Peter et Valeria restèrent sur le bord, interdits.
— Alors vous descendez, ou quoi ? demanda Stefan à voix basse.
Une fois la trappe refermée sur eux, Stefan alluma une lampe de camping à gaz. Ses deux compagnons découvrirent l’endroit avec stupéfaction. La pièce n’était pas très grande, assez basse et voûtée. Sur des étagères de fortune, des dizaines de boîtes de conserve étaient alignées. Stefan avait installé une table bricolée devant laquelle trônait une caisse en guise de siège.
— C’est pour cette cachette que j’ai choisi le chalet en location, expliqua le jeune homme. Il m’a fallu des semaines pour la trouver et l’aménager sans me faire repérer. Ici, nous pouvons parler tranquilles.
Il leur désigna un vieux lit de camp.
— Asseyez-vous, dit-il. J’ai beaucoup de questions à vous poser et j’imagine que vous en avez aussi. En mettant en commun ce que nous savons tous les trois, nous pourrons peut-être sortir du brouillard.
Valeria s’assit. Peter préféra s’appuyer contre le mur. Sa tête touchait presque la voûte.
— Où est la mallette ? demanda-t-il, toujours un peu méfiant.
Stefan sortit un canif de sa poche et se dirigea vers la carte fixée sur le mur du fond. Il la détacha et promena sa main sur les pierres, s’arrêtant sur une que rien ne semblait distinguer des autres. Avec minutie, il gratta le joint de terre et de mousse et la descella avant de faire de même avec ses voisines. Il glissa son bras dans la niche ainsi dégagée et en extirpa l’attaché-case, qu’il posa avec cérémonie sur la table. Valeria se leva, irrésistiblement attirée par l’objet couvert de vase séchée. Elle avait la gorge serrée. Peter ne quittait pas la mallette des yeux.
— Avant que vous l’ouvriez, déclara Stefan, je souhaite vous faire part de deux ou trois choses que j’ai apprises. Vous pouvez me prendre pour un fou, un paranoïaque de la pire espèce, pourtant je suis comme vous. Depuis quelques mois, pour moi aussi, le rêve de la chapelle revenait de plus en plus souvent. Alors, j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai fait des recherches et j’ai fini par découvrir son existence au département Écologie et Environnement de l’université de Munich, où je fais mes études.
— Écologie ? s’étonna Valeria.
— C’est un service qui répertorie les sites historiques ou naturels mis à mal par les projets industriels. Comme vous le savez, la chapelle s’est trouvée engloutie après la construction d’une série de barrages. Elle était recensée comme vestige perdu. Le fait de savoir qu’elle existait bel et bien n’a pas apaisé mes rêves, bien au contraire. Cette chapelle est devenue une véritable obsession. Sur le campus, nous avons un département qui étudie le sommeil. L’homme qui le dirige, Julius Kerstein, est un spécialiste très réputé. J’ai décidé d’aller lui parler de ce qui m’arrivait. Je n’étais pas certain de son accueil, j’avais peur qu’il ne m’envoie balader avec mes histoires à dormir debout, mais il m’a reçu. Je lui ai décrit mes visions répétitives, leur précision et le fait qu’elles soient liées à une région où je n’avais jamais mis les pieds.
« Afin de m’aider à déterminer l’origine de mon rêve, il m’a proposé une expérience. En me questionnant sous hypnose, il se disait capable de définir si j’avais été influencé par une image ou un reportage aperçu quelque part, peut-être dans ma petite enfance. Il était certain de réussir à déterminer d’où me venaient mes visions. Trop heureux, j’ai accepté.
Peter détacha enfin son regard de la mallette et s’assit sur la caisse. Valeria se posta à côté de lui. Stefan reprit :
— Dès le lendemain, je suis retourné voir le professeur. Il m’a installé dans un fauteuil. Rapidement, il m’a endormi. Je suis resté près d’une heure sous hypnose, ce qui, renseignements pris, est très long. Je ne me souviens de rien : ni des questions qu’il m’a posées ni de mes réponses. Il enregistrait l’entretien pour que nous puissions en faire l’analyse ensuite.
