— Cette copie n’a que deux ans.
— Ce mec n’a probablement été qu’une seule fois dans sa vie à cet endroit, s’émeut Cyn.
— C’est pour ça que j’ai un peu plus fouillé. Comme je l’ai dit, les métadonnées m’ont donné, en plus du numéro de licence, l’adresse MAC de l’ordinateur avec lequel il a mis sa vidéo en ligne.
— En quoi ça aide ?
— La plupart du temps, ces réseaux sont mal sécurisés. J’ai pu relativement facilement m’infiltrer dans le réseau viennois. Je n’avais plus qu’à passer en revue les logs, les protocoles. On y trouve par exemple les adresses MAC des appareils qui se sont connectés à Internet via ce Wifi, quand ils l’ont fait, etc. Devine ce que j’ai découvert.
— L’appareil avec lequel la copie de 3DWhizz a été enregistrée autrefois, se lance Cyn.
— Exactement ! » Il lui sourit à pleines dents. « Et régulièrement en plus. Cet ordinateur se logue presque tous les jours au réseau Wifi. Son propriétaire est donc un client fidèle de ce café. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs. En Allemagne et en Autriche, il y a de nombreux militants pour la protection des données. Il ne serait pas impossible que des membres de Zero résident dans ces pays.
— Ce numéro ne pourrait-il pas apparaître ailleurs ? s’immisce Jeff.
— Bien entendu ! Nous allons tout de suite mettre en action un programme de recherche.
— Qui nous dit que Zero ne se paye pas notre figure ? demande Cyn.
— Ça se pourrait. On peut manipuler les adresses MAC. Mais je tiens cela pour peu probable. Le mode particulier d’enregistrement de 3DWhizz a été publié dans des cercles spécialisés sans faire la moindre vague. Même après sa publication, 3D Wonder Vision a mis six mois avant de résoudre le bug. Et c’était après l’enregistrement de la licence. L’utilisateur ne savait alors rien de cette erreur. Et s’il est étudiant en cinéma ou designer et qu’il n’est pas programmeur, il n’en sait sans doute toujours rien.
— Cela dit, les mecs de Zero, ils doivent être doués en informatique, remarque Jeff.
— Oui, mais eux aussi ne sont que des hommes et ils commettent des erreurs. Comme aujourd’hui avec le numéro de licence. Ou ils se croient en sécurité.
— Et qu’est-ce que ça signifie pour nous ? demande Cyn.
— On doit aller à Vienne, annonce Anthony.
— Mais je dois aller à New York.
— Seulement dans trois jours. Au pire, j’y vais seul avec Chander.
— Tu viens ?
— Bien sûr ! Je ne peux pas louper ça !
— Moi aussi, je veux y aller », dit-elle. Peut-elle laisser passer cette occasion de se rapprocher de Chander ? « Tu as besoin de moi pour les interviews !
— Bien. On va faire encore une vidéo où nous expliquerons que nous avons une piste sérieuse. » Le rédacteur en chef se frotte les mains.
« Tu vas tout dévoiler ? demande Cyn.
— Non. Dans un premier temps, on ne va pas tout révéler à notre public. Nous allons simplement parler d’une piste. Ça donnera un peu de suspense.
— À votre place, je ne ferais pas cette vidéo, rétorque Chander. Inutile d’attirer trop l’attention. Quelques cracks parmi ceux qui nous suivent découvriront bien ces métadonnées. Et probablement aussi le bug de 3DWhizz. La question est de savoir s’ils obtiendront l’adresse IP à leur tour. Tôt ou tard, 3DWhizz se rendra compte de quelque chose s’ils appellent tous. Et si tout ça est discuté sur notre forum, Zero sera au courant de cette erreur. Auquel cas, il évitera de se connecter à ce réseau Wifi de Vienne.
— Bien, fait Anthony, maussade.
— On part quand ? » demande la journaliste. Chander lui adresse un rapide coup d’œil. Elle rougit.
