— C'est abominable, dit le valet de chambre, Monsieur Masure a été étranglé avec un cordon… Quant à mademoiselle, elle est dans un état grave…
Il entraîna les deux hommes vers la chambre de Gloria.
La jeune fille était étendue sur le lit, sans connaissance. Des traces violettes cernaient son cou… Un morceau de la cordelière rouge se trouvait sous elle…
Clay comprit tout : elle s’était cachée tandis qu’il tuait Masure… Dès son départ, elle s’était emparé d’un morceau de la cordelière et elle avait eu le courage de s’étrangler… Du moins à moitié…
— Ceci n’est qu’une mise en scène grotesque, dit Clay… Chef, je vais vous expliquer : c’est cette fille qui…
— Taisez-vous ! répéta Ox.
Il sortit des poucettes de sa poche et les fixa aux poignets de son collaborateur.
Cela fait, il demanda au domestique :
— Comment avez-vous découvert le drame ?
— Un bruit, dit l’autre. En se débattant, mademoiselle a renversé sa lampe de chevet… Je me suis levé, j’ai appelé la femme de chambre… Le meurtrier, dérangé, n’a pas eu le temps d’achever son forfait… Comment avez-vous fait pour le retrouver aussi vite, lieutenant ?
Ox haussa les épaules.
— Il arrive que la chance se mette du bon côté, soupira-t-il.
— Que dois-je faire ? demanda le domestique.
— Appeler un médecin et une ambulance, dit Ox.
— Parfaitement, lieutenant.
— J’ai alerté les types de l’Identité judiciaire, ajouta le gros homme. En attendant qu’ils arrivent, je boirais bien un whisky, si tant est qu’il y en ait dans cette maison.
Il regarda Clay.
— Asseyez-vous, dit-il, cela ira très vite, maintenant. Comptez sur moi pour mener rondement cette enquête, Clay. Je vais prouver aux journaleux qu’un policier ne peut impunément jouer au petit soldat… Vous allez me payer tout ça !
— Ça va, dit Clay, résigné, je vais tout vous raconter…
Et il sortit la vérité du puits de sa mémoire.
La porte de la cellule s’ouvrit. Ox entra, s’assit sur le lit de fer et poussa un soupir qui ressemblait à l’exhalaison d’un soufflet de forge.
— Vous m’avez bourré le mou, Clay, dit-il. C'est vous, enfant de salaud, qui avez tout combiné… On a retrouvé chez vous le flacon d’encre sympathique avec laquelle ont été rédigés les fameux messages de la petite… Par ailleurs, la cordelière rouge provient des rideaux de votre chambre.
— Ça n’est pas possible ! sursauta John Clay.
Il se souvint alors du temps infini qu’avait mis Gloria pour soi-disant acheter la cordelière au Prisunic. Cette garce s’était rapprochée de son appartement, elle avait rapidement acheté une ou deux bricoles dans le grand magasin, était ressortie par une autre issue, s’était rendue chez Clay dont elle avait fait faire une clef pour ouvrir la porte, avait laissé le flacon d’encre chez lui, s’était emparé de la cordelière de ses propres rideaux et l’avait glissée dans l’un des sachets en papier à entête du Prisunic afin de donner le change.
Ça, c’était vraiment du grand art ! Depuis le début, elle l’avait possédé.
Avec un machiavélisme jamais vu, elle avait utilisé le policier jusqu’à la moelle, mettant à profit les traquenards même qu’il lui tendait…
« Chapeau bas ! » murmura Clay.
Alors, pour réagir contre le farouche désespoir qui l’envahissait, il résolut d’avoir une suprême élégance : il innocenta complètement Gloria, s’accusant intégralement de tout pour dissiper les nuages qui pouvaient subsister au-dessus de la tête de la jeune fille.
Simplement, parce qu’il était flic dans l’âme, il demanda à Ox :
— Lieutenant, quel mobile m’a poussé à agir ?
