Il y avait aussi deux cartes routières de la région. Je les ai ajoutées au tas.
J’aurais pu en rester là.
Jean-Charles entre dans le bureau.
— Bonjour Stanislas.
— J’ai passé trois jours à l’hosto. À ton avis, combien de mails m’attendaient quand j’ai récupéré ma bécane ?
Les flics ont ramené le Mac, comme prévu. En revanche, ils ont gardé le Browning Baby. Je suis autorisé à le récupérer si je leur présente le permis de port d’arme qui lui est dédié. Autant dire que je ne le reverrai jamais.
Jean-Charles fait la grimace.
— Je ne sais pas.
— Un chiffre ?
— Trois cents ?
— Quatre cent soixante-sept. À ton avis, combien de ces quatre cent soixante-sept mails méritaient d’être envoyés ?
— Je ne sais pas, une trentaine.
— Un.
Celui d’Axelle me disant que son mari partait en voyage d’affaires et que je pouvais venir la baiser lundi à dix heures.
— Merde !
— Tu l’as dit, merde. Ponds-moi une note de service générale interdisant qu’on m’envoie dorénavant des copies de mails dont je n’ai rien à foutre. C’est pour ça que tu es là. Fais le tri et transfère-moi ce qui vaut la peine d’être lu.
— D’accord.
— Autre chose.
— Oui ?
— Qu’est-ce qui se passe avec Claudine ?
La question l’embarrasse, il esquisse un rictus qu’il efface aussitôt. Il sait qu’il vaut mieux éviter de tourner autour du pot.
— Elle est enceinte, je l’ai appris la semaine passée.
— Tu sais ce que j’en pense.
— Oui, je vais faire le nécessaire.
Travailler ou enfanter, il faut choisir.
Jusqu’à l’accouchement, ça se passe plus ou moins bien. C’est au retour que les choses se gâtent. Elles sont déphasées. Leurs priorités ont changé. Elles parlent layettes, biberons et téléphonent à la nounou trois fois par jour.
— Tu peux y aller.
Il ressort du bureau, la queue entre les jambes.
Je le rappelle avant qu’il ne referme la porte.
— Encore une chose.
— Oui ?
— Je vais te céder trois pour cent des parts, en fin d’année.
Son visage s’illumine.
— Merci, Stanislas.
La carotte et le bâton, la méthode fonctionne depuis la nuit des temps.
J’ai continué à chercher.
Finalement, j’ai déterré quelque chose d’intéressant, un vieux fait divers dans les archives d’un quotidien.
En avril 1954, un homme qui habitait à Caprino Veronese avait été assassiné. Un homme à première vue sans histoires qui vivait là depuis plusieurs années avec sa femme et leur fille. Il travaillait à la scierie du bled. D’après son patron, c’était un travailleur modèle.
L’homme avait été enlevé et séquestré. Le 27 avril, après trois jours de recherches, la police avait retrouvé son corps calciné dans un champ non loin de là. Selon le légiste, il avait été pendu et son cadavre brûlé par la suite. Il estimait que la victime avait été tuée trois jours auparavant, dans la nuit du 23 au 24 avril 1954.
L’article précisait que le meurtrier n’avait jamais été identifié.
30
Une poignée d’allumettes
 
La voiture sortit de Baden-Baden en respectant le code de la route à la lettre et prit la bretelle d’accès à l’autoroute en direction de Karlsruhe.
Sommerer avait perdu connaissance. Son corps était affalé sur le côté, sa tête reposait sur l’épaule de Nicolas. Ce dernier ausculta le crâne de l’homme. La plaie saignait légèrement.
Samuel s’adressa à Nathan.
— Il ne faut pas te faire d’illusions, Nathan, les captures ne se déroulent pas toujours aussi facilement.
— Je m’en doute.
— Certains sont sur le qui-vive, d’autres ont une armée de gardes du corps à leur disposition. Ne pense pas que cela dépend de la position qu’ils occupaient dans le passé, cela dépend de la fortune qu’ils ont amassée.
