— On dirait bien.
— A-t-on pu récupérer ces objets ?
— La montre, oui. On a localisé la jeune femme avec son smartphone et le jeune homme avec ses lunettes. On a envoyé deux voitures.
— Pourquoi fait-elle ça ? Ça n’a pas de sens, compte tenu des caméras que nous avons partout ? Elle devrait être au courant, d’après ses reportages des jours passés.
— Elle a fauché lunettes de soleil et casquette pour se cacher des caméras quelques blocs plus loin. Puis elle a disparu dans le métro.
— Ni la casquette ni les lunettes ne peuvent l’aider contre notre couverture de vidéosurveillance. Ça aussi, elle doit le savoir.
— Peut-être qu’elle n’y a pas pensé. Ce n’est pas une tueuse professionnelle. Si elle a vraiment tué Argawal, alors elle se trouve dans un état psychologique particulier.
— Grâce aux instruments dont elle s’est débarrassée, on saura très vite où elle était au moment du crime.
— Les médecins ne pourront dater l’agression à la seconde près.
— Relève aussi la localisation de tous ces trucs au cours des heures précédentes », exige l’inspecteur. Il sait pertinemment que le RTCC le fait systématiquement, mais il préfère s’en assurer.
« On sait où elle est ? »
Essayant de passer inaperçue, Cyn attend fébrilement d’arriver à Grand Central. Elle a toujours l’impression d’être surveillée. À peine les portes s’ouvrent-elles qu’elle saute sur le quai bondé. L’air est moite. Elle espère que les studios sont équipés d’une douche. Une toilette rapide ne suffira pas. Ses vêtements sont également imbibés de transpiration à cause de la chaleur et du stress. Dire qu’elle avait pris des habits élégants !
C’est fou que je puisse me soucier de ma garde-robe à cet instant !
Elle se laisse porter par le flot des passagers jusqu’à se retrouver au beau milieu du célèbre hall de gare. Ce n’est pas là qu’elle voulait aller. Elle a le sentiment d’être au beau milieu d’une cathédrale construite pour honorer un dieu moderne non pas de silence et de recueillement mais d’agitation et d’activité intenses. Seules quelques personnes marquent un arrêt devant le tableau des arrivées et des départs ou pour prendre une photo de l’endroit.
Et maintenant, je vais où ?
Grâce aux images en direct de trois lunettes différentes, Viola peut suivre de différents points de vue les péripéties de sa mère, égarée à Grand Central, allant et venant, éperdue. Elle ignore qu’elle a été repérée par de nombreux passants qui ont chargé photos et vidéos d’elle sur les réseaux. L’un d’eux, non content de l’avoir reconnue, la suit à une certaine distance. Il murmure quelque chose que Viola ne peut comprendre en raison du brouhaha.
Une quatrième personne l’identifie à son tour. Elle ouvre l’image dans une nouvelle fenêtre. Elle domine le hall, qu’elle aperçoit tout entier. Elle zoome sur Cyn, puis revient. Cette dernière n’est qu’un point dans une masse, toujours au centre du champ de vision de l’inconnu.
Pendant ce temps-là, de nouveaux posts défilent.
Compte de la police (lien) : #NYPD recherche #CynthiaBonsant, suspecte principale dans l’affaire #Bedley. #NYC #Fugitive
Images prises par la caméra du Lebby’s Deli : #CynthiaBonsant se débarrasse de son téléphone.
(Vidéo)
#NYPD confirme une victime dans l’affaire #Bedley #NYC. État de santé incertain. Pas d’autres victimes.
#CynthiaBonsant liée à des terroristes ? #Zero #0
Bonjour # NYPD, voici #CynthiaBonsant
#GrandCentral #NYC !!!!!
(Photo)
La victime de l’affaire #Bedley s’appelle Chander #Argawal, partenaire de #CynthiaBonsant dans la traque de #Zero.