Lorsqu’il m’a réveillé, il semblait troublé, bouleversé même, alors que c’est un homme d’habitude très sûr de lui et d’une remarquable prestance. En quelques phrases, souvent hésitantes, il m’a annoncé que mon cas était intéressant mais qu’en fin de compte il ne serait peut-être pas en mesure de m’aider. Il n’a rien ajouté de précis. Je lui ai posé des questions, j’étais intrigué, vous pouvez vous en douter. Il a simplement comparé mon cas à celui, célèbre selon ses dires, d’un ouvrier anglais travaillant dans les mines de charbon qui avait défrayé la chronique au début du XXe siècle. Ce type jouait du piano à la perfection sans jamais avoir appris. Reconnaissant ce qu’il jouait comme l’œuvre d’un pianiste disparu, un savant de l’époque avait eu l’idée de l’interroger sous hypnose. Il en avait conclu que cet ouvrier devait être la réincarnation du musicien…
— Réincarnation ?
Peter eut un sourire dubitatif. Stefan décida de l’ignorer et continua :
— Je suis rentré chez moi. La comparaison de Kerstein et l’évocation d’une réincarnation m’ont tourné dans la tête. Je n’en dormais plus. J’ai alors eu l’idée de procéder à des investigations à partir de mon état civil. J’ai consulté les journaux, les archives, j’ai écumé Internet pour savoir ce qui avait bien pu se passer le jour de ma naissance. Je n’ai découvert qu’un seul fait qui puisse coller, un truc incroyable : le même jour, un couple de savants a été abattu.
— Quel est le rapport ? demanda Valeria. Des centaines de gens ont dû mourir ce jour-là dans le monde.
— 188 456 précisément, répondit Stefan. Mais aucun, sauf ce couple, n’a vécu à six kilomètres de la chapelle Sainte-Kerin…
— Tu te fais un film, commenta Valeria. Il peut s’agir d’un pur hasard. Et cela n’explique pas ce que nous viendrions faire là-dedans.
— Ils formaient un couple, argumenta Stefan. Et ce n’est pas tout. Quelle est votre date de naissance ?
— 26 septembre 1990, répondit Valeria.
— Exactement comme moi, constata Stefan. Je l’aurais parié.
— 4 octobre 1990, dit à son tour Peter.
— Cela nous amène à l’une des questions que je me pose, reprit Stefan. Il se peut que Valeria et moi ayons un lien avec le couple de savants, mais alors toi, Peter, d’où te vient ce rêve ? Quelle est ta place dans cette histoire ?
Valeria secoua la tête.
— C’est insensé, déclara-t-elle. Je ne marche pas. Tout cela n’est que le fruit du hasard. On est des milliers à être nés le même jour.
— 223 622, stipula Stefan. Mais sur le nombre, nous ne sommes que deux à avoir été attirés par cette chapelle…
Peter se prit la tête entre les mains.
— Dans quoi sommes-nous embarqués ? grogna-t-il.
— Il y a plus inquiétant, enchaîna Stefan. Après mes recherches sur le Net au sujet de ce couple de savants, les ennuis ont commencé pour moi. Les flics ont débarqué et ont posé toutes sortes de questions. D’autres sont allés fouiner du côté de mon université. Ils ont interrogé mes professeurs, mes potes, jusqu’à mon entraîneur au club de basket ! Mes parents sont décédés dans un accident voilà deux ans ; ils m’ont laissé assez pour vivre sans que j’aie de soucis, et depuis j’habite chez mon oncle. J’étais un étudiant plutôt bosseur, sans histoire… juste une soirée entre copains ou une virée avec les filles de temps en temps. Pas du tout le profil à susciter l’intérêt des flics.
— Une enquête est toujours possible, intervint Peter. Tu accordes trop d’importance à tout ça.
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