— Super ! exulte Anthony. Voilà une belle pub !
— Vos techniciens devraient se préparer, en cas d’une attaque réelle des Anonymous, avertit Chander.
— Ils sont déjà sur le pont, rassure Charly.
— Mais… quel est ton plan ? » demande de nouveau Cyn à Chander.
« En gros, je fais la même chose que les lecteurs. J’utilise certains programmes spécifiques pour fouiller Internet. J’en ai deux ou trois en stock. Mais je ne suis pas le seul. Je parierais même que quelques très bons hackers se mobiliseront aussi. Le tout étant de savoir de quel côté. Suspense ! Probablement pour Zero. Mais d’autres nous aideront peut-être.
— Et pour trouver quoi ?
— Des erreurs. Pour circuler dans l’anonymat, tu peux utiliser le réseau TOR ou des réseaux privés virtuels. En passant par TOR, pour The Onion Routing, ton adresse IP est masquée grâce à des routeurs organisés en couches, comme un oignon. Mais il faut rester prudent. Premièrement, les services de renseignement doivent probablement avoir les moyens de retracer les flux, et, deuxièmement, certains fichiers, comme les vidéos, laissent tout de même des traces dans ton navigateur. Avec les réseaux privés virtuels, les VPN, tu peux également masquer ton adresse IP. Cela dit, les services américains et l’administration fiscale peuvent exiger des fournisseurs de VPN qu’ils communiquent leurs données. » Chander se balance en arrière. « Zero a parlé de tout ça dans son guide. Mais, tout de même, tôt ou tard, tous ceux qui prétendent utiliser Internet anonymement font des erreurs. Dans la plupart des cas, elles sont vieilles de plusieurs années, de l’époque où ils ne faisaient pas aussi attention et où ils étaient moins doués…
— Tu veux dire que si je n’ai pas de raisons de me cacher aujourd’hui, que je pense n’être pas assez digne d’intérêt pour effacer mes traces, c’est alors que je commets la grossière erreur de ne pas penser au lendemain, où tout sera peut-être différent… », réfléchit Cyn. « Et c’est comme ça que tu peux choper Zero. À cause de traces passées qu’il ne peut plus effacer ?
— Exactement ! Il a pu commettre plein d’erreurs. Nous devons seulement les découvrir.
— Faudra que tu m’expliques en détail, alors. » Elle tente un sourire.
« Volontiers. » ses yeux brillent.
« Qu’en est-il des vidéos de Zero plus anciennes ? intervient Anthony.
— Nous devons les regarder une fois de plus, répond Chander. On a déjà examiné les métadonnées. Quant aux autres indices concernant les programmes utilisés, par exemple, Zero semble avoir été très minutieux. Restent les extraits de films utilisés.
— Et les contenus ? Je veux dire, c’est bien de ça qu’il s’agit après tout, note Cyn.
— Les gens peuvent nous aider pour ça, objecte Anthony. Mais si tu veux, tu peux toujours prendre quelques notes… Peut-être tomberas-tu sur du neuf. J’en doute, ils ne sont pas tout récents. »
Pour toi sans doute pas, songe Cyn. Il y avait de nombreuses choses que j’ignorais.
Anthony se lève, il est déjà presque à la porte. « Je dois y aller. Vous vous en sortirez bien tous seuls ! »
Il claque des mains et s’en va.
« Ma fille collecte et vend ses données », explose Cyn.
Les deux jeunes femmes haussent les épaules et se regardent, étonnées.
« Et alors ? Je le fais aussi, dit Kimberly.
— Moi aussi, dit Jeff. Mais si ce genre de trucs t’énerve, j’ai la vidéo de Zero qu’il te faut. »
« J’aime les classements ! » annonce un champion olympique, une médaille autour du cou, avant de se transformer en un mannequin aux longues jambes sur un podium. « Qui est le plus beau, le plus rapide, le plus fort, le plus intelligent, le plus riche ? » Zero prend les traits d’un homme en train de lire une liste. « Les classements nous aident à évaluer. Pas seulement moi, nous tous. Nous évaluons tous », fait un marchand avec une balance. « Toujours. Consciemment ou non. Les évaluations simplifient ta vie, elles permettent de décider. C’est comme ça que tu cherches un compagnon ou une compagne, tes amis, tes ennemis et même ton téléphone. Mieux tu peux évaluer, mieux tu peux décider. Et meilleure est ta vie. Tu évalues des livres, des hôtels, des appareils électriques, des boutiques en ligne et ne cesses de travailler avec des classements. »
Hop ! Le marchand est jeté dans une immense balance. Il essaye d’escalader le rebord du plateau, glisse, roule d’un côté à l’autre.
