« Une secte, rigole Carl avec ironie. Nous n’avons besoin ni de gourou, ni de paroles, ni de terreur psychologique ! » Irrité, il considère son bureau et les objets qui y sont alignés, décale le vase vers la gauche. « Des structures, murmure-t-il. C’est de ça que ça dépend. Les gens ont besoin de structures. »
« … en tout cas, le programme lui a conseillé un jour de ne plus acheter de vêtements de seconde main ni de vieilles collections. Il m’a dit que ça lui faisait perdre des points. Que les autres penseraient qu’il n’avait pas les moyens de se payer des fringues neuves et qu’il était près de ses sous. Ses points ! Comme à l’école ! Ils ont changé sa conception de l’apparence et de l’image. C’est pour ça qu’il ne venait plus dans ma boutique. Parce que ça lui faisait perdre des points ! Je ne m’attendais pas à un truc aussi con ! »
Son visage bouge.
« Attendez… Je dois trouver un moyen de poser mon téléphone, j’ai trop mal au bras. »
« Qu’est-ce qu’il va encore raconter ? demande Carl, à bout. On a pigé ! Tu refuses l’évolution technologique et tu bouffes la poussière. C’est ta faute ! »
L’image se stabilise. Il continue.
« … le lendemain, je me suis dit que je n’avais rien à perdre à vérifier tout ça. Alors j’ai téléphoné à quelques-uns de mes anciens clients les plus fidèles. Je leur ai causé, et leur ai demandé ce qu’ils pensaient de Freemee. Après quelques tergiversations, certains ont admis n’être plus venus chez moi pour les mêmes raisons. Parce que ce putain de programme leur avait conseillé d’acheter des habits neufs ! Vous comprenez ? Ils se sont tous fait laver le cerveau ! »
« Au contraire, commente Carl. Ils ont tous commencé à l’utiliser. »
« Ouais, ils sont tarés », intervient Takisha Washington. Entre eux commence une conversation portant sur les désastres du progrès technique et les dégâts qu’il engendre, qu’Anthony interrompt rapidement en remarquant une baisse du nombre de spectateurs. L’équipe prend congé de ses deux invités et termine la retransmission.
« C’était génial ! jubile-t-il. On va être jalousés par bien des shows télé !
— Pendant ce temps-là, j’ai travaillé et analysé la vidéo de Zero, dit Chander. J’ignore pourquoi, mais, cette fois, ils ont commis une importante erreur. »
« Faut en finir ! fulmine Carl. Le Daily nous salit ! Quelle merde ! »
Will le laisse parler. Il sait que ses accès de colère sont vite passés. Il prend la parole lorsqu’il est de nouveau calme.
« Il n’y a pas de problème. Nous avons tout ce qu’il faut au fond de nos poches pour y faire face.
— Dans vos poches, il n’y a rien d’intéressant. Les choses intéressantes sont sur des serveurs.
— Tu n’as pas tort », lui accorde Will en signe d’apaisement. « Mais de tels reportages devaient bien arriver tôt ou tard. Rappelle-toi, nous en avons déjà parlé.
— Oui, oui, concède Carl. Mais c’est tout de même fâcheux que les gens ne comprennent pas comment les Act Apps mettent en place des processus tout à fait normaux.
— C’est pour ça qu’on est là. Précisément pour expliquer ce genre de choses. Pour leur montrer l’intérêt qu’il y a à utiliser nos applications. Ce naze aurait fini par faire faillite à un moment ou à un autre lorsque l’engouement pour le vintage aurait cessé…
— Ce n’était pas un utilisateur de Freemee.
— Voilà ! Avec de bons conseils, il aurait vu venir son échec et aurait pu lutter contre. On va le montrer aux gens. Regardez vers l’avant ! Utilisez toutes vos capacités ! Pensez à long terme ! Améliorez vos points de vue ! Grâce à Freemee, vous en avez les moyens !
— Zero a cependant causé assez de dégâts. On devrait lui coller quelqu’un de compétent aux trousses, et non ces incapables !
— C’est la traque qui est importante.
— Non », répond Carl. Il ordonne ses stylos autour du vase. « Maintenant, il s’agit de le trouver.
