— Qu’est-ce qui te prend ? demanda Peter. Depuis tout à l’heure, tu es bizarre…
Il pivota brusquement et braqua sa lampe sur sa partenaire.
— Ce matin tu voulais partir, ensuite tu pleures, puis tu racontes que tout le village s’intéresse à notre histoire, et ce soir, tu plaisantes comme si nous faisions une chasse au trésor chez les scouts. T’es inconsciente ou quoi ? Je me méfie aussi de ce rendez-vous à la noix. J’ai pas envie de me faire flinguer, moi. J’y vais parce que je n’ai vraiment pas le choix.
Valeria n’en revenait pas. Il était en train de la sermonner comme une gamine !
— D’accord, se renfrogna-t-elle. Je dois t’avouer un petit secret.
Peter la regarda d’un air soupçonneux.
— Primo, c’est vrai que je voulais rentrer chez moi. Secundo, c’est vrai que toutes les commères du village croient que nous deux c’est une affaire qui roule.
Peter s’approcha de Valeria, qui dansait d’un pied sur l’autre et le regardait d’un drôle d’air.
— Mais qu’est-ce qui t’arrive ? s’énerva-t-il.
Il marqua un temps et renifla.
— Mais… On dirait que tu sens l’alcool ! s’exclama-t-il soudain, indigné.
— J’y viens, fit-elle, en dressant un index en l’air. J’en étais à tertio, c’est vrai que j’ai les chocottes et que je vais peut-être même encore pleurer. Alors, pour me donner un peu de courage, tout à l’heure, j’ai sifflé un grand verre du whisky de Madeline. J’ai cru que j’allais mourir tellement ça m’a brûlé la gorge, mais maintenant, je me sens bien…
— C’est pas vrai ! fit Peter en levant les bras au ciel. Dites-moi que je rêve !
— Et tu vois la chapelle ? demanda Valeria en s’étouffant de rire.
Peter la fusilla du regard et consulta sa montre :
— Nous avons rendez-vous dans une heure et demie. Si d’ici là, on croise un ruisseau, je te jure que je te fiche la tête dedans.
Furieux, il tourna les talons et reprit sa marche.
— Nous avons une bonne et une mauvaise nouvelles.
— Ne jouez pas à cela avec moi.
— La bonne, c’est que les millions de dollars dépensés depuis des années n’auront pas été inutiles.
— Et la mauvaise ?
— Nous n’avons aucune idée de ce à quoi nous sommes confrontés. Il semble que nous ayons franchi un pas décisif dans l’observation des phénomènes parapsychologiques.
— Soyez plus clair.
— Je voudrais bien…
L’immense croix aux motifs celtiques se dressait, sculptée dans le flanc rocheux de la montagne. La pierre était patinée par des siècles d’intempéries et tachée de lichens. Peter éclairait les superbes entrelacs en essayant d’en découvrir le début, mais chaque fois, le tracé bouclait, revenant sans fin là où il avait commencé avec une fascinante virtuosité. Peter était prêt à tout pour se changer les idées. Dans une demi-heure, il serait minuit.
Valeria n’avait pas eu à se plonger dans un ruisseau pour se dégriser, une averse s’en était chargée. Elle était assise, grelottante, dans une des niches creusées de chaque côté de la croix. Au moindre bruit, elle se cramponnait un peu plus à sa lampe et braquait le faisceau en retenant sa respiration. Le vent sifflait comme dans les vieux films d’horreur.
— On ne sait même pas d’où il va venir, dit la jeune femme en désignant tour à tour les trois chemins qui se croisaient devant elle.
— C’est vrai. Et d’ailleurs, qui nous dit qu’il sera seul ? Nous n’avons vu qu’un type hier soir, mais il avait peut-être des complices…
— C’est pas drôle. Tu me fais encore plus peur. Là, tu vois, si j’avais la bouteille de whisky, je crois que je la finirais.
Peter s’accroupit devant elle.
— Réfléchis deux secondes. S’il avait voulu nous tuer, il aurait pu facilement le faire hier soir.
— Alors, pourquoi ce rendez-vous ?