« Mais bien entendu, toi aussi tu es évalué. Les agences publicitaires te jugent d’après ton pouvoir d’achat, tes habitudes de consommateur et les magasins que tu fréquentes. Les organismes d’évaluation financière t’évaluent depuis des décennies. Tu n’obtiens pas de prêts, tes intérêts sont élevés ou tes facilités de paiement mauvaises ? C’est à cause des renseignements financiers. Banques et assurances t’évaluent selon tes revenus, l’endroit où tu habites, ton auto, ton sexe et plus encore ! Google gagne des fortunes grâce aux renseignements sur ses utilisateurs revendus à des agences de marketing. Grâce à ta e-réputation, les entreprises évaluent ton activité sur Internet. Les sites de rencontre vivent de ça. Sur certains réseaux, on ne peut s’inscrire qu’en présentant une belle photo, évaluée par les autres membres. Dans certaines communautés virtuelles, les inscrits donnent leur avis sur ta beauté, ton intelligence, ton sex-appeal. La plupart des sociétés disposent de systèmes d’évaluation de leurs collaborateurs, avec des pointeuses, des tableaux de bord prospectifs ou des smartwatches. Forbes publie la liste des personnes les plus riches. Et maintenant, voici qu’il y a un nouveau palmarès ! »
Des morceaux de papier pleuvent sur l’homme en costume, jusqu’à l’ensevelir complètement. Il apparaît de nouveau, toussant, un papier dans la main.
« Parmi un tas de nouveaux services, tu peux maintenant évaluer toi-même tes données ! Regarde ce que tu vaux ! Oui, toi ! Tes données valent un penny ? Mais celles de ton voisin bientôt sept ? Bon sang ! Ai-je moins de valeur ? Puisque tu veux le savoir à tout prix, regarde donc ! Dans ce mignon petit programme ManRank. Grâce à lui, un malin programmeur chez Freemee classe le prix des données de chacun. Grâce à Freemee et à tous les autres, vous rendez vous-mêmes vos données publiques. Dorénavant, nous ne connaissons plus seulement les cent personnes les plus riches du monde, mais également les milliards de pauvres qui se cachent derrière. Le classement Forbes des 99 % restants. Révolue l’époque où seuls les États et les entreprises disposaient d’agences de notation ! ManRank, l’agence de notation pour tous. »
Son costume se déchire, se salit. Sa voix et son regard deviennent sérieux.
« Mais je ne suis pas obligé de valoriser mes données, m’objecteras-tu. Comme ça, je n’apparais pas dans le classement. Habile ! Habile ? Écoute bien : il n’y a qu’une seule note pire que la plus mauvaise : l’absence de note. Qu’importe s’il s’agit d’un emprunt, de ton boulot, ou d’une relation : une meilleure valeur signifie de meilleures chances. Et inversement. »
Il tire sur son nœud papillon, sourit de nouveau, son costume est de nouveau impeccable.
« Heureusement, tu peux améliorer ta valeur grâce à pléthore de petits coaches qui te dispensent des conseils. N’est-ce pas génial d’être mieux classé ? Tu feras tout ton possible pour y parvenir ! Pour être mieux classé ! Ainsi, tu auras plus de chances. Meilleur boulot, meilleurs amours, plus d’argent, de pouvoir. “De nos jours, les hommes connaissent le prix de tout, et la valeur de rien”, disait Oscar Wilde. Les temps changent. Nous connaissons maintenant le prix de toute valeur ! Demande à Acxiom. À Google. À Apple. À Facebook. À Freemee. Tu connais le tien ? Et n’oublie pas qu’il faut terrasser l’hydre des données. »
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