Un parfum suave, une atmosphère délicatement ouatée enivrèrent le policier.
Gloria était allongée sur un divan ; sa robe de chambre largement ouverte dévoilait ses jambes admirables et laissait deviner les rondeurs affolantes de ses seins.
Clay s’inclina devant elle. Elle en profita pour l’attraper par le cou et lui tendit sa bouche. Ils échangèrent un long baiser brûlant qui mit en feu le sang de John Clay.
— Heureux de me revoir ? demanda-t-elle.
— Fou ! répondit-il.
Il s’assit à ses côtés et l’enlaça.
Elle répondit à son étreinte et ils roulèrent bientôt dans un tourbillon de volupté.
Lorsqu’ils se furent ressaisis, Gloria demanda :
— Vous restez ici jusqu’à l’heure de votre service, n’est-ce pas ?
— Ma foi, murmura le policier, ce serait avec plaisir, mais je crains de… Ne riez pas : de vous compromettre… Si votre père…
Elle haussa les épaules.
— Mon père se moque de mes agissements, de mes relations et de tout ce que je fais, pourvu que ce ne soit pas trop scandaleux, affirma-t-elle. Et puis, d’abord, ce n’est pas mon père…
Clay la regarda d’un air stupéfait. Tellement stupéfait, en vérité, qu’elle éclata de rire.
— Votre père n’est pas votre véritable père ? balbutia-t-il.
— Non, je ne suis que sa nièce. La fille de la sœur de sa femme, vous me suivez ? Mes parents sont morts dans un accident de chemin de fer alors que j’étais en nourrice. Les Masure ne pouvaient pas avoir d’enfants ; à la requête de ma tante, ils m’ont adoptée.
— Ah bon…
— Mais Masure n’a jamais montré pour moi beaucoup de sentiments. C'est un homme qui n’a qu’une passion dans sa vie : les affaires. Cela seul compte pour lui. Lorsque sa femme est morte, voici une dizaine d’années, il ne s’en est même pas rendu compte…
Elle chassa d’un geste ces images pénibles.
— Enfin, il paiera ça un jour ou l’autre.
— Vous êtes dure, dit Clay.
— C'est ça, fit-elle, dure mais juste…
Elle sonna le domestique et lui dit d’apporter un breakfast complet.
— Tout en mangeant, vous allez me raconter votre aventure policière, implora-t-elle.
Cela ne plaisait qu’à demi à Clay. Il n’avait plus qu’un désir, oublier complètement cette vilaine histoire. Mais Gloria paraissait y tenir terriblement. Et c’était une enfant capricieuse à laquelle on ne pouvait rien refuser.
En dévorant ses œufs et sa confiture de groseille, il refit donc le récit qu’il avait mis au point pour le lieutenant Ox, la veille.
Elle l’écouta sans l’interrompre.
— C'est prodigieux, dit-elle.
— Qu’est-ce qui est prodigieux, ma chérie ?
— De pousser aussi loin l’esprit de déduction. Un bouton de culotte et voilà l’assassin démasqué, bigre ! Vous êtes pire que Sherlock Holmes…
— Ne parlons plus de ça, coupa-t-il, je connais mon métier, simplement ; ce qui vous épate tellement n’est au fond que de la routine…
— Ta-ta-ta, ne faites pas le modeste !
Il lui cloua les protestations sur la bouche d’un baiser ardent. Mais, cette fois-ci, elle ne s’abandonna pas.
— Voulez-vous que je vous montre quelque chose d’intéressant ? demanda-t-elle.
— Quoi donc ? fit-il, curieux.
— Vous qui êtes policier, vous ne manquerez pas d’être intéressé… Il s’agit d’un petit film qu’un de mes amis a tourné récemment…
Elle l’entraîna dans sa salle de bains.
— Venez, dit-elle.
Dans cette pièce raffinée, carrelée de vert, se trouvait installé un appareil de projection pour film de 16 millimètres.
Gloria plaqua contre le mur un petit écran au moyen de ventouses spéciales.
— Asseyons-nous, conseilla-t-elle en désignant deux tabourets nickelés.
Intrigué, Clay s’assit. À quelle fantaisie cette fille fantasque allait-elle se livrer ?
