Dans l’enceinte de la chapelle, l’eau était claire. Les parois de pierre taillée renvoyaient les faisceaux des lampes, irradiant une douce clarté. Personne n’était entré ici depuis plus de quinze ans.
Au hasard de leurs explorations, les deux jeunes gens se retrouvèrent côte à côte, face à l’autel. Jamais ils n’auraient imaginé que leur rêve les conduirait ici un jour, ensemble. La scène était irréelle, magique. À les voir ainsi, on aurait pu les croire au jour d’un mariage imaginaire. Comme des milliers d’étoiles scintillantes, leurs bulles d’air s’élevaient dans la lueur. Valeria était subjuguée. Elle avait toujours été convaincue que voir la chapelle apaiserait son esprit, mais il n’en était rien. Depuis leur entrée à l’intérieur, elle se sentait différente, infiniment vivante. Après cela, elle le savait, elle ne serait plus jamais la même. Elle ne mesurait pas à quel point.
Peter remonta la petite nef en rase-mottes, éclairant les larges dalles les unes après les autres. Arrivé à la droite de l’autel, il effleura trois grandes plaques polies par des siècles d’offices. Il se concentra sur celle qui était située dans l’angle. Soigneusement, il en étudia le pourtour. Valeria l’observait d’en haut, l’éclairant de son mieux. Avec son couteau, Peter fouilla le joint rempli de vase. Il parvint à introduire la lame entre deux dalles et tenta de faire levier. La plaque ne bougea pas. Comprenant son intention, Valeria vint lui prêter main-forte. Ensemble, ils pesèrent de tout leur poids pour la faire jouer. À la troisième tentative, la pierre se débloqua. Ils redoublèrent d’efforts. Peu à peu, ils réussirent à la décaler de quelques centimètres. Peter glissa ses doigts dans l’interstice et s’arc-bouta pour parvenir à la soulever.
Pour quelle raison agissait-il ainsi ? Quelle force le poussait à chercher à cet endroit précis ? À cet instant, de tout son être, Peter voulait percer le secret de cette dalle, découvrir pourquoi depuis vingt ans il se voyait en rêve accomplir ces gestes.
Valeria l’aida de nouveau et, à eux deux, ils finirent par redresser la pierre. La vase retenue dessous tourbillonnait autour d’eux, troublant l’eau. Peter repoussa la dalle contre la paroi et sans visibilité, plongea la main dans l’espace révélé. Il rencontra quelque chose de solide, couvert d’une couche visqueuse. Valeria l’éclairait, sondant l’eau saumâtre. Peter sentit une encoche, y glissa un doigt et dégagea une poignée. D’un coup de reins, il décolla l’objet du fond et l’extirpa du trou.
Ils se reculèrent vers l’eau plus claire pour étudier leur trouvaille. Il s’agissait d’une petite mallette en métal brossé. Peter la nettoya grossièrement et regarda Valeria. Des centaines de questions se bousculaient dans leur esprit. Quel mystérieux instinct avait guidé Peter ? Pourquoi un objet si moderne était-il enfoui dans une chapelle séculaire ? Et plus que tout, que contenait-il ?
Peter et Valeria abandonnèrent la chapelle pour remonter à la surface. En retrouvant l’air libre, ils éprouvèrent à la fois un soulagement et une réelle appréhension face aux nouvelles interrogations que soulevait leur découverte. Ils nagèrent en direction du bord rocheux. Valeria s’agrippa la première et aussitôt, ôta son masque et son embout respiratoire. Avec précaution, Peter glissa la mallette sur la pierre.
Ils étaient là tous les deux, dans l’eau, incapables de parler tant ils avaient de choses à dire. Ils partageaient le sentiment troublant d’être les acteurs d’une scène que quelqu’un d’autre aurait écrite pour eux.
Depuis combien de temps cette mallette attendait-elle au fond ? La réponse se trouvait certainement à l’intérieur.
À la force des bras, Peter se hissa sur le bord et aida sa compagne.
— Mon Dieu, articula-t-il d’une voix essoufflée. Qu’est-ce qui nous arrive ?