— Tu veux dire qu’il y en a que nous laisserons tranquilles ? Les plus riches et les mieux protégés seront négligés ?
— Non, pour ceux-là, la phase de préparation peut prendre plusieurs mois, mais nous les traquerons et nous les aurons, tous, jusqu’au dernier.
Tomasz jeta un coup d’œil dans le rétroviseur, alluma une cigarette avec le mégot de la précédente et sortit à hauteur de Rastatt.
— Couchez-le, on approche.
Ils traversèrent la localité et poursuivirent la route jusqu’à Wintersdorf. À la sortie du village, ils empruntèrent un chemin de terre qui s’enfonçait dans les bois. Ils roulèrent durant une dizaine de minutes, sortirent de la forêt et aboutirent au bord du Rhin. Ils longèrent la rive sur trois kilomètres et stoppèrent devant une petite maison de pêcheurs qui semblait abandonnée.
Trois hommes et une femme en sortirent aussitôt. La pluie continuait de battre, mais ils n’avaient pas l’air de s’en soucier. Les hommes avaient entre quarante et cinquante ans, la femme était plus âgée. Ils scrutèrent l’intérieur de la voiture, les traits tendus. Ils échangèrent ensuite quelques mots.
Samuel sortit de la voiture, leva ma main et fit le V de la victoire.
— Nous l’avons.
Le soulagement se lut sur leurs visages.
Dans la voiture, Sommerer reprenait peu à peu ses esprits et commençait à grommeler. Nicolas se chargea de l’extraire du véhicule. Pendant qu’il le maintenait, Samuel lui mit les mains dans le dos et lui passa une paire de menottes. Il se saisit ensuite d’une corde et lui ligota les chevilles.
L’opération terminée, Nicolas le renversa sur son épaule et prit la direction de la maison. À l’exception de Tomasz qui assurait le guet, tout le monde entra à sa suite.
La maison sentait le moisi et l’humidité. Le plancher était glissant. Des toiles d’araignées couvraient les vitres et filtraient la lumière. Une table faite d’une longue planche posée sur des tréteaux et quatre chaises dépareillées occupaient la pièce. Une cinquième chaise était placée au centre, face à la table.
Les trois hommes et la femme prirent place d’un côté de la table pendant que Samuel immobilisait le nazi sur la chaise en enroulant une corde autour de son torse. Il retroussa ensuite la manche gauche de l’homme et repéra la lettre O tatouée sur son biceps, camouflée sous une cicatrice.
Il se tourna vers les membres du tribunal.
— Confirmation.
Il rejoignit Nathan et Nicolas, postés derrière le nazi.
La femme prit la parole.
— Obersturmbannführer Georg Sommerer, l’heure est venue de répondre de vos actes.
Nathan trouva la phrase théâtrale.
L’homme resta silencieux, le regard absent, la bouche ouverte. Sa dent en or jetait de faibles reflets dans la pénombre.
La femme s’empara de plusieurs feuillets et entama la lecture de l’acte d’accusation.
Sommerer l’interrompit après quelques minutes.
— Je m’appelle Gustav Sommer, je ne comprends rien à ce que vous racontez. Vous faites erreur. Vous n’avez pas le droit de me retenir prisonnier. Libérez-moi sur-le-champ.
Elle attendit qu’il ait terminé et reprit la lecture.
La femme énonçait les faits d’une voix neutre, sans émotion apparente. Elle citait des noms, des dates, détaillait les actes dont l’homme s’était rendu coupable sans faiblir, comme si elle dressait le compte-rendu d’une situation à laquelle elle était étrangère.
La manière froide et analytique qu’elle avait de décrire tant d’horreurs fit frissonner Nathan.
Sommerer se mit à hurler.
— Arrêtez, nom de Dieu ! Je m’appelle Sommer. Vous vous trompez, ce n’est pas moi !
Il poussa un long cri pour couvrir la suite de la lecture.
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