Frédéric Dard - La grande friture

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C'est l'histoire d'un pauvre diable de flic à la solde maigre. Entrant un soir dans une boîte sordide pour s'abriter de la pluie, il y rencontre une belle et vénéneuse jeune fille avec laquelle il fait une partie de pile ou face. Comme il perd une fortune, il signe un chèque en bois et se laisse aller à puiser dans le coffre-fort d'un vieux grigou assassiné.
Malheureusement, un Rital à la godille l'a vu et le fait chanter…
Que fait le pauvre diable de flic ? Il se défend… et c'est le maître chanteur qui l'a dans le baba !
Là où l'affaire se complique, c'est que la belle a besoin du flic pour accomplir une sale besogne. Et d'ailleurs, elle détient LA preuve qui ne lui laisse aucune chance ni de refuser ni de s'en tirer…
La Grande Friture
la Loupe
Les Éditions Fayard ont décidé de publier les titres de ces romans policiers qui, après leur première publication sous pseudonyme, n'ont pas été réédités.

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Cette fois, la grande aventure se jouait ; il avait pris les plus habiles précautions. Normalement, il n’en aurait pas besoin. Malgré ses précédentes relations avec Gloria — relations connues de Ox —, il n’y avait pas la moindre raison de s’inquiéter. Il serait hors du coup : mieux que cela, le fait que son lieutenant soit au courant de certaines choses préparait le terrain.

Psychologiquement, il était normal qu’une fille comme Gloria se suicide en voyant que son coup était raté.

Ox penserait qu’épouvantée par la convocation qu’il lui avait adressée, se croyant démasquée, elle avait mis fin à ses jours.

On rechercherait la provenance de la cordelière. Et c’était Gloria elle-même qui en avait fait l’acquisition. Son mot, enfin, son mot d’adieu et de remords adressé à son oncle, couronnerait la version du suicide.

Il ne restait plus qu'à « suicider » Gloria.

C'était ça, le plus dur, maintenant… C'était là qu’il ne fallait pas faire le moindre faux pas.

Comme Clay prévoyait tout, il avait arrangé ce petit coup fourré des transports jumelés… Avec ça, il pouvait voir venir…

Il entra dans un grand magasin et acheta une ceinture de toile munie d’une poche imperméabilisée comme en ont les adeptes de la pêche sous-marine. Il se rendit aux toilettes, se déshabilla, la fixa à même sa peau et glissa à l’intérieur les trente-cinq mille dollars qu’il détenait chez lui. Les huit mille portés à son compte étaient bien là où ils se trouvaient. Mieux valait ne pas y toucher pour l’instant.

C'est un garçon prêt à tout qui pénétra dans le petit restaurant où il avait ses habitudes.

— Servez-moi vite, dit-il à la serveuse.

— Vous êtes pressé, M. l’Inspecteur ?

— Oui, dit-il, je prends le train dans une heure.

— Vous allez loin ?

— La Nouvelle Orléans…

— Vous en avez, de la chance ! C'est pour votre travail ?

— Non, vacances… alors, vous comprenez que je ne veuille pas rater mon tacot !

Ils éclatèrent de rire l’un et l’autre.

— Que voulez-vous manger ?

— Une portion de poulet avec des frites et de la salade… Une gaufre au sirop… Vous me servirez un Coca-Cola pour pousser le tout, d’accord ?

— Je vous demande trois minutes, répondit la jeune fille.

C'était une gentille gosse, du genre « J’ai-dû-me-débrouiller-toute-seule-de-bonne-heure ! ». Blonde terne, avec des yeux noirs comme des trous de serrure et des seins un peu fluides. Clay s’était souvent proposé de la basculer sur son divan, un de ces soirs… Il ne l’avait jamais fait. Toujours des histoires de gangsters qui l’obligeaient à trotter alors que les autres hommes s’allongeaient contre une fille…

Baste, des pépées, il en trouverait des tas en Floride, et des mieux que ça.

Des filles qui n’auraient pas des relents de cuisine dans leurs jupes !

Il mangea de bon appétit, laissa un pourboire royal à la serveuse et lui toucha gentiment les fesses, ce qui parut lui faire plaisir.

Il faisait nuit… Le temps restait décidément au beau. C'était chouette, la pensée que, le lendemain, il serait tout près du soleil… Près de la mer.

Il y aurait du bleu plein les yeux, des cris joyeux, des jaillissements d’écume blanche, des corps bronzés, des fleurs odorantes.

