Frédéric Dard - Rendez-vous chez un lâche

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Rendez-vous chez un lâche: краткое содержание, описание и аннотация

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Deux coqs vivaient en paix… Une petite bourgeoise vient troubler l'existence de François Givet, un peintre homosexuel en ménage avec Riton, garçon sympathique, qui le protège farouchement. Ce jeune prolo, mi-voyou, mi-ange gardien, feint de s'amuser de cette liaison naissante et, à ses yeux, contre nature, entre son ami et cette doctoresse trop séduisante pour être honnête. En réalité, Riton a peur et pressent un drame imminent. Une lutte sourde se déclare entre ces trois personnages. Et voilà la guerre allumée… Derrière l'intrigue criminelle, les doubles jeux et les mensonges, Frédéric Dard dévoile avec une extraordinaire acuité le drame intime d'un homme qui n'aime pas les femmes et fait preuve d'une intuition pénétrante dans un domaine qui lui est, a priori, étranger.

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Je n’ai pas insisté. Riton chantait à pleine gorge dans l’office. C’était lui qui avait tout de même gagné. Il tenait à nous le faire savoir.

— Danièle…

Elle a sauté du divan et a tapoté sa jupe pour la défroisser.

— Maintenant vous voici hors de cause.

Une légère moue a plissé sa bouche.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr ; quelque chose me le dit.

— Je souhaite que Jérôme soit vite découvert et identifié, car cette attente va être odieuse.

— J’aimerais rester à vos côtés !

— Ça n’est pas possible, vous le savez bien.

— Je sais.

Nous étions comme des fêtards que l’aurore dessoûle.

Un timide rayon de soleil ruisselait sur les verres de l’atelier. Il constituait le noyau de ce jour nouveau que j’avais tant redouté.

— Danièle ! Je vous aime, ai-je bredouillé. Nous aurons un avenir, vous verrez !

Elle s’est penchée sur moi, véhémente !

— Notre histoire ne vous appartient plus. Elle est à moi désormais ; parce que cette fameuse nuit, je l’ai vécue seule ! Seule ! Vous comprenez ? Seule dans le silence, à vous regarder dormir. Seule à embrasser vos lèvres, le plus doucement possible pour ne pas troubler votre sommeil.

Riton est entré.

— Qu’est-ce qui se passe encore !

Danièle s’est redressée et a secoué la tête.

— Rien ! Rien…

— Ah bon ! a grommelé le garçon, j’ai eu la trouille. Vous êtes tellement impulsive !

Danièle n’a pas protesté. Elle me paraissait presque vieille. Elle avait le dos rond et toute sa personne donnait une impression de débilité.

C’est Riton qui a remis l’existence en route.

— Venez donc boire le jus, les gars. On va se taper un Nescafé carabiné, l’eau est chaude !

Nous l’avons suivi, tête basse, à la cuisine.

* * *

Danièle a reposé sa tasse vide.

— Il est inutile de me raccompagner, François, je vais rentrer à pied.

— Jamais de la vie !

— Jamais de la vie, ai-je protesté, passe-moi mon pardessus, Riton, et puis va ouvrir le portail pour que je sorte l’auto.

Il était tombé beaucoup de neige pendant la nuit, mais elle commençait à fondre déjà. L’hiver « prenait » mal et ressemblait à un sorbet insuffisamment glacé. Nous avons pataugé silencieusement jusqu’au garage. Riton se tenait près du portail. Son haleine planait autour de son visage. Lorsque nous sommes passés devant lui, il a levé le bras en un geste d’adieu. Danièle lui a adressé un signe de tête. J’avais hâte de la déposer. Maintenant nous n’avions plus rien de commun, elle et moi. Nous nous éloignions l’un de l’autre à toute allure. Je ne trouvais rien à lui dire ; d’ailleurs elle ne voulait rien entendre. J’ai pris le chemin cahoteux de la Seine, puis la route qui contournait l’agglomération. La neige fondue giclait sous les ailes de mon auto. En quelques minutes, nous avons atteint la petite porte par laquelle Riton avait évacué Carbonin. Nous nous sommes regardés alors. Il fallait bien que nous prenions congé l’un de l’autre ; que nous échangions quelques syllabes, un mot au moins, un simple mot qui nous resterait planté dans le cœur pour toujours.

Et ce que j’ai bégayé était bien entendu lamentable :

— Au revoir, Danièle. Vous me tiendrez au courant !

Comme un homme d’affaires quittant un autre homme d’affaires « Tenez-moi au courant ! ». J’ai eu honte. Elle, aussi. Son texte à elle a été beaucoup plus court, beaucoup moins plat, beaucoup plus durable.

