien de garde, vous verrez ! Comment ai-je pu me faire avoir aussi bêtement ?! » Elle arrive à l'escalier qui monte aux chambres. « Je me demande bien ce qu'il garde, ce chien-là ! Il n'est jamais à la maison ! Comme Arthur ! Des vrais courants d'air ces deux-là ! », bougonne-t-elle tout en ouvrant la porte d'une chambre. Visiblement, c'est celle d'Arthur. Elle est plutôt bien rangée pour une chambre d'enfant, mais la tâche semble aisée vu qu'il n'y a presque pas de jouets, sauf quelques-uns en bois datant d'une autre époque. « Pensez-vous qu'ils s'inquiètent de voir leur pauvre grand-mère leur courir après toute la journée ?! Rien du tout ! », se plaint-elle, tout en avançant jusqu'au bout du couloir. « Je ne demande pourtant pas grand-chose ! Juste qu'il s'arrête cinq minutes par jour ! Comme tous les enfants de son âge ! », dit-elle en levant les yeux au ciel, mais elle s'arrête d'un seul coup. Une idée a germé. Elle écoute la maison, étrangement silencieuse. La Mamie se met à parler à voix basse. « Cinq minutes de calme... Où il pourrait jouer calmement... dans un coin... sans faire de bruit...», murmure-t-elle en glissant vers le fond du couloir.
Elle s'approche de la dernière porte où l'on peut lire, gravé sur une planche de bois : « Entrée interdite ».
Elle ouvre doucement la porte pour surprendre d'éventuels intrus.
Malheureusement, la porte la trahit d'un grincement faible mais sournois.
Mamie grimace, du coup on dirait que le grincement lui sort de la bouche.
Elle passe la tête dans la pièce interdite.
Il s'agit d'un grenier aménagé en vaste bureau, un mélange de joyeuse brocante et d'atelier d'un professeur un peu fou. De part et d'autre du bureau, une large bibliothèque regorgeant de vieux livres reliés en cuir. Au-dessus, une bannière en soie décore la soupente et nous livre une énigme : « Les mots en cachent souvent d'autres », peut-on y lire. Notre savant est donc aussi philosophe.
La Mamie avance doucement au milieu de ce bric à brac, à tendance franchement africaine. Des lances un peu partout semblent avoir poussé du sol comme des bambous. Une superbe collection de masques africains est accrochée au mur. Ils sont magnifiques, sauf... celui qui manque. Un clou est tout seul au milieu du mur.
La Mamie tient là son premier indice. Elle n'a plus qu'à suivre les ronflements qui sont de plus en plus perceptibles.
Mamie avance encore un peu et découvre Arthur, allongé à même le sol, le masque africain sur le visage, ce qui amplifie ses ronflements.
Évidemment, Alfred est allongé à ses côtés et sa queue bat la mesure sur le masque en bois.
La Mamie ne peut s'empêcher de sourire devant cet émouvant tableau.
« Tu pourrais quand même répondre quand je vous appelle ! Ça fait une heure que je vous cherche ! », murmure-t-elle au chien, pour ne pas réveiller Arthur trop brutalement. Alfred fait son mignon.
« Oh, prends pas ton petit air malheureux comme ça ! Tu sais très bien que je ne veux pas que vous veniez dans la chambre de grand-père et que vous touchiez à ses affaires ! », dit-elle avec fermeté, avant d'enlever doucement le masque du visage d'Arthur.
Sa petite tête d'ange polisson apparaît dans la lumière. La Mamie fond comme neige au soleil. C'est vrai que lorsqu'il dort, on en mangerait de ce petit lapin aux taches de rousseur et aux cheveux en bataille. Et puis c'est tellement bon de voir l'innocence qui se repose, de voir un petit bonhomme désarticulé par l'insouciance.
La Mamie soupire de bonheur devant ce petit ange qui remplit sa vie.
Alfred couine un peu, sûrement par jalousie. « Oh toi, ça va ! Je serais à ta place, je me ferais oublier cinq minutes », lui lance-t-elle. Alfred semble comprendre l'avertissement.
La Mamie pose gentiment la main sur le visage de l'enfant. « Arthur ?! », murmure-t-elle gentiment, mais les ronflements s'accentuent. Elle sort sa grosse voix.
« Arthur ?! », tonne-t-elle dans la pièce qui s'en fait l'écho. Le gamin se redresse en sursaut, en désordre, en pleine bataille.
« Au secours ! Une attaque ! À moi mes hommes ! Alfred ?! Formez le cercle ! », balbutie-t-il à moitié endormi. La Mamie l'attrape énergiquement.
« Arthur, calme-toi ! C'est moi ! C'est Mamie ! », lui répète-t-elle à plusieurs reprises. Arthur reprend ses esprits et semble réaliser où il se trouve et surtout face à qui.
- Excuse-moi Mamie... J'étais en Afrique.
- Je vois ça ! répond-elle en souriant... Et tu as fait bon voyage ?
- Formidable ! J'étais avec Grand-père, dans une tribu africaine. Des amis à lui, lance-t-il en aparté.
La Mamie acquiesce et se prête au jeu.
- On était entourés par des dizaines de lions féroces, sortis de nulle part !
- Oh mon Dieu ! Et qu'as-tu fait pour te sortir d'une pareille situation ? s'inquiète (faussement) la Mamie.
- Moi, rien, répond-il modestement. C'est Grand-père qui a tout fait ! Il a déployé la grande toile et on la tendue, au beau milieu du bush !
- Une toile ? Quelle toile ? interroge la Mamie.
Arthur est déjà debout et monte sur une caisse pour atteindre le rayon qui l'intéresse dans la bibliothèque.
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