Oui, mais tout ça, c’était pour demain. Les hommes ont toujours tendance à vivre au passé et au futur, ils ne s’inquiètent pas suffisamment du présent.

Or, son présent n’avait rien d’ensorceleur. Il était fait d’obscurité et de mort.

Pour l’instant, il risquait encore sa peau, il fallait ajourner les beaux rêves.

— Taxi !

Le chauffeur était une grosse brute à tête de bulldog. Avec lui, on devait la sentir passer, si on chicanait sur le pourboire.

— Gare centrale !

L'auto démarra en souplesse.

À ces heures, il y avait une grosse agitation dans la gare.

Clay consulta le panneau des départs. Son train l’attendait voie 2, il partait dans vingt-cinq minutes, il fallait bien ça…

Il consulta son bulletin et gagna le compartiment qui lui était réservé.

— Inspecteu’ Clay, gazouilla un nègre préposé au service du wagon, oui, m’sieu, pa’ ici ! J’ai déjà po’té vot’ valise…

Clay lui tendit une coupure.

— Méci, m’sieu.

Le policier entra dans le petit compartiment douillettement climatisé. La couchette était confortable ; le cabinet de toilette attenant, presque luxueux.

Un gros coup de nostalgie le prit.

Ç’aurait été rudement fameux de se coucher et de ne plus penser à rien. De se laisser bercer par le doux mouvement pneumatique du train.

Hélas, il ne pouvait en être question, sa quiétude n’aurait pas duré longtemps.

Il repoussa la tentation et se déshabilla pour la seconde fois. Il ouvrit sa valise, y prit un pyjama et le passa.

Cela fait, il ouvrit la porte du couloir.

— Hé ! dit-il au nègre.

Le serveur s’empressa.

— J’ai dîné, fit Clay, alors foutez-moi bien la paix avec le service restaurant… Je veux en écraser, compris ?

— Comp’is, m’sieu l’Inspecteu’…

Clay referma la porte de son compartiment. Il se rhabilla par-dessus son pyjama, glissa la clef du compartiment dans sa poche et baissa la vitre.

Il sortit un timbre-poste de sa poche, le colla sur le montant de la vitre afin de pouvoir repérer immédiatement celle-ci de l’extérieur.

Puis, ayant constaté que le train qui faisait face au sien sur la voie voisine était vide, il enjamba la fenêtre et se coula entre les deux convois.

Si tout allait bien, à cinq heures du matin il serait en gare d’Atlanta. Lorsque son train arriverait, il n’aurait qu’à ôter ses vêtements dans les toilettes de la gare et à retourner en pyjama à son compartiment après avoir jeté son costume par la fenêtre. Il offrirait une cigarette au nègre en lui disant que ça faisait du bien de se dégourdir les jambes. Le moricaud pourrait jurer qu’il n’avait pas quitté le train…

Mais il était peu probable qu’il ait jamais à témoigner.

Clay passa ses lunettes noires et coiffa sa casquette blanche.

C'étaient les signes les plus marquants de sa personnalité d’emprunt.

De l’autre « lui-même » qu’il avait besoin de créer pour réussir son entreprise. Il savait, pour l’avoir expérimenté sur les autres, que d’aussi simples détails vestimentaires fixent l’attention des gens et abolissent chez eux leurs dons d’observation.

Donc, il était relativement à l’abri des témoignages.

Il pouvait voir venir.

Maintenant, il fallait user une heure ou deux et s’introduire discrètement chez les Masure.

Ça non plus, ça n’était pas facile… Qu’un domestique l’aperçût et donnât l’alerte, et il ne lui restait plus qu’une ressource : se tirer une balle dans la tempe.

CHAPITRE VI

C'était une drôlement chouette idée qu’avait eue Masure d’acheter un hôtel particulier.

Clay était pour… À fond pour !

Jamais il n’aurait pu pénétrer dans un appartement de building comme il venait de le faire dans cette opulente propriété.

Il avait contourné le mur de la demeure jusqu’au fond d’une impasse. Là, il avait franchi le mur aussi aisément que les sapeurs pompiers grimpent à leurs grandes échelles.

Une fois au fond du parc, il avait attendu.

Il n’y avait pas de chien chez les Masure. Ça aussi, c’était une fameuse veine.

De plus, comme il était venu céans, il se repérait sans la moindre difficulté.

Il fallait éviter les domestiques… Tout était là ! Comment pouvait-il les rassembler dans un point précis de la propriété ?

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