« Les plus célèbres, tu devrais. C’est pour ça que d’autres parlent mieux de ce sujet. Nous devons penser au-delà. Apporter de la controverse. Nous sommes journalistes ! Des journalistes d’investigation. »
Surtout toi, pense-t-elle. Ne pas exploser de rire maintenant.
« Nous voulons aller au fond des choses, les mettre au jour. Nous ne devons pas seulement écrire sur Zero. Nous devons le trouver ! Lui parler !
— Pourquoi ?
— Parce que de nos jours, il ne suffit plus d’informer notre lectorat. Nous devons le rendre actif !
— Le distraire, veux-tu dire. » Elle a l’impression qu’il a répété la scène devant un miroir.
« Et alors ? Qu’y a-t-il de mal à donner aux gens du plaisir tout en les informant ? Donnons à nos lectrices et lecteurs la possibilité de nous aider à trouver Zero, ou celle d’aider Zero. Qu’importe ! Il faut qu’ils s’investissent ! Il faut leur participation émotionnelle. »
Cyn ne sait absolument pas d’où lui vient cette idée.
« Je parie que tous les services américains sont derrière Zero. Même s’ils ne veulent pas l’admettre. Et on devrait faire comme eux ?
— Nous, nous le recherchons pour discuter avec lui. Pas pour le jeter en prison.
— Et nous n’avons aucune chance de mettre la main dessus. Nous n’en avons pas les moyens. Le seul truc qui t’intéresse, c’est la publicité à moindre coût pour vendre ta feuille de chou.
— C’est ce qui paye ton salaire. Au cas où tu voudrais le conserver. »
Bien sûr qu’elle veut !
« Nous recherchons Zero. Point à la ligne », conclut-il.
La dernière vidéo du groupe revient à la mémoire de Cyn. Hé, parents, savez-vous ce que fait votre progéniture ? Son propre visage est lié à ses paroles depuis la nuit passée. Elle doit bien admettre que se mettre sur la piste de Zero éveille en elle une certaine excitation. Ne serait-ce que pour régler ses comptes.
« On va commencer par un sondage auprès de nos lecteurs, reprend Anthony. Pour savoir s’ils soutiennent ou non Zero. Nous ne parlerons pas plus que nécessaire de ce que nous entreprenons pour le trouver. Ceux qui le souhaitent peuvent nous aider, les autres nous mettre des bâtons dans les roues.
— Il y a certainement derrière Zero un groupe de gens, probablement de toutes les parties du monde.
— C’est bien possible. »
Elle est toujours partagée. Entre sa colère envers Anthony qui la tient à sa merci et sa dépendance à l’argent dont elle a besoin pour vivre et faire vivre Viola, entre l’idée de son patron et le fait qu’elle commence à s’y faire.
« Nous devons analyser des dizaines de vidéos, tant au niveau du contenu que de la forme. Suivre des pistes sur le Net. Je ne sais absolument pas comment m’y prendre. Jeff ? Charly ? Notre directeur de l’informatique ? Qui doit s’occuper de ça ? Ils savent comment faire ?
— On a un spécialiste pour ça », lui répond-il en se levant.
Anthony l’invite à le suivre dans la salle de réunion derrière son bureau. Un homme travaille sur son ordinateur à la grande table de la pièce froide et sobre. En le voyant, Cyn a le souffle coupé. Il est d’un aspect renversant.
« Voici Chander. »
Il doit être originaire du sous-continent indien. Elle ne peut lire dans ses yeux sombres, et ne le veut pas. Elle souhaiterait plutôt s’y noyer. Sa peau brille des couleurs d’un été éternel. Sur ses cheveux, de l’huile. Selon Cyn, il est à la fin de la vingtaine. Elle regardera sur Internet des qu’elle en aura la possibilité.
« Ravi de faire votre connaissance », lui dit-il en souriant et en lui tendant ses doigts longs et fins.
Et il commence par moi !
Sa poignée de main est aussi engageante que son sourire.
« Chander est notre Q, dit Anthony. Il est spécialiste en IT. »
Il pourrait tout aussi bien être acteur, pense Cyn. Il doit être en couple.