En s’avouant entièrement coupable, il ne comprenait plus l’intérêt qu’un ministère public pourrait trouver à ce meurtre qui ne lui rapportait rien.
— La fille en savait trop long sur vous, dit Ox.
— Oui, convint Clay, cela suffira à l’accusation.
* * *
Cela suffit, en effet….
Le procès se déroula à toute allure. Gloria Masure ne s’y présenta pas et l’homme d’affaires de la famille produisit un impressionnant certificat médical.
Le cas de John Clay n’était pas plaidable et il ne fut pratiquement pas plaidé par le jeune avocat qui lui fut commis d’office.
Durant les débats, Clay répondit par l’affirmative à toutes les questions insidieuses de l’accusation.
Il avait hâte que tout soit terminé… Il en avait plus que marre…
Il était las d’avoir tant lutté.
Ces errements lui paraissaient navrants. C’étaient de pauvres réactions d’homme faible. Et il avait pitié de l’homme qu’il avait été.
Il se disait que sa cause servirait d’exemple. À la police qu’il aimait, il rendait le suprême service de donner l’exemple.
L'exemple du flic qui tourne mal et qui passe à la « grande friture », tout flic qu’il est.
Ça donnerait à réfléchir aux jeunes et à tous ceux qui connaîtraient aussi l’égarement, les appels du crime…
Il fut condamné à être mis à mort suivant les lois régissant l’État de New York.
Les couloirs de Sing-Sing étaient silencieux.
Tout à coup, une porte s’ouvrit. Deux gardiens parurent, encadrant John Clay en bras de chemise.
Le prisonnier était très pâle.
Le pasteur qui attendait dans une petite pièce voisine se leva et vint à leur rencontre.
— John Clay, dit-il, vous allez comparaître devant Dieu. Élevez votre âme, joignez vos prières aux miennes, le Tout-Puissant est miséricordieux…
Ils se mirent en marche. Leurs pas courts résonnaient curieusement dans l’immense prison.
Clay avait une impression de total désenchantement.
Il avait froid en dedans.
Sa vie finissait.
Un jour ou l’autre, toutes les vies finissent. À lui son heure avait sonné : il acceptait son destin.
Le groupe tourna le couloir… Le directeur de la prison les attendait avec les journalistes.
Sans un mot, il s’effaça pour laisser entrer le condamné.
Clay vit la chaise.
Il l’avait déjà vue ; à cette époque-là, il ne pensait pas devoir un jour s’asseoir dessus.
Il eut un frémissement.
Le pasteur s’écarta et les gardiens le conduisirent au siège mortel.
L'un d'eux noua les sangles tandis que l’autre fixait le casque sur sa tête.
On n’entendait plus que la respiration des assistants.
Clay ne réagissait plus.
Il avait joué à pile ou face et il avait perdu.
Il promena un regard morne sur les spectateurs de sa mort. Au tout premier rang, il y avait Ox.
Le gros Ox, sourcils froncés, lèvres serrées.
Ox qui était venu lui donner un petit coup de main pour franchir la porte étroite de l’infini.
Le lieutenant cligna de l’œil à son ancien collaborateur. Puis, prenant une décision brusque, il s’avança vers lui.
Les gardiens reculèrent, leur besogne terminée. Ox se pencha alors sur Clay :
— Bon courage, Clay, chuchota-t-il. Si ça peut vous aider à faire la culbute, je vais vous dire que j’ai tout pigé dans votre affaire… Je sais que c’est à cause de cette fille que vous êtes là…
Le regard du condamné exprimait une immense gratitude.
Ox poursuivit :
— J’ai pigé aussi pourquoi vous avez renoncé à l’accabler. Vous vous êtes dit que votre mort serait un exemple, que, puisqu’elle était inévitable, il fallait au moins qu’elle serve à quelque chose… Ici, c’est à foutre la pétoche aux jeunots de chez nous… C'est bien, mon gars, je vous remercie.
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