— Ton rêve n’en était pas un, répondit Valeria. Sinon, comment aurais-tu su qu’il y avait quelque chose sous cette dalle ?
— Je ne sais pas. Tout se déroule comme si j’avais été programmé pour venir chercher cette mallette…
— Que peut-elle contenir ?
— On va vite le savoir.
Il s’agenouilla et fit pivoter l’avant de la mallette vers lui. Il saisit son couteau et chercha comment forcer les serrures.
Valeria se pencha au-dessus de lui pour l’éclairer. Elle entendit un léger bruissement dans les bois. Par réflexe, elle jeta un coup d’œil. Ce qu’elle découvrit lui arracha un cri d’effroi. Peter sursauta. Là, à moins de trois mètres d’eux, à demi dissimulé par un arbre, un homme en cagoule, entièrement vêtu de noir, les tenait en joue avec un revolver.
— Posez doucement vos lampes sur le sol et levez les mains, ordonna-t-il avec un léger accent.
Valeria et Peter obéirent.
— Que voulez-vous ? demanda Peter. Nous n’avons pas d’argent.
— Ce n’est pas ce qui m’intéresse. Reculez ! Retournez dans l’eau !
Malgré l’arme et le fait qu’il soit solidement charpenté, Peter songea un instant à se jeter sur lui.
— À votre place, je n’essaierais pas, siffla l’homme dont on ne voyait que les yeux déterminés. Je n’hésiterai pas à faire feu, je vous le garantis.
Valeria saisit son compagnon par les épaules et l’entraîna vers le loch. Leur adversaire s’avança, l’arme toujours pointée.
— C’est bien, dit-il. Allez, au bain !
Les deux jeunes gens reculèrent et se laissèrent glisser dans l’eau. Valeria claquait des dents, à la fois de peur, de fatigue et de froid. Peter fixait rageusement leur agresseur. L’homme enjamba les bouteilles et d’un geste souple, attrapa la mallette par sa poignée. Valeria sentit Peter frémir, mais elle le retint.
— Votre amie a raison, dit le mystérieux voleur. Rien ne vaut la vie. Restez au frais quelques minutes et oubliez tout. C’est votre seule chance.
L’homme donna un coup de pied dans les lampes, qui coulèrent à pic. Les faisceaux furent bientôt engloutis dans les profondeurs du loch. Dans l’obscurité, sans aucun bruit, comme par magie, l’homme disparut avec la mallette.
— Vous devez venir, monsieur.
— Que se passe-t-il ?
— Le médium s’est évanoui.
— Qu’est-ce que vous racontez ?
— Son encéphalogramme, personne n’a jamais vu ça. Il devrait être mort.
— Il faut tout arrêter.
— Aucun humain n’a ce pouvoir.
— Je repars ce soir. Mon vol est à 20 h 40.
Valeria était décidée. Peter cherchait son regard, mais la jeune femme l’évitait délibérément, fixant sa tasse vide. Ils étaient arrivés au pub dès l’ouverture et s’étaient assis à la table la plus isolée, au fond, dans un recoin, sous des reproductions de blasons écossais noircies par des années de fumée. Ils n’avaient pas dormi de la nuit. Valeria n’avait même pas osé repasser chez Madeline prendre une douche et des vêtements propres. Elle avait trop peur des questions.
— Tu ne peux pas partir maintenant, c’est impossible, ce serait une erreur… insista le jeune homme.
— L’erreur, c’était de venir. Je n’aurais jamais dû. Cette chapelle était un rêve. J’aurais mieux fait de m’en tenir là.
— Mais elle existe, tu l’as vue comme moi, et cette mallette aussi !
Valeria releva les yeux et foudroya Peter du regard.
— Oui, et je me pose beaucoup de questions.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Pourquoi m’as-tu proposé de venir plonger avec toi ? Comment se fait-il que tu aies su ce qui se cachait sous le dallage ?
— Calme-toi, fit Peter. Ne me reproche pas quelque chose que je subis aussi. Arrête ta parano et n’oublie pas que c’est toi qui es venue me trouver ; c’est toi qui m’as parlé de ton rêve…
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