« Demain matin par le premier vol. Je fais réserver nos places. On se donne rendez-vous à l’embarquement d’Heathrow à neuf heures. »
« Intéressant, dit Luís à Marten. Il y a quelques minutes, quelqu’un a appelé pour demander la facture avec le numéro de licence. Un employé la lui a envoyée.
— Qui ça ?
— Une adresse mail jetable. Impossible de savoir qui se cache derrière, comme il est impossible de savoir qui a appelé. Il s’est masqué derrière différents procédés d’anonymisation.
— Quelqu’un d’autre a également découvert les métadonnées et appelé le service de 3D Wonder Vision.
— Bien.
— Nous avons demandé l’aide d’Interpol. La police autrichienne doit absolument trouver ces types.
— Entre-temps, nous nous intéressons à cet Archibald Tuttle.
— Et les chutes d’eau ? » demande Marten, déçu de n’avoir quasiment aucune piste fiable.
« Il y en a trois cent soixante-quatorze », répond l’autre en scrollant sur le site. « On a pu en identifier trois cent douze. Grâce aux visiteurs du site qui les ont reconnues. Quant aux autres, c’est un mystère. »
Il affiche un document avec une carte du monde recouverte de points rouges, concentrés majoritairement dans les grandes villes. « La majorité des visiteurs de ce site ne se cachent pas. Leurs adresses IP sont parfaitement identifiables. Seuls 5 % des visiteurs utilisent TOR ou VPN. Les collègues de la NSA ont pu identifier certains des utilisateurs de TOR. Rien de suspect. Un pour cent utilisait, ou utilise un réseau privé virtuel. On bosse dessus. Deux des fournisseurs sont localisés aux États-Unis. On a adressé des requêtes FTSA et des National Letters of Security aux utilisateurs. Ils sont obligés alors de nous transmettre toutes leurs données. Peut-être trouvera-t-on des indices.
— Bien », dit Marten. Il réfléchit, puis soupire. « Concernant Vienne, les collègues de Langley doivent y envoyer du monde. »
Épuisé, Eddie regarde son écran. Il a examiné le script dans tous les sens. Son point de départ. Ses interprétations. Il ne découvre aucune erreur. Entre-temps, le programme de recherche a livré d’autres résultats. Ils ressemblent à ceux de la veille. Une question essentielle s’est tout de suite posée : Freemee est-elle au courant du problème ? Peut-être devrait-il entrer en contact avec eux. Il clique sur la page de contact de l’entreprise, mais une autre pensée lui vient : le fonds de commerce de Freemee, c’est les statistiques et leur évaluation. Qui, sinon eux, pourrait connaître ce dérèglement ? Il y a autre chose encore qui le taraude. Que Freemee bloque les données des personnes décédées, et seulement celles-là, invoquant le respect des familles et des proches, alors que n’importe qui s’y connaissant un peu pourrait en tirer des conclusions analogues aux siennes. Puis cette autre pensée. Il n’a trouvé des données que pour une infime partie des utilisateurs. Il ne peut exclure que toute cette affaire soit d’une bien plus grande envergure. Les conséquences en seraient alors effrayantes !
Eddie essaye de garder son sang-froid. Il est de plus en plus convaincu que l’entreprise dissimule un énorme scandale. Un terrible secret !
Je regarde trop de films, il y a sans doute une explication rationnelle.
Il ne sait que faire de tous ces résultats.
Il pourrait demander à Viola, après tout, c’est à cause des propos de sa mère qu’il a effectué ces démarches. Il sait cependant que ses histoires d’informatique ne l’impressionneront pas. Elles l’ennuieraient plutôt. En tant que journaliste, Cyn devrait y trouver de l’intérêt. La question est de savoir si elle comprendra ce dont il s’agit… Elle est parfaitement ignorante en la matière, comme 90 % de ses contemporains. Il pourrait aussi se contenter de publier ses découvertes sur son profil Freemee. Plutôt audacieux. Ou sur d’autres plates-formes. Mais il se sent encore trop peu sûr de lui. Il préférerait soumettre ces chiffres à des experts. Il n’a envie ni de s’attirer des ennuis ni d’être attaqué en diffamation par Freemee.
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