Caméra du Lebby’s Deli : #CynthiaBonsant se débarrasse de quelque chose. #SmartGlasses ? (Vidéo)
Une autre vidéo où #CynthiaBonsant vole casquette et lunettes.
(Vidéo)
Viola ne sait plus que croire. Elle visionne les deux vidéos où l’on voit sa mère se débarrasser de ses lunettes et de son téléphone. La caméra du Lebby’s Deli doit être très ancienne. Pour reconnaître Cyn, il faut l’avoir suivie jusque-là. Même Viola n’y parvient pas. De même, il faut faire preuve d’imagination pour reconnaître un smartphone.
Des conneries, tout ça !
Elle tente d’appeler de nouveau, tombe, une fois de plus, sur sa messagerie.
« La police est sur place », lance un des porteurs de lunettes de Grand Central. Viola distingue en effet deux personnes en uniforme parmi la foule. Grâce aux images du quatrième témoin elle peut, en raison de son point de vue dominant, avoir une idée plus précise de la situation. À gauche de l’image, les deux policiers se frayant un chemin, à droite, sa mère en train d’étudier un plan, tournant le dos au hall.
Les messages permanents qui ne cessent d’affluer, les photos et les vidéos confèrent à Viola le sentiment étrange de se trouver sur place. Elle est complètement happée par ce qu’elle voit, tremble avec sa mère. Ses mains sont moites, elles se crispent, se tordent. Devant elle, son ordinateur, à côté, le Pi. Elle aimerait prévenir sa mère : « Attention ! La police ! » Mais elle ne peut être que spectatrice. Impuissante, elle voit les policiers s’approcher de sa mère.
Elle serre les poings, se demande comment lui venir en aide. Zero ? Elle leur a déjà écrit. Mais ils sont sa seule chance.
Guext:
Vous ne pouvez pas aider ma mère ?
Peekaboo777:
On est dessus. Soutien des Anonymous.
Ils sont dans le système de caméras de surveillance et manipulent les images. Puis Grand Central. D’ailleurs : comment ta mère a pu te contacter ?
Guext:
Téléphone.
Peekaboo777:
Le tien ?
Guext:
Oui.
Peekaboo777:
Fous le camp : Évite les caméras tant que possible. Prends le Pi avec toi. Il ne faut pas qu’ils tombent dessus. Détruis la carte SD, tout de suite !
* Fin de session *
Son estomac se crispe. Ses mains tremblent. Sans réfléchir, elle rassemble tout le bazar, enfile un sweat à capuche, prend ses lunettes de soleil. « Évite les caméras », lui a-t-on dit.
Ils craignent donc que je sois surveillée ? Putain ! J’ai rien fait, moi ! Je suis une meuf de dix-huit ans, c’est tout. C’est quoi cette merde ? Au beau milieu de la nuit, en plus ? Où aller ?
Elle hésite, ôte sa smartwatch, laisse son téléphone. Il y a, dans leur immeuble, une porte discrète donnant sur l’arrière et ouvrant sur un petit chemin piétonnier. D’autant qu’elle sache, il n’y a pas de caméra à cet endroit. Elle doit essayer.
« Madame Cynthia Bonsant ? » demande le policier en atteignant la journaliste.
Surprise, elle acquiesce. Saisie d’un désagréable pressentiment, elle se demande comment il peut bien connaître son identité.
Une policière arrive sur le côté. « Madame Bonsant, nous aimerions que vous veniez avec nous.
— De quoi s’agit-il ? demande-t-elle, cherchant à conserver son calme.
— Nos collègues ont quelques questions à vous poser au sujet des événements survenus dans votre hôtel. »
Et moi donc !
D’un geste, l’homme lui indique la direction. Cyn les suit. Certains passants ralentissent en les croisant, voire s’arrêtent. Deux d’entre eux semblent même les observer de loin alors qu’ils traversent le hall pour gagner la sortie.
« De quels événements parlons-nous ? » Elle est inquiète.
« Nos collègues vous le diront.
— Comment m’avez-vous trouvée ? Grâce aux caméras ?
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