« Il a travaillé auparavant pour le FBI, Interpol, Europol et les plus grosses entreprises du monde », poursuit le rédacteur en chef.
Chander détourne le regard, l’air gêné. « C’est exagéré, répond-il d’une voix suave.
— Chander, c’est un prénom indien ? demande Cyn.
— Mes parents vivent à Mumbai », répond-il avec l’accent anglais de ceux qui ont fréquenté les universités les plus prestigieuses. « J’ai étudié là-bas, ainsi qu’à Stanford et Oxford. »
Intelligent, en plus de ça.
Elle désigne son ordinateur du menton. « Vous êtes déjà… » Elle ne poursuit pas, tant sa voix lui semble aigrelette.
Elle se racle la gorge. Va-t-elle continuer à se conduire comme une adolescente ? Elle recommence. Cette fois, avec une voix normale.
« Vous êtes déjà sur la piste de Zero ?
— J’ai tout expliqué à Chander », l’interrompt Anthony.
Bon.
« Et alors ? Avons-nous une seule petite chance de mettre la main dessus ?
— Et pourquoi pas ? répond le jeune homme. Nous n’avons pas les moyens de la NSA ou du FBI, mais sommes plus flexibles et créatifs.
— Ne perdons pas de temps », fait Anthony en claquant des mains. « Nous devons utiliser chaque minute. Faisons une petite vidéo du commencement de nos recherches. » Il donne les lunettes à Cyn. « Voilà. À toi de jouer. »
Elle les jette presque sur la table.
« Tu plaisantes ? Cette chose a…
— Cette chose fait partie de ton boulot. »
Cyn se souvient de la discussion avec sa fille et ses camarades. Selon eux, les lunettes ne sont pas à incriminer dans la mort d’Adam. Ce n’est qu’un outil qu’on peut utiliser comme on le souhaite. À chacun de décider de son utilisation.
Et pourtant…
« Peut-être que vous en avez d’autres qui…
— Ce doit être possible », répond Anthony en fronçant les sourcils.
Il disparaît dans son bureau et revient rapidement avec deux paquets.
« Là, les lunettes. Et si tu veux écrire là-dessus, encore ça. »
On dirait une smartwatch.
« Pour quoi faire ?
— C’est lié à notre sujet. Tu ne vas pas faire un reportage sur quelque chose dont tu ignores tout, non ? »
Anthony doit apparaître en personne dans la vidéo. C’est pourquoi il a convoqué une équipe de maquillage. À voix basse, il répète son texte et sa gestuelle devant le miroir tandis qu’une jeune femme applique une crème matifiante sur son nez et son front. Il bouge la tête afin de s’assurer qu’il n’y a aucun reflet. Chander et Cyn sont maquillés à ses côtes. Chander a l’air décontracté, il garde les yeux fermés. Cyn fait la grimace, comme si on la grimait en diablotin.
« Dois-je vraiment figurer sur la vidéo ? »
Cette bonne femme, décidément, lui donne du fil à retordre !
« On y sera aussi, rétorque Anthony, exprès pour pas que tu sois toute seule.
— C’est totalement désintéressé », murmure Cyn.
D’humeur radieuse, le rédacteur en chef guide la journaliste et Chander face à la caméra. Ils sont devant un fond vert sur lequel seront incrustées les vidéos de Zero. « Allez, un vrai grand sourire ! » exige-t-il.
« En fomentant cette attaque contre le Président, commence Anthony, Zero s’est fait de puissants ennemis.
— Mais aussi de nombreux amis, nuance Cyn.
— Oui, Cynthia. En une nuit, il est devenu une superstar ! C’est pour ça que nous aimerions le rencontrer.
— Surtout moi ! » fait Cyn, affichant un sourire revanchard.
« J’imagine ! »
Chander marche vers eux. Un bandeau le présente comme expert en informatique. « Nous avons donc décidé de dénicher Zero.
— Comment faire pour y parvenir ? questionne le rédacteur en chef. Qui est-il ? Pourquoi se cache-t-il derrière des visages différents ?
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