Stuart Neville - Ratlines

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Dublin, 1963. Au moment où le président Kennedy prépare son voyage officiel en Irlande, des meurtres de ressortissants étrangers viennent perturber le sommeil du ministre de la Justice.
On a découvert le cadavre d’un Allemand accompagné d’une note destinée au colonel Otto Skorzeny, le chef de commando préféré d’Hitler, qui vit paisiblement sur le sol irlandais et a mis au point des filières d’exfiltration d’anciens nazis, les « ratlines ». Manifestement quelqu’un s’en prend aux criminels de guerre. Individus isolés ou groupes organisés ?
Peu désireux de voir un scandale s’ébruiter, le ministre de la Justice charge l’un de ses meilleurs officiers de renseignements, le lieutenant Albert Ryan, de faire toute la lumière sur les crimes. Plus facile à dire qu’à faire. A mesure qu’il enquête, Ryan va non seulement craindre pour sa vie à plusieurs reprises mais aussi se retrouver face à un terrible cas de conscience.
Stuart Neville vit en Irlande du Nord dans le comté d’Armagh. Il a remporté le Los Angeles Times Book Prize et le Prix Mystère de la critique pour
. Il démontre avec
qu’il n’a rien perdu de son formidable sens de l’action et des rebondissements.

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Carter braqua un fusil automatique sur Vandenberg. « Restez là où je peux vous voir. »

Vandenberg leva sa main valide. « Où je me mets ? »

Weiss demanda : « Tout est en ordre ?

— Oui, dit Ryan.

— Qu’est-ce qui est arrivé à sa main ? »

Ryan sentit que la vérité n’apporterait rien de bon à Vandenberg. « Il est tombé.

— Merde, dit Weiss. Reculez.

— Pourquoi ?

— Ne discutez pas, Albert. »

Ryan s’écarta de Vandenberg. Weiss se tourna vers Carter et fit un signe affirmatif.

Une déflagration, et Vandenberg s’écroula.

Ryan ferma les yeux, déglutit, rouvrit les yeux. « Vous n’aviez pas besoin de faire ça. »

Weiss grimpa à bord du bateau de pêche. « Je ne l’aurais pas fait s’il avait eu ses deux mains pour nous aider à charger les caisses.

— Moi aussi, quand je ne vous serai plus utile, dit Ryan, vous m’abattrez ? »

Weiss rit. « Vraiment, Albert, c’est l’opinion que vous avez de moi ?

— Oui.

— Je suis blessé, sincèrement. Bon allez, au travail. »

Carter abandonna la barre et Weiss commença à lui passer les caisses qu’il transporta l’une après l’autre dans la cabine. Ryan scrutait l’horizon, en partant de la bande de terre, au nord-est, puis côté ouest, puis au sud.

« La voie est libre, dit Weiss. On sillonne les environs depuis une heure. Il n’y a personne. Aidez-moi, bon sang.

— C’est trop facile, dit Ryan.

— Cessez de vous inquiéter, Albert. On est presque au bout de nos peines. Fermez-la plutôt et bougez-moi ces caisses. »

Le ciel bas et gris avait pris une teinte blanc sale quand ils finirent de transborder les caisses.

Carter passa un bidon en métal à Weiss.

« Si j’étais vous, je ne resterais pas là », dit Weiss. Il versa du liquide sur le pont, aspergea les murs de la cabine, le corps de Vandenberg.

Ryan reconnut l’odeur de l’essence. Il grimpa dans la vedette en faisant un écart pour ne pas être arrosé. Weiss le suivit, tenant toujours le bidon. Il détacha la corde du côté bâbord de la vedette et la lança à Carter pour que celui-ci retienne le bateau de Vandenberg.

Weiss tira un mouchoir de sa poche, le mouilla en renversant le bidon, puis l’enfonça dans le goulot. Il alluma ensuite un briquet Zippo, approcha la flamme du mouchoir, tressaillit quand l’éclair bondit et lança le bidon sur l’autre bateau.

L’essence sur le pont s’embrasa avec un bruit étouffé. « Vous feriez mieux de lâcher », dit Weiss à Carter.

Carter jeta la corde et repoussa le bateau de Vandenberg. Les deux bateaux s’étaient écartés de quelques mètres quand le bidon explosa. Carter retourna à la barre et démarra le moteur. Ryan sentit le plancher trembler sous ses semelles. La vedette s’éloigna et prit bientôt de la vitesse.

Ryan regarda la colonne de fumée noire qui s’épaississait en montant à l’assaut du ciel, léchée à sa base par des flammes ternes. Enfin, il y eut la sourde détonation du réservoir. Il reçut un souffle d’air chaud au visage et vit un jaillissement d’étincelles et de bois.