Il la vit couper l’éclairage et brancher le courant sur l’appareil. Elle actionna la butée de déclenchement.
Un rectangle de lumière crue frappa l’écran… Puis il y eut des scintillements, un fourmillement d’éclats ayant la forme de microbes grossis.
Enfin une image se détacha, mais c’était à première vue une masse noire qui tenait tout l’écran.
— Paysage nocturne, commenta Gloria.
À bien y regarder, on découvrait qu’il s’agissait d’un immense terrain vague ou d’un quai, car on apercevait un grand espace dégagé, des lumières dans le fond et des constructions non éclairées sur la gauche.
— Ce film a été pris de nuit, sans autre éclairage que celui de la lune, dit encore la jeune fille.
Clay éprouvait un confus sentiment de malaise.
Pourquoi ? Il n’aurait su le préciser. De plus, il sentait que le ton de la jeune fille s’était modifié. Gloria avait retrouvé sa voix péremptoire et cruelle du bar.
Il regarda plus intensément l’écran… Il vit le dos d’un homme marchant à pas rapides. Cette silhouette lui disait quelque chose… Où diable avait-il vu cette lourde démarche de plantigrade ?
Une autre silhouette parut sur l’écran. Cette fois, il la reconnut au premier coup d’œil : c’était la sienne.
Oui ! la sienne… Il n’y avait pas d’erreur sur ce point ! Et, en même temps qu’il reconnut sa propre silhouette, il reconnut l’autre : celle de Cendrini.
Il reconnut aussi le décor : celui des docks, la nuit précédente.
Il demeura muet, glacé par une sourde horreur. Il sentait ses membres se refroidir. Il avait mal.
Il assista, immobile, à son meurtre de la nuit. Sans doute, pour un spectateur non informé, cette courte projection aurait-elle été difficile à interpréter, mais pour lui qui avait vécu la scène, pour lui qui avait tué, elle était nette comme un film de l’Hollywood Palace.
La masse sombre fit place au carré de lumière scintillante.
Gloria coupa le contact et redonna de l’éclairage.
Clay cligna des yeux. Il ne savait quoi dire, ni quelle attitude adopter. Il lui semblait vivre un mauvais rêve, un de ces cauchemars enfantés par les digestions laborieuses.
— Que dites-vous de cette petite bande ? demanda Gloria.
Il leva les yeux sur elle. Elle riait. Elle avait un petit air heureux et impitoyable qui lui fit mal.
— Curieux ! trouva-t-il la force de balbutier.
— Oh ! Ça ne vaut pas une production de Cecil B. DeMille, mais elle a sa valeur, non ?
— C'est bien possible, admit Clay.
Il sentait que ses œufs frits ne passaient pas ; il avait envie de vomir, envie de respirer l’air pur du printemps.
Elle éclata de rire.
— Vous faites une drôle de tête, mon chéri !
— Chacun fait la tête qu’il peut, dit le policier.
Peu à peu, sa combativité lui revenait. Le premier assaut de la surprise repoussé, il se sentait redevenir un homme de choc.
Un superman, comme des millions de petits Américains rêvent de le devenir.
— C'est vous qui faites du cinéma nocturne ? demanda-t-il.
— Non, fit-elle, c’est un type que je paie pour ça… Il travaillait cette nuit avec un téléobjectif. Pour filmer ces sortes de scènes, c’est préférable, ne croyez-vous pas ? Moins on est près, mieux on assure sa sécurité… Une balle perdue est si vite interceptée !
— Quel jeu jouez-vous ? questionna Clay d’une voix rauque.
Cette âpreté n’échappa pas à sa compagne.
— Le jeu de l’amour et de la mort, fit Gloria.
— Oh ! nous ne sommes pas là pour faire de la littérature, mon petit, dit-il. J’attends de vous quelques légitimes explications.
— Eh bien, policier de mes rêves, j’ai trouvé tellement extraordinaire qu’un flic possède de la fortune, que j’ai voulu en avoir le cœur net et que j’ai chargé un type de vous filer, une caméra à la main, afin de filmer tous vos faits et gestes pouvant paraître suspects. Or il se trouve que vous en avez eu, cette nuit, des gestes suspects, n’est-ce pas ?
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