— Laisse-nous faire et regarde les chiffres. Tu verras que ce n’est que le début.
— Je ne cesse de les regarder. Et je vois beaucoup d’imprévisibilité.
— C’est dans la nature des choses. Mais les probabilités sont de notre côté.
— Alors fais en sorte que ça continue. »
Carl quitte la pièce.
« Allez ! fait Cyn à Chander. Qu’as-tu trouvé ? »
Chander leur donne accès à ses lunettes. Cyn et Anthony peuvent alors voir ce qu’il fait. Cyn est déçue : des tableaux, des codes et des suites de lettres. Peggy, qu’elle a réactivée, l’enjoint de lui adresser un sourire reconnaissant. OK, OK.
« Chaque fichier, comme les vidéos de Zero, contient des métadonnées, commence Chander. Elles ont des avantages mais aussi des inconvénients. L’un des avantages : on y trouve différentes informations, par exemple avec quel logiciel un fichier a été créé, éventuellement le code de licence du programme, la date de création du fichier, etc. Lors de la conversion en différents formats vidéo, la plupart disparaissent. Par ailleurs, on peut les effacer et les modifier. Ainsi, même si nous les trouvions, nous ne pourrions que les prendre avec des pincettes. J’ai recherché les métadonnées des vidéos de Zero dès le début de nos investigations. Elles étaient effacées. Normal. Sauf aujourd’hui. J’ignore pourquoi, mais il semblerait que Zero ait oublié de les faire disparaître de sa dernière vidéo.
— À moins que ce ne soit à dessein, intervient Cyn. Et que les données soient manipulées. »
Tu devrais commencer par louer son travail avant de prendre parti.
Elle hausse les sourcils. Elle doit minauder, alors ?
« Possible. Mais je ne crois pas. Tes métadonnées, dans ce cas, nous apprennent beaucoup. D’abord le logiciel utilise pour cette vidéo est bien toujours 3DWhizz. Mais j’ai aussi trouvé le numéro de licence de leur copie. Enfin, j’ai déniché dans les métadonnées l’adresse MAC, c’est-à-dire le numéro attribué à la machine sur lequel tourne la copie. »
Et à quoi ça nous avance ? Cyn ravale sa question. Sur les conseils de Peggy, elle lui adresse un large sourire. « Mais c’est génial ! »
L’autre rayonne.
« Et en quoi cela peut-il nous être utile ? demande-t-elle à voix plus basse.
— Ça, ma chère, ça peut nous donner le nom de l’utilisateur de cette copie du programme, dit-il avec indulgence. Et si les données ne sont pas manipulées ni l’ordinateur volé, alors il pourrait s’agir d’un membre de Zero.
— Mais je ne comprends toujours pas comment tu peux déduire cela de quelques codes et de chiffres.
— Fastoche ! »
Fastoche. C’est ça. Cyn n’a pas compris un traître mot de ses explications.
« J’ai regardé sur quelques forums quelles étaient les faiblesses possibles de 3DWhizz. Et j’ai fait des découvertes. Comme tous les autres, ce logiciel présente des failles. Une de ses faiblesses pourrait nous aider. Avant de l’utiliser, il faut s’enregistrer en ligne en entrant le numéro de licence. Ensuite, il ne peut être utilisé que sur deux postes maximum. »
Cyn acquiesce. C’est ce qu’elle a fait pour son imprimante.
« C’est ainsi que l’entreprise entend lutter contre les copies illégales. Lors du processus d’enregistrement, le comportement du programme n’est pas habituel. Il checke l’adresse IP de l’utilisateur avant que celui-ci ne puisse la rendre anonyme, puis l’envoie à 3D Wonder Vision. Sans doute pour en apprendre davantage sur ses utilisateurs, même s’ils veulent masquer leur adresse IP ainsi que leur localisation. Ainsi, lorsque quelqu’un enregistre sa copie, l’entreprise ne sait pas seulement qui vient de le faire, mais également où il l’a fait. Ça signifie que chez 3D Wonder Vision, ils connaissent l’adresse IP locale ayant permis l’enregistrement de la copie qu’utilise Zero.
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