Ryan avait les mains à vif et le dos brisé quand ce fut terminé. La sueur lui collait à la peau sous ses vêtements. À un moment, il envisagea de laisser tomber en se plaignant de ses blessures, mais sa fierté le retint.
Alors que le soleil embrasait l’horizon, Hussein sortit une grosse enveloppe de sa poche et la lança à Vandenberg. Celui-ci l’ouvrit et examina le contenu. Satisfait, il la fourra dans sa veste et fit un signe de tête affirmatif à Hussein.
Sans un mot pour Ryan, Hussein se remit au volant du fourgon. Habib et Munir grimpèrent à l’arrière. Le moteur démarra dans un feulement rauque et le véhicule sortit du port.
Ryan suivit des yeux les feux arrière qui s’éloignaient.
« Venez, dit Vandenberg sur le bateau. C’est l’heure. »
Ryan se blottit sur l’unique couchette de la cabine en regrettant de ne pas avoir emporté de vêtements plus chauds, tandis que Vandenberg, après avoir quitté Camaret-sur-Mer, à la pointe de la presqu’île de Crozon, empruntait les passes navigables et contournait les bancs de sable pour filer vers le large.
Les caisses avaient été recouvertes d’une bâche maintenue par des cordes, dont les coins battaient au vent.
Bientôt, l’embarcation atteignit la haute mer et prit de la vitesse, creusant sa route dans la houle.
Ryan n’avait jamais souffert des voyages en bateau. Il trouvait même le mouvement apaisant, alors que beaucoup de ses camarades se penchaient pour vomir par-dessus le bastingage. La coque en bois craquait et gémissait en fendant les vagues.
Le ciel, visible à travers les vitres crasseuses de la cabine, était dégagé, d’un noir profond, avec un soupçon d’orange et de bleu, loin à l’horizon. Les étoiles apparurent, innombrables, un tapis de clous étincelants que n’assombrissait nulle lumière humaine. Ryan reconnut plusieurs constellations et sonda sa mémoire pour retrouver leurs noms.
Un trait fulgurant zébra le noir. Il souhaita avoir la chaleur du corps de Celia près du sien.
Il s’éveilla avec la sensation de dériver. Le bateau montait et descendait, mais sans que l’on perçoive aucune vitesse, aucun mouvement vers l’avant. En ouvrant les yeux, il vit le pont à l’extérieur baigné dans la clarté bleue de la lune.
Là, dehors, Vandenberg repoussait la bâche pour dégager une caisse. Il essaya de soulever le couvercle de ses doigts épais, n’y parvint pas et grogna de mécontentement. Puis il ouvrit une boîte de forme oblongue sur le pont. Il farfouilla parmi son contenu jusqu’à ce qu’il trouve un court pied-de-biche. De sa place, Ryan le regarda s’attaquer de nouveau à la caisse.
« Ne touchez pas à ça. »
Vandenberg pivota brusquement en entendant sa voix.
Ryan se leva et, vacillant avec le roulis, alla se tenir sur le seuil de la cabine.
« C’est mon bateau, dit Vandenberg. Je veux savoir ce que je transporte.
— L’Arabe vous a payé. Vous n’avez pas besoin de plus. »
Vandenberg se redressa et gonfla la poitrine. Il tenait l’outil à bout de bras. « Il n’est pas arabe. Il est algérien. Je veux savoir ce que je transporte.
— Je me fiche de ce qu’il est. Ces caisses ne sont pas votre affaire. Votre boulot, c’est de piloter ce bateau. Je vous suggère de le faire.
— Non, dit Vandenberg en se retournant vers les caisses. Je suis le capitaine. Je vais regarder à l’intérieur. »
Ryan s’avança d’un pas. « N’y touchez pas. »
Vandenberg leva le pied-de-biche. « Restez où vous êtes.
— Lâchez ça », dit Ryan en approchant.
Vandenberg fouetta l’espace entre eux avec l’instrument.
Plus près encore, Ryan sentit l’odeur du whisky.
« Reculez-vous. » Vandenberg brandit le pied-de-biche, dans l’intention manifeste d’assommer son adversaire.
