Frédéric Dard - La grande friture

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C'est l'histoire d'un pauvre diable de flic à la solde maigre. Entrant un soir dans une boîte sordide pour s'abriter de la pluie, il y rencontre une belle et vénéneuse jeune fille avec laquelle il fait une partie de pile ou face. Comme il perd une fortune, il signe un chèque en bois et se laisse aller à puiser dans le coffre-fort d'un vieux grigou assassiné.
Malheureusement, un Rital à la godille l'a vu et le fait chanter…
Que fait le pauvre diable de flic ? Il se défend… et c'est le maître chanteur qui l'a dans le baba !
Là où l'affaire se complique, c'est que la belle a besoin du flic pour accomplir une sale besogne. Et d'ailleurs, elle détient LA preuve qui ne lui laisse aucune chance ni de refuser ni de s'en tirer…
La Grande Friture
la Loupe
Les Éditions Fayard ont décidé de publier les titres de ces romans policiers qui, après leur première publication sous pseudonyme, n'ont pas été réédités.

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Il lui vint une idée.

Tout au fond du jardin se trouvait une petite bicoque en bambou, sorte de hutte qui servait de kiosque de repos. Il alla en rampant jusqu’à la légère construction. Il avait des allumettes sur lui ; ce fut un jeu d’enfant que d’y mettre le feu et de s’enfuir à l’autre extrémité du parc.

Il s’embusqua dans un massif de rosiers et guetta les suites de son acte.

En un clin d’œil, la hutte ressembla à une torche.

Cela ne risquait nullement de mettre le feu à une partie quelconque des bâtiments car elle était isolée et il n’y avait pas un souffle de vent.

Dans l’obscurité, le brasier avait pris une singulière importance : il avait belle allure !…

Il y eut un cri dans la maison :

— Au feu !

Des portes claquèrent.

Des appels, d’autres cris se firent entendre.

Un valet de chambre courut en direction du sinistre, puis le maître d’hôtel, puis une soubrette, et enfin, fermant la caravane, le cuisinier chinois, inévitable dans les maisons de maître de New York.

Tout le personnel, complètement affolé, criait, gesticulait, s’interpellait.

Clay sortit de son massif et, en rasant les murs, se dirigea vers la maison. Il aurait aussi bien pu s’y rendre à motocyclette, il n’aurait pas pour autant éveillé l’attention de la domesticité accaparée par l’incendie.

Il vit une porte de service ouverte, la franchit et se précipita en direction des appartements.

Il reconnut aisément la chambre de Gloria. Il y pénétra.

Restait à découvrir une cachette. À cette heure tardive, au moins ne pouvait-il redouter l’intrusion d’un domestique, la pièce était « faite », tout était parfaitement en ordre.

Ça manquait un peu de placards où se cacher, par exemple. Le divan, posé à même le parquet, n’autorisait aucune planque.

Restait la salle de bains.

Clay sourit. Les rideaux de la douche offraient la discrétion désirée.

Il monta dans le « tub » et attendit.

* * *

Les minutes s'écoulèrent, puis les heures. Il ressentait des picotements dans ses membres.

Il se sentait devenir fou…

Il changea plusieurs fois de position, s’accroupissant et se relevant pour chasser les « fourmis » de l’engourdissement.

Mais il eut la force de tenir le coup. Il le fallait. Maintenant surtout qu’il était dans le bain, sans jeu de mots !

Il entendit les domestiques crier dans le jardin… Il entendit les pompiers… Il perçut la manœuvre que ceux-ci exécutaient pour étouffer le petit sinistre… Tous ces bruits formaient sa seule distraction. Il n’avait qu’eux pour tromper les affres de l’attente.

Plus tard, il entendit rentrer Masure.

Le vieil homme d’affaires devait avoir ses appartements sur la gauche de la salle de bains de Gloria, car Clay perçut distinctement ses paroles.

Le valet de chambre le mettait au fait de l’incendie. Masure ne se frappait pas outre mesure.

— Quelles en sont les causes ? demanda-t-il.

— L'officier des pompiers suppose que le jardinier a jeté un mégot de cigarette trop près de la pagode, Monsieur Masure… Le feu a couvé longtemps dans l’herbe avant de se communiquer aux bambous.

— Qu’on remplace le jardinier, dit Masure… Cet homme est un danger public.

— Bien, Monsieur.

— Ça va, je n’ai plus besoin de vous, Jeeves !

— Très bien, Monsieur. Bonne nuit, Monsieur !