Weiss s’approcha de lui. « Quel effet cela vous fait d’être riche, Albert ? »

Sa main était froide sur l’épaule de Ryan.

« Où sont Wallace et Gracey ? » demanda Ryan.

Quand ils jetèrent l’ancre au fond du port de Balbriggan une heure plus tard, une brume épaisse noyait la terre et la mer. La camionnette Bedford était garée sur la digue au-dessus de leur emplacement, et sur trois côtés s’élevaient les murs de ciment gris du bassin que dominait, plus loin, le pont de chemin de fer.

Le port était plongé dans le silence. Les pêcheurs avaient pris la mer, les bateaux de plaisance se balançaient doucement à l’amarre. Weiss et Carter avaient sans doute volé la vedette ici, pensa Ryan. Les vagues roulaient et déferlaient sur la plage au-delà du mur nord.

Carter grimpa sur le quai par l’échelle rouillée et Ryan lui tendit les caisses. Quand elles furent toutes chargées dans la camionnette, ses épaules et son dos hurlaient de douleur. Les trois hommes se reposèrent un instant contre la camionnette, hors d’haleine.

« Si j’avais su que ce serait autant de boulot, je ne me serais jamais lancé là-dedans », dit Carter.

Weiss cracha par terre. « Vous ne serez plus jamais obligé de bosser. Bon, voyons un peu à quoi ressemble notre butin. »

Carter enveloppa son fusil dans un sac en toile et le déposa près des caisses. Debout devant les portes arrière de la camionnette, ils contemplèrent le chargement.

Après un dernier regard alentour, Weiss se hissa à l’intérieur de la camionnette. Il prit un long tournevis dans une petite boîte à outils posée sur le plancher, glissa la pointe sous le couvercle de la caisse la plus proche et le souleva.

Ryan entendit le bois craquer.

Le couvercle retomba plus loin. Tout le sang se retira du visage de Weiss. Son sourire s’élargit, puis trembla et s’évanouit. Il secoua la tête.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Carter.

Weiss sortit de la caisse un objet gris terne en forme d’obélisque, puis un autre.

Carter se pencha en avant. « Mais qu’est-ce que… »

Weiss lâcha les obélisques qui heurtèrent le sol avec un cliquetis métallique. Carter les saisit, les soupesa.

Il se tourna vers Ryan. « C’est quoi, ce bordel ? »

Weiss s’esclaffa. C’était un rire qui lui montait du fond du ventre, mais qui sonnait creux dans la camionnette. Puis il partit dans un nouvel éclat, un rire aigu cette fois, au bord de la folie.

La voix de Carter tremblait comme s’il se retenait de pleurer. « Qu’est-ce qui se passe ? Où est l’or, putain ? »

Weiss se prit le visage dans les mains. Le rire s’écoulait librement de sa gorge maintenant, gras et puissant. Ses épaules tressautaient.

« Où il est ? » dit Carter.

Ryan savait. Il avait compris avant que Weiss ne plonge la main dans la caisse, mais il n’avait aucune envie de rire.

Carter avança le buste dans la camionnette, attrapa la caisse et la tira vers lui. « Où est l’or, nom de Dieu ? »

Il regarda dans la caisse, secoua la tête. « Non. »

Weiss se tenait les côtes. « Oh si, mon ami. Oh, si. »

Il prit deux autres barres de plomb dans la caisse, les choqua et rit jusqu’à en avoir les larmes aux yeux.

67

Weiss avait mal aux côtes et la vision brouillée par les larmes. Il fut pris d’un vertige, le cœur au bord des lèvres.

Il lâcha les barres de plomb et repoussa la caisse, qui se renversa. Son contenu tomba de la camionnette. Carter et Ryan firent un saut de côté pour ne pas recevoir sur les pieds quinze blocs d’un métal dénué de toute valeur.

Weiss saisit une autre caisse, souleva le couvercle avec le tournevis. Le bois se fendilla et céda. À l’intérieur, même spectacle. Au lieu d’un jaune étincelant, le gris terne du plomb.

Weiss s’effondra contre la paroi de la camionnette, le souffle coupé, les jambes prises d’une faiblesse. Mais il rit encore, un rire absurde qui l’assaillait par vagues et qu’il ne pouvait arrêter, incapable de faire autre chose que rire alors même que tout partait en vrille devant ses yeux.

Soudain, une douleur cuisante sur sa joue.

Il se demanda un instant qui l’avait frappé, puis comprit que c’était sa propre main. Il se gifla encore. La clarté d’esprit lui revenait.

« Nom de Dieu », dit-il.

Il attrapa son pistolet sous sa veste et le braqua sur le front de Ryan, clignant des yeux pour expulser les larmes.

« Bon sang, Albert. Vous n’avez pas vérifié ? »

Le visage de Ryan ne trahissait aucune émotion, pas même la surprise.

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