« Pour la dernière fois, dit Ryan. Lâchez ça. »
Vandenberg balança le pied-de-biche. Ryan leva le bras gauche pour se protéger. Il entendit le bruissement de l’air contre son oreille. Attrapant Vandenberg par le poignet, il le déséquilibra et lui fracassa la mâchoire de son poing droit. Le marin s’écroula sur le pont.
Ryan se pencha et ramassa le pied-de-biche de la main droite. Vandenberg partit à quatre pattes vers la cabine, soufflant et haletant. Ryan le suivit. À la porte, Vandenberg se mit debout, trébucha et s’élança pour chercher quelque chose sous la radio.
Ryan lui abattit la barre de métal sur la main. Il sentit les os craquer sous la violence de l’impact, vit un petit pistolet tomber par terre.
Vandenberg hurla et s’effondra à genoux tandis que Ryan donnait un coup de pied dans le pistolet. Le marin se recroquevilla sur lui-même, serrant sa main écrasée contre sa poitrine.
Ryan appuya l’extrémité du pied-de-biche sur sa mâchoire. Vandenberg le regarda en papillotant des yeux. Il respirait difficilement entre ses dents gâtées.
« Ça suffit, dit Ryan. Maintenant, faites ce pour quoi vous êtes payé. »
Le ciel s’éclaircissait à l’horizon et les étoiles pâlissaient, éclipsées par d’épais nuages. Ryan crut distinguer une vague bande de terre sombre au loin, mais il n’en était pas certain.
Vandenberg ralentit, puis coupa le moteur. Il manœuvrait d’une main, tenant l’autre contre sa poitrine dans une écharpe improvisée. Debout sur le pont, Ryan le vit vérifier ses instruments et ses cartes avant de sortir.
« C’est là, dit Vandenberg. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Ryan s’appuya contre les caisses. « On attend. »
Une infinie lassitude se répandait dans ses membres. Le monde semblait plus silencieux, jusqu’au clapotis de l’eau étouffé par le calme uniformément gris tout autour. Vandenberg posa une lampe à pétrole à une extrémité du bateau, une lanterne à piles de l’autre côté. Ryan luttait pour garder les yeux ouverts et dodelinait de la tête, ballotté par la douce respiration de la mer.
Son esprit dérivait, flottant entre des images de lèvres brillantes et de poignets minces parsemés de taches de rousseur, quand Vandenberg dit : « Ils arrivent. »
La main de Ryan sortit le pistolet enfoui dans la poche de sa veste. Parcourant des yeux l’espace gris tout autour, il repéra le bateau, au nord-ouest, qui approchait en décrivant un arc de cercle.
Un trait d’écume blanche marquait le sillage de la vedette, de couleur identique, dont on entendait le puissant moteur par-dessus le bruit des vagues. Ryan distingua la silhouette d’un homme à la barre. Il l’observa longuement, jusqu’à ce qu’il soit sûr que c’était Carter.
Ryan jeta un coup d’œil à sa montre. Sept heures trente-cinq. Il se rappela ses pensées de la veille, le fait qu’il ne pouvait pas se projeter au-delà de ce rendez-vous. Une angoisse sourde lui rongeait les tripes. Il remit la main dans la poche de sa veste, éprouva la dureté du pistolet, la courbe de la détente.
Le bruit du moteur décrut, la vedette ralentissait. Par la fenêtre de la cabine, un homme qui ne pouvait être que Goren Weiss.
Ryan se tourna vers Vandenberg, qui regardait la vedette avec des yeux pleins d’inquiétude. Le marin se frotta les lèvres de sa main valide. Il remarqua l’attention de Ryan fixée sur lui.
« Qu’est-ce qu’il y a dans ces caisses ? demanda-t-il. Quelque chose pour quoi on serait prêt à tuer ?
— Oui, répondit Ryan.
— Vous avez mon pistolet ?
— Oui.
— Alors, faites gaffe. »
Ryan hocha la tête.
Carter vira à bâbord en contournant le bateau de Vandenberg pour l’aborder par tribord, ralentit encore, manœuvra et se rangea contre lui. Weiss sortit de la cabine, fixa une corde à un taquet, puis lança l’autre extrémité à Ryan. Ce dernier tira, amarrant les deux bateaux l’un à l’autre, et attacha la corde de son côté. Le bateau de pêche de Vandenberg était plus haut que la vedette sur sa ligne de flottaison.
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