Clay entendit le vieillard s’endormir. Il entendit mourir les bruits de la maison. Alors seulement il eut peur…

Et si Gloria ne rentrait pas cette nuit-là ?

Que se passerait-il ?

Et si elle rentrait trop tard pour qu’il pût attraper son avion ? Que penserait le négro du train, demain matin, si, à l’arrivée, il constatait que le compartiment de Clay était vide ? Il verrait la fenêtre baissée et se dirait que son passager avait sauté par la vitre dans une crise de somnambulisme. Il donnerait l’alerte. Les journaux, toujours à l’affût d’un fait divers de ce genre, tartineraient en long et en large sur cette disparition d’un policier…

Non, il fallait prendre le train.

Clay regarda sa montre-bracelet au cadran lumineux.

Elle disait minuit et demie.

Il avait encore une toute petite heure devant lui, pas davantage !

Pourvu que cette saloperie de Gloria rentre ! Pourvu qu’elle…

Il soupira en entendant s’ouvrir la porte de sa chambre.

C'était bien elle. Il reconnut son pas, son parfum…

Lorsque Gloria arrivait quelque part, la qualité de l’air changeait.

Elle apportait avec elle une sorte d’émulation, de pétillement auxquels participaient tous les sens…

Il l’entendit poser ses chaussures, jeter ses vêtements sur le dossier des fauteuils.

Savait-elle que son oncle était rentré ? Qu’il dormait paisiblement dans une pièce voisine ?

Oui, elle n’avait pas manqué de le demander au valet de chambre qui lui avait ouvert. En ce cas, que pensait-elle ?

Elle devait commencer à comprendre que Clay la trahissait… Sa petite cervelle devait travailler ferme. L'essentiel était qu'elle se couchât vite.

Sitôt qu’il l’entendrait s’allonger sur le divan, Clay sortirait à pas de loup du tub, la cordelière à la main. Il avait déjà préparé le nœud coulant. Il ne lui resterait plus qu’à le glisser autour de la jolie nuque… De serrer, de serrer très fort, en regardant ailleurs…

Ensuite il accrocherait l’autre extrémité de la cordelière au loquet de la porte. C'est de cette façon que se pendent la plupart des gens… Seulement, cela, le gros public l’ignore. Les gens s’imaginent que les suicidés par corde se suspendent au plafond… C'est vrai dans certains cas, mais, en général, les désespérés font une tentative : ils attachent la corde simplement à une espagnolette de fenêtre ou à un loquet de porte… Puis ils se laissent aller doucement en arrière. Ils se disent sans doute que si cela fait trop mal, ils pourront se remettre sur leurs pieds, mais ce n’est pas vrai : ils ne peuvent plus recouvrer leur équilibre, car, d’instinct, leurs mains se portent à la corde qui les étouffe et ils basculent complètement. Ils sont cuits…

Gloria ne se pressait pas de se coucher… Pourvu qu’elle n’ait pas envie de prendre un bain !

La porte du cabinet de toilette s’ouvrit. Un grand rectangle de lumière s’abattit dans le local carrelé.

— Sortez donc d’ici, Monsieur l’inspecteur !

Clay en eut la respiration coupée.

— Et ne faites pas l’idiot, ajouta-t-elle, car j’ai un revolver à la main. J’ajoute que je n’hésiterais pas à m’en servir. Et personne n’y trouverait à redire, étant donné que vous avez pénétré chez moi par effraction et que vous vous cachez dans la chambre d’une honnête jeune fille.

C'était scié…

Clay sortit de derrière le rideau.

Il était blême et avait mal au cœur… Ses jambes le portaient mal.

Gloria le regarda d’un air moqueur et sourit.

— Vous vous croyiez très malin, dit-elle, mais je le suis encore plus que vous !

Elle parlait à mi-voix. Son gosier émettait des sons rauques.

Clay se comportait exactement comme un petit écolier pris en faute.

Il tournait et retournait cette idée dans son crâne : « Cette fois, je suis perdu… Je suis perdu ! »

Gloria avait bien un revolver à la main. Un gentil pétard à crosse de nacre qui devait cracher d’honorables pastilles. Il n’était nul besoin de connaître profondément l’âme humaine pour comprendre qu’elle lui tirerait dessus s’il essayait quoi que ce soit.

— Vous avez pensé que je mordais à votre appât ? reprit la jeune fille. Sans blague ! Un homme dans votre situation qui vous fait signer une lettre d’adieu, ça veut dire des choses… Des choses malsaines, Clay… Je me suis méfiée… Lorsque j’ai vu que mon oncle se portait comme le Pont-Neuf, j’ai deviné que vous étiez ici…

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