« Super ! » lance-t-il de façon lapidaire. « La confiance règne. »
Une fois à l’intérieur, Will interroge Carl du bout des lèvres. Sans moyen de les enregistrer, les réponses n’ont pas de valeur. Tandis que Carl parle, Will se demande comment il pourrait bien obtenir des preuves irréfutables concernant l’expérience.
« C’est une bonne chose que tu prépares ton intervention », dit Carl, absorbé dans ses pensées. « Après-demain, on aura notre premier client. »
Will se sent pris de court.
Ne ferait-on pas mieux de réfléchir à une stratégie, plutôt que de se lancer de la sorte ?
De nouveau, il a la sensation de n’être qu’un membre du conseil de second rang, un collaborateur grassement rémunéré.
« Qui ? demande-t-il. Ce serait bon à savoir, pour mon intervention. »
Carl lui donne le nom d’une des plus grosses multinationales du monde.
« Mais ce ne sont que les premiers. D’autres suivront. »
Carl affiche un sourire satisfait.
Will se retient de ne pas lui rentrer dedans.
À peine Carl a-t-il remis ses lunettes qu’il reçoit un message de Joaquim, le chien de garde d’Henry. Il le rappelle séance tenante tandis que Will disparaît dans le couloir.
« La venue de Will et ses questions portant sur l’expérience n’étaient aucunement un hasard, lui raconte Joaquim. Nous avons pénétré son téléphone et savons qu’il a déclenché un micro.
— Le connard !
— Il ne doit pas participer à ce talk-show. Envoyez quelqu’un d’autre !
— Qui ?
— Je ne sais pas. Alice Kinkaid vient de quitter son bureau. Et de toutes les façons, on n’aurait pas pu l’envoyer. Soit vous y allez en personne, soit on renonce.
— Quelles raisons dois-je invoquer ?
— On s’en fout. La traque de Cynthia Bonsant. Dites-lui qu’il doit rester au siège pour réagir à de nouveaux événements. On doit lui parler. D’ici là, il ne doit ni partir ni communiquer avec qui que ce soit. Convoquez-le à une réunion dans le bunker. »
Carl raccroche et appelle la sécurité. Puis il court derrière Will qui disparaît derrière un angle.
« Tu ne peux pas participer à l’émission.
— Pourquoi ?
— On doit parler d’une chose importante. Accompagne-moi dans le bunker.
— Alors quelqu’un doit me remplacer. Alice serait parfaite, elle a l’expérience des plateaux télé. »
« Où va-t-elle ? demande Marten.
— Manger un bout », répond Luís.
Ils suivent Alice grâce aux différentes caméras des magasins et à travers les paires de lunettes des trois jeunes femmes qui la suivent. Elle-même a mis les siennes dans sa poche.
« Elle fait toujours ça ? »
Luís ouvre son profil et le survole.
« Assez souvent. Pas de manière régulière.
— Elle a rendez-vous avec quelqu’un ?
— Rien ne permet de le penser. »
Elle disparaît dans un restaurant à la mode.
« Quelqu’un derrière elle », ordonne Marten.
Il voit Alice s’installer à l’une des dernières tables libres au fond de la pièce. Un des agents qui la file trouve également une place, à l’opposé. De là, elle peut observer Alice mais pas voir précisément le moindre de ses faits et gestes ; il y a trop de monde.
Une serveuse apporte la carte à Alice. Elle la lit en diagonale, la pose dans un coin. Elle prend ses lunettes dans son sac et les met.
« On y est ! » se réjouit Luís. « Quoique… », soupire-t-il lorsqu’il remarque qu’Alice, au lieu de téléphoner comme il l’espérait, consulte des informations relatives à la traque de Cynthia Bonsant.
Le corridor de l’hôtel desservant la scène du crime sent les produits d’entretien. Straiten discute, via ses lunettes, avec l’un des agents du RTCC.