— Adieu, François !

Elle est descendue de l’auto. Une dernière fois j’ai vu son genou rond. La portière est retombée. Elle a passé devant le capot de la voiture et a disparu sans se retourner par la petite porte. On venait de m’arracher le cœur, et je continuais à vivre ! C’était un miracle !

J’ai démarré. Les roues arrière ont patiné un peu dans la neige visqueuse. Au bout de la route, j’ai pris à gauche afin de passer une dernière fois devant son pavillon. Comme je tournais dans la grand-rue, j’ai aperçu un rassemblement à la grille du laboratoire. Il y avait beaucoup de badauds et des voitures dont l’une était sommée d’une grosse antenne. Je ne comprenais pas. Je me suis arrêté devant la boutique du photographe. Le bonhomme se tenait sur son seuil et pérorait avec une commère à cheveux blancs.

— C’est un accident ? ai-je bredouillé.

Tout heureux, le bonhomme s’est approché de ma portière.

— Drôle d’accident, oui ! Figurez-vous que la doctoresse d’en face a égorgé son mari !

J’ai eu le ventre broyé par la frousse ! Comme à mon réveil, tout à l’heure, et comme jadis devant le lit de mort de ma mère, le refus de la réalité affreuse est monté à ma gorge en un cri déchirant. Le photographe l’a pris pour une exclamation de surprise.

— Figurez-vous que ce matin, le facteur des recommandés arrive en face avec un paquet. Il sonne, personne vient ouvrir. Il s’apprête à partir quand il aperçoit de la lumière à l’intérieur. Il tourne le loqueteau, la porte qu’était pas fermée s’ouvre…

Le photographe était ravi. Il mettait son récit au point et pendant des années il le raconterait avec les mêmes mots, les mêmes inflexions, reprenant son souffle aux mêmes endroits.

— Voilà mon facteur qui rentre. Il va au cabinet de la doctoresse où brillait la lumière. Et qu’est-ce qu’il trouve, raide et plein de sang sur le carrelage ? M. Carbonin avec un bistouri planté dans le gosier !

J’ai démarré si brusquement que le photographe a été crépi de boue grasse. Je l’ai aperçu dans le rétroviseur qui me tendait le poing. Ma colère sonnait à toute volée dans mon crâne. J’ai foncé jusqu’à la maison. Riton m’attendait, assis sur le mur, les jambes pendantes.

— Dis donc, vieille cloche, m’a-t-il lancé, figure-toi que t’avais fermé à clé en partant !

Je suis descendu de l’auto comme un fou. Je pleurais et criais tout à la fois :

— Salaud ! Salaud ! Salaud !

Il a retiré ses jambes, craignant que je ne les saisisse pour le faire glisser de son perchoir.

— Ah ! t’es au courant ! a-t-il murmuré.

— Salaud !

Je ne parvenais pas à exprimer mon mépris, mon désespoir, ma haine, autrement que par cette insulte :

— Salaud ! Salaud ! Salaud !

Le plus curieux, c’est qu’il m’écoutait attentivement, comme on écoute des explications laborieuses. Quand, à bout de souffle, je me suis tu, il a hoché la tête avec commisération.

— Oui, t’es en crosses, je te comprends, a-t-il dit, mais crois-moi, François, y avait pas autre chose à faire. T’es un peintre célèbre, vieille cloche, t’as pas à t’embarquer dans une affaire de gonzesse. Je t’avais prévenu au début que c’était une fille à complications. J’avais pas raison, dis ?

« Si j’avais pas trouvé cette astuce hier soir pour vous retenir, vous partiez, et t’étais un mec terminé ! T’aurais eu bonne mine, ce matin, en t’réveillant dans un train, avec une fille recherchée pour meurtre ! »

— Pourquoi n’as-tu pas emmené le corps, salaud ?

— Quoi !

Vous me croirez si vous voulez, mais il était furieux.

— Tu te figures que j’allais risquer dix ans de taule pour les beaux yeux de cette garce ? Tu me vois jouer les croque-morts avec son gros lard ratatiné !

— Tu es une ordure, Riton !

— Tu me l’as déjà dit plusieurs fois, ça devient beaucoup.

Comprenant que tout danger était écarté, il a sauté du mur. J’avais cessé de lui faire peur. Il a refermé le portail, ajusté la barre et s’est alors retourné.

— Et moi, je vais te dire une bonne chose, François. Les types comme toi ont besoin des ordures comme moi. On n’y peut rien, ça aussi c’est un mystère. Maintenant, si tu veux que je me barre, parole d’honneur, je suis prêt à fout’ le camp !

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