Danser mieux que Kaoma la lambada. Chanter mieux qu’Eros Ramazzotti Una storia importante . Réciter mieux qu’Agnese Nano les répliques de Cinema Paradiso, baisers compris.
Programmée pour devenir star!
Briller dans la galaxie avant que toutes les étoiles ne filent.
Séduire ou périr!
Maria-Chjara. L’histoire d’une princesse…
Je suis toujours là dans l’ombre, sur mon bout de plage, limite pinède, avec les épines qui me rentrent dans les fesses, Les Liaisons dangereuses ouvertes sur mes genoux. Maria-Chjara s’est levée d’un coup de sa serviette ombres chinoises et Hermann le cyclope est resté les mains poisseuses en l’air, à caresser le vide.
Pas assez speed, Hermann… Ah ah ah!
Maria-Chjara s’est levée comme ça, sans remettre le haut de son maillot. Elle est allée commander un Coca à l’autre bout de la plage, et toute la plage s’est retournée sur elle. Je vous le jure, de mon point d’observation un peu en surplomb, le spectacle était saisissant, comme un champ de tournesols suivant la course d’un soleil, mais en mille fois accéléré. Avec les coquelicots, les bleuets et les épis de blé qui se tordent eux aussi la tige.
Je fais exprès de baisser les yeux sur mon livre.
Je me suis trompée, en fait.
Valmont, ce n’est pas mon frère! Valmont, c’est Maria-Chjara.
Le séducteur libertin, dans le roman au XVIII esiècle, ne pouvait pas être une femme, question d’époque. Mais aujourd’hui, bien sûr que oui! Les filles qu’on respecte, qu’on admire sont celles qui assument, qui assurent, qui font ce qu’elles veulent de leur corps et de leur cœur, qui font ce qu’elles veulent des mecs.
Putain, moi, j’en suis loin!
Maria-Chjara est vierge. C’est le bruit qui court. Dans les tentes, sur la plage, sous les douches des filles et dans les chiottes des garçons. Faut dire qu’elle l’a quasi crié au haut-parleur, punaisé sur le panneau d’affichage du camping.
Je suis vierge… et j’entends bien ne pas le rester.
Maria-Chjara a fait le vœu de non-chasteté.
Elle l’a presque annoncé comme un concours de pétanque, un tournoi de ping-pong ou une soirée loto. Elle va s’offrir un mec. Pour la première fois. Un seul! Avant la fin de l’été.
Et depuis, Maria-Chjara se balade en string, seins à l’air, pour aller chercher sa boule de glace pistache, sa baguette, son Jeune et Jolie . Kaprisky dans L’Année des méduses , pour vous donner un aperçu.
Là, elle revient déjà avec son Coca.
Trois pas en avant, ralentir, nuque en arrière, une gorgée, avancer, corps cambré, tortiller des reins, onduler le bassin, laisser couler quelques gouttes l’air de rien, s’essuyer la peau sucrée d’un revers de main.
Continuer.
Avec tous les hommes allongés à ses pieds, les pelles des papas qui se figent au-dessus des châteaux de sable, les canettes de bière glacée qui se collent aux lèvres, les ballons de volley qui roulent sans aucun mec pour courir après. Estefan, Magnus, Filip, foudroyés!
Saleté!
Je ne peux pas m’empêcher de l’admirer…
De la jalouser…
De la détester.
De haïr ces regards des hommes sur sa poitrine qui défie les lois de la pesanteur.
Je suis mal barrée, même si j’ai une théorie là-dessus. Vous voulez la connaître? Après tout, je ne vous demande pas votre avis, ça va me défouler de vous la balancer! Sortir avec une fille qui a des petits seins, une fille avec qui on veut faire sa vie je veux dire, une fille comme moi par exemple, c’est de l’investissement à long terme. Du garanti trente ans. Un choix qu’on ne regrettera pas après des décennies de couple, alors que les gros seins finiront forcément par décevoir, par déchoir. C’est une évidence, non? Une évidence mathématique, physique! En conséquence, même si cette petite bombe de Maria-Chjara a pris de l’avance sur moi, je finirai par la rattraper, à mon rythme, au petit trot.