« Pour l’instant, nous recevons des centaines d’informations. Selon les analystes, elle se trouve à Midtown. On n’a pas encore pu la trouver dans le métro, malgré nos caméras. Il y a quelque chose qui cloche avec certaines d’entre elles. Elles deviennent comme folles. Sans compter que sa casquette et ses lunettes compliquent la chose. Il en va de même pour les nombreuses photographies prises par des passants qui croient l’avoir vue. Elles sont trop mauvaises pour les logiciels de reconnaissance faciale ou corporelle. Nous devons faire le travail nous-mêmes. »
La police scientifique laisse enfin entrer Straiten dans la chambre. Il examine l’endroit où se trouvait le corps. La direction de l’hôtel devra changer la moquette. À proximité de la tache de sang coagulé, un ordinateur portable maculé d’hémoglobine, que des fonctionnaires ont mis dans un sachet plastique.
« On a identifié la victime. Il s’agit de Chander Argawal. Son pronostic vital est engagé. Selon les médecins, il n’a pratiquement aucune chance de s’en sortir. »
Straiten va à la fenêtre. Sur le cadre, les traces de poudre laissées par la scientifique pour relever les empreintes. Il jette un regard dans la petite cour déjà sombre alors qu’on entrevoit un morceau de ciel bleu au-dessus des hautes façades. L’inspecteur montre les traces de doigts sur la fenêtre à une fonctionnaire de l’identification.
« Vous savez qui c’est ?
— On vient de l’apprendre », répond-elle. Elle regarde sa tablette. « Quatre personnes. Trois inconnus qui se trouvaient dans la chambre et Cynthia Bonsant.
— Vous en avez d’autres à l’extérieur ?
— Oui. Certaines empreintes de Bonsant. Sur la fenêtre et sur la porte de la chambre du deuxième. Elle a laissé des empreintes partout.
— L’arme du crime ? » Il montre le portable.
« Le médecin pense que oui. C’est solide, ces choses-là. On peut sans problème défoncer le crâne de quelqu’un.
— C’est ça, sa blessure ?
— Oui. Trauma cérébral sévère. Mais on n’a trouvé des empreintes de Bonsant que sur le haut de l’ordinateur. Si elle s’en est servie pour frapper, elle portait des gants, ou avait placé quelque chose entre ses doigts et l’appareil.
— Alors vous devriez en trouver des traces, non ?
— On ne pourra le faire qu’au labo. »
« On a les données d’une des caméras de surveillance », annonce dans les lunettes de Straiten un de ses collègues du RTCC.
Il remercie la fonctionnaire de la scientifique. « Envoie-moi ça. »
La vidéo s’ouvre. On y voit l’entrée de l’hôtel à environ cinquante mètres de distance. La qualité n’est pas particulièrement bonne, on peine à reconnaître le visage de Bonsant.
« C’est Cynthia Bonsant en train de quitter l’hôtel. On peut la suivre facilement ensuite. Ce qu’elle fait n’est pas dénué d’intérêt. »
Le collègue lui envoie de nouveaux fichiers. La journaliste se penche sur une mendiante.
« Que fait-elle ? Elle ne lui donne pas d’argent, tout de même ? demande Straiten. Se débarrasserait-elle de preuves ?
— C’est ce que nous nous sommes demandé. » Il revient en arrière, deux mètres avant sa rencontre avec la mendiante. « On aperçoit très bien le buste de Cynthia. Regarde son poignet gauche.
— Elle porte une montre.
— Exact. Et maintenant… » Il accélère la vidéo.
« Plus de montre, remarque Straiten.
— Voilà. On a fait des recherches. Ce n’était pas une montre normale, mais une smartwatch.
— Pour enregistrer les données corporelles ?
— Yep.
— Pourquoi l’enlève-t-elle ?
— Attends. »
Deux minutes plus tard, l’inspecteur sait que Cynthia s’est débarrassée de son smartphone et qu’elle a donné ses lunettes à un jeune homme.
« À croire qu’elle veut se débarrasser de tous les appareils permettant de la localiser et de la suivre, observe Straiten.
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