Elle regarda la cordelière.
— Vous vouliez me faire le coup du suicide, hein ? demanda-t-elle.
Clay ne répondit pas.
Il pensait qu’il était plus d’une heure du matin et que son avion allait bientôt décoller.
— Allons, dit-elle, au travail, Clay…
— Co… comment ?
Il était arraché à une espèce d’épouvantable torpeur.
— Vous allez vous servir de votre cordelière, mon petit, mais pas contre moi !
Il comprit. Elle avait de la suite dans les idées… Elle voulait supprimer son tuteur, c’était son objectif…
Clay fit un rapide calcul. Après tout, il pouvait encore s’en tirer. Il n’avait qu’à tuer le vieux… Il pourrait sauter dans l’avion, rattraper son train… Grâce à son alibi cousu-main, il aurait beau jeu de réfuter la déposition que pourrait faire Gloria.
C'était elle, au contraire, qui serait accusée : elle avait acheté la cordelière et habitait sous le même toit que la victime.
— Écoutez, fit Clay… Je marche, à condition que vous brûliez devant moi le film…
C'était en effet la seule preuve qui resterait à Gloria, une fois qu’il serait parti.
— D’accord, dit-elle.
Elle ouvrit le tiroir d’un meuble et en sortit un petit rouleau de pellicule.
— Voilà, fit-elle en le posant dans le lavabo.
— Une minute, dit Clay.
Il s’empara de la bande et la regarda par transparence. C'était bien ça.
Il frotta lui-même une allumette. Cela fit une brusque flambée.
Décidément, les feux de joie étaient à l’ordre du jour.
— Allons-y ! dit-il.
Il espérait encore pouvoir sauter sur elle avant d’atteindre la porte du couloir, mais elle se méfiait et ne le laissait pas approcher. Le canon du revolver ne tremblait pas.
Avec un profond soupir, il ouvrit.
— Deuxième porte à gauche, souffla-t-elle.
Clay alla à la porte indiquée.
Il saisit très doucement la poignée et tourna. Il espérait encore que Masure aurait donné un tour de clef à sa porte, mais l’homme d’affaires faisait fi de ces précautions.
Il dormait.
Son souffle bref et saccadé rythmait le silence.
Clay s’approcha du lit, tenant la cordelière à la main.
Le souffle du vieillard lui causait une répulsion physique.
Il se dirigeait presque à tâtons dans la pièce.
Une fois encore, il eut envie de se jeter sur Gloria, mais il vit luire l’automatique à la lumière du couloir.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda une voix embrumée.
Masure venait de s’éveiller…
Clay, d’une détente, fut sur lui.
Il passa le nœud coulant au cou du dormeur avant que celui-ci ait le temps de réaliser ce qui se produisait.
Puis il tira, il tira de toutes ses forces… De toutes ses forces.
Il perçut un râle sourd, un claquement menu… Masure retomba sur son lit, mort.
Clay s’assit en haletant sur le bord du lit.
Il était vidé, comme un athlète ayant produit un effort physique qui dépasse ses possibilités.
Il sentait son sang cogner contre ses tempes à coups redoublés.
Il tremblait… Il était incapable de se remettre debout.
Ça y était !
Pour la première fois de sa vie, il avait étranglé un homme. Maintenant, il sentait bien qu’il était un assassin, un bandit sans foi ni loi… Un outlaw !
Gloria lui avait fait descendre toute la pente en quelques jours ; il était passé du rang d’honnête policier à celui de crapule.
C'était rudement moche, tout ça… Rudement déprimant.
Il se mit debout.
En titubant, il se dirigea vers la lumière du couloir.
— Ça y est, balbutia-t-il, ça y est !
Il chercha Gloria du regard, mais elle avait disparu.
À mi-voix, il appela :
— Gloria !