Un roulement de cailloux leur parvint des sous-bois. Peter fit volte-face et braqua sa torche. Il leur sembla distinguer le mouvement d’une ombre qui disparut aussitôt.
Valeria agrippa le bras de Peter et l’attira à elle.
— Ne t’éloigne pas, dit-elle. Même pas d’un mètre.
Elle claquait des dents.
— Tu as froid ? demanda le jeune homme à voix basse.
— Non, je suis en manque d’alcool. Trois verres et je suis accro. On est comme ça, nous les Espagnols. Et puis je déteste attendre. Maintenant, vraiment, je préférerais voir surgir un monstre énorme avec des yeux rougeoyants et une bouche pleine de dents pointues et baveuses plutôt que d’attendre au beau milieu de la nuit dans cette forêt qui fout les jetons. Mon imagination s’emballe et c’est pire que tout. Quelle heure est-il ?
— Minuit moins dix. Nous devrions peut-être éteindre les lampes et nous poster un peu à l’écart pour le surprendre.
— Pas question ! Si en plus on se retrouve dans le noir, je te jure, je hurle.
Adossés côte à côte à la paroi rocheuse qui les dominait, ils comptaient les secondes. Peter passa son bras autour des épaules de Valeria. Il essayait de donner le change, mais au fond, il n’en menait pas large non plus.
Un nouveau bruit suspect résonna dans la nuit, plus proche. Valeria se mordit les lèvres.
— Je vais devenir folle, souffla-t-elle.
Avec leurs lampes, les deux jeunes gens balayèrent rapidement les quelques mètres de clairière devant eux. Plus que tout, ils redoutaient une apparition surprise.
— Il est minuit, murmura Peter.
Valeria prit une profonde inspiration et serra les poings.
— Ne bougez pas, ordonna une voix. Éteignez vos lampes.
Valeria se tétanisa. Peter la serra plus fort. Ils obéirent. L’injonction était venue de la gauche, de tout près. La voix était rauque et métallique, inhumaine.
— Que voulez-vous ? demanda Peter.
— Obtenir des réponses.
— Qui êtes-vous ? questionna Valeria.
— Vous le saurez peut-être un jour.
Peter se pencha et murmura à l’oreille de sa compagne :
— Il est à quelques pas, sûrement dans un repli de la paroi rocheuse, à quatre mètres tout au plus. Cette fois-ci, ne me retiens pas…
— Pourquoi cherchiez-vous la mallette ? fit la voix.
— Nous ne la cherchions pas. Nous étions là pour la chapelle, expliqua Peter.
— Qui vous a envoyés ?
— Personne, répondit la jeune femme.
Peter dégagea lentement son bras.
— Alors, comment saviez-vous…
D’un mouvement sec du pouce, Peter ralluma sa torche et se précipita en direction de la voix. En deux enjambées, il fut dessus. Mais là, dans une faille, il ne découvrit qu’un petit récepteur radio. Avant qu’il ait pu se retourner, il entendit un choc sourd et le cri de Valeria. Il dirigea sa lampe vers elle. L’homme en cagoule avait sauté du surplomb et la maintenait contre lui. D’un bras, il la bloquait fermement en tenant sa lampe pendant que, de l’autre main, il lui plaquait le canon de son revolver contre la gorge.
— Peter ! gémit-elle.
À en juger par la silhouette athlétique et les vêtements noirs, il s’agissait du même individu que la veille.
— Je dois vous poser des questions, dit celui-ci avec son léger accent. Ne m’obligez pas à devenir violent. Vos réponses sont vitales et je suis prêt à tout pour les obtenir.
— Nous ne savons rien, protesta Peter.
— Laissez-moi en juger. Baissez votre lampe.
— Je vous en supplie, libérez Valeria, elle n’est pour rien dans cette histoire. C’est moi qui l’ai entraînée hier soir. Ce n’est qu’une touriste.
L’homme parut réfléchir puis, à la surprise de Peter, relâcha son étreinte. La jeune femme se précipita dans les bras de son compagnon et se cramponna à lui. « Trop sensible, c’est un amateur », songea le grand Hollandais en récupérant Valeria.
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