Suffit d’être patiente.
Haut les petits cœurs, haut les petits culs, hauts les petits seins!
On en reparle, Chjara?
Dans longtemps, très longtemps, car pour l’instant, c’est toi qui fais grimper les enchères. Haut, très haut.
La belle Italienne est déjà retournée sur sa serviette après en avoir fait le tour trois fois comme une chatte méfiante. Cervone, planqué lui aussi sous les pins, n’en perd pas une miette, la main comme collée à la résine du tronc. Le cyclope s’est bloqué en mode égyptien tourné vers sa déesse (Bastet, la déesse chatte, mon lecteur ignare!) et même mon Nico, mon bel indifférent derrière ses Ray-Ban, cette fois, s’est fendu d’un imperceptible mouvement de cou.
Foutu, lui aussi.
Il était une fois…
Il était une fois une petite princesse qu’a la braise…
Vous savez où.
* * *
Il regarda l’affiche, hésita à la déchirer.
A quoi bon, il y en avait tant d’autres, des dizaines le long de la route.
Ce soir. 22 heures. Plage de l’Oscelluccia. Discothèque le Tropi-Kalliste.
Il y serait.
Pas pour entendre chanter Maria-Chjara.
Pour la faire taire.
Le 16 août 2016, 15 heures
L’affiche avait été scotchée partout, jusque sur les portes des sanitaires, les barrières du parking et le local à poubelles. Valentine s’arrêta devant celle face à leur emplacement. Elle avait enroulé un paréo autour de sa taille et faisait claquer ses tongs contre sa plante des pieds comme s’il s’agissait de talons aiguilles sur le parquet d’une salle de bal; la baguette de pain coincée sous son bras lui donnait des airs de majorette. Clotilde se tenait à côté de sa fille, pressée; elle portait le reste des courses, et les pamplemousses, oranges, melons et demi-pastèque pesaient une tonne dans les sacs plastique au bout de chacun de ses bras.
Valentine leva le menton et lut.
Soirée eighties
22 h Discothèque le Tropi-Kalliste
Plage de l’Oscelluccia
Sur l’affiche, de la mousse multicolore débordait d’une immense piscine posée sur la plage. Une fille en maillot de bain en jaillissait sous une pluie de paillettes dorées.
— Il paraît que c’est une ancienne gloire du camping, insista Valou en fixant la fille. Tout le monde ne parle que de ça. Elle passait ses vacances ici et, depuis, elle est devenue une vraie star en Italie.
Etonnée, Clotilde délaissa les yeux pétillants de Valou pour se concentrer sur l’affiche. Le visage de la sirène était méconnaissable sous le maquillage appuyé, son corps parfait était semblable à celui de milliers d’autres qui s’affichent au moindre clic sur Internet en tapant starlette ou bikini , mais son nom de scène explosa comme un nouvel éclat de souvenir d’enfance.
Maria-Chjara.
Les anses de plastique des sacs bourrés d’agrumes cisaillaient les doigts de Clotilde.
— Cervone m’a même dit que tu la connaissais, maman! Que vous aviez passé cinq ou six étés ensemble ici. Que mon oncle Nico la connaissait bien aussi.
Tiens, tu te souviens que tu as une famille, maintenant?
Clotilde avait vaguement entendu parler de Maria-Chjara depuis août 1989. Elle l’avait reconnue une fois, il y a près de vingt ans, dans un téléfilm italien qui passait sur la 3, dans un second rôle, une fille roulant à vélo, jupe au vent, dans les rues de Lucca. Elle avait aussi lu son nom et reconnu son visage lors de son séjour à Venise avec Franck, il y a seize ans, avant la naissance de Valou. Un vieux CD à 4 euros dans un bac de disques en promo: des couleurs flashy, des chansons inconnues. La renommée de Maria-Chjara était sans doute très relative, y compris en Italie.
Читать дальше