Elle n’était plus là… Il se rendit jusqu’à la chambre de la jeune fille, elle ne s’y trouvait pas non plus… Il ne pouvait pourtant pas perdre son temps à la chercher… Sans doute au dernier moment avait-elle pris peur et s’était-elle enfuie.
Il ne lui restait qu’à l’imiter.
Il enjamba la fenêtre de la pièce et sauta dans le parc. Il se mit à courir comme un fou à travers les massifs de fleurs.
En trois minutes, il eut atteint le mur du parc. Il sauta, fit un rétablissement et se trouva à califourchon sur le mur. Une détente, et il se retrouva dans la rue.
Maintenant, il fallait dropper.
Il était deux heures moins vingt et il avait tout juste le temps d’atteindre l’aéroport… Seigneur ! Pourvu qu’il arrive à temps !
Pourvu qu’il trouve un taxi…
Les rues étaient désertes à ces heures, dans ce quartier résidentiel.
Un taxi ! Un taxi ! C'était une question de…
Une grosse voiture survenait… Il fallait ! Il fallait que ce soit un taxi…
C'en était un…
Il leva la main.
La voiture le dépassa mais s’arrêta un peu plus loin.
« Le brave homme ! » se dit Clay…
Il se mit à courir en direction du taxi.
« Je lui refilerai un fameux pourboire », décida-t-il.
Sa respiration fichait le camp… Il n’en pouvait plus…
Pourquoi diantre le taxi n’avait-il pas stoppé à sa hauteur ?
Il l’atteignit dans une ruée suprême…
Comme il parvenait à la hauteur du véhicule, la portière arrière s’ouvrit.
Il y avait déjà un passager dans le taxi.
— Hello, Clay, dit la voix du lieutenant Ox… Qu’est-ce que vous fabriquez à ces heures dans le coin ?
* * *
Clay devint triste.
Ce fut le premier sentiment qui s’empara de lui en découvrant son chef affalé sur la banquette arrière.
Ox était en grande tenue, c’est-à-dire qu’il avait boutonné la veste de son uniforme et noué sa cravate. Sa casquette plate était posée en équilibre sur son crâne.
Il regardait Clay de ses petits yeux inquisiteurs.
— Grimpez, dit-il.
Clay monta.
— Que faites-vous, comme une âme en peine ? demanda Ox.
Il ajouta :
— Je vous croyais dans le train pour la Nouvelle Orléans… J’avais demandé à toutes les gares ferrées, maritimes et aériennes, de me signaler si un certain John Clay prenait un billet et de me dire pour quelle direction… Une idée à moi… J’avais peur que vous ne preniez la poudre d’escampette…
— Quelle idée, dit lourdement Clay.
— Une idée comme ça, qui m’est venue lorsque je me suis aperçu que la fameuse confession que vous prétendiez écrite par Gloria Masure était en réalité une fumisterie.
— Une fumisterie ? balbutia l’inspecteur.
— Oui, puisque ce message était écrit à l’encre sympathique ; au bout d’une heure, il n’en restait plus trace. C'est vous, Clay, qui l’avez dicté à une fille quelconque… Vous vouliez me le montrer, me convaincre… Mais vous ne vouliez pas qu’il pût être confronté avec l’écriture de Gloria Masure…
— Ce n’est pas vrai, je…
— Taisez-vous ! Du reste, nous sommes arrivés…
Clay regarda par la portière : ils étaient garés devant la porte des Masure…
* * *
Clay se demandait par quel phénomène son chef, ce gros lieutenant, venait faire un tour à l’hôtel particulier du milliardaire au milieu de la nuit.
Il n’osait poser la question à son supérieur, mais celui-ci éclaira sa lanterne.
— Il paraît qu’on vient d’assassiner Masure, dit-il. Et m’est avis que l’assassin n’est pas très loin.
Clay ne répondit pas. Il savait que tout était fini pour lui. Il avait perdu la partie…
Un domestique au visage consterné les accueillit.
— Lieutenant Ox, se présenta le gros. Que se passe-t-il ?…
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