Stuart Neville - Ratlines

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Dublin, 1963. Au moment où le président Kennedy prépare son voyage officiel en Irlande, des meurtres de ressortissants étrangers viennent perturber le sommeil du ministre de la Justice.
On a découvert le cadavre d’un Allemand accompagné d’une note destinée au colonel Otto Skorzeny, le chef de commando préféré d’Hitler, qui vit paisiblement sur le sol irlandais et a mis au point des filières d’exfiltration d’anciens nazis, les « ratlines ». Manifestement quelqu’un s’en prend aux criminels de guerre. Individus isolés ou groupes organisés ?
Peu désireux de voir un scandale s’ébruiter, le ministre de la Justice charge l’un de ses meilleurs officiers de renseignements, le lieutenant Albert Ryan, de faire toute la lumière sur les crimes. Plus facile à dire qu’à faire. A mesure qu’il enquête, Ryan va non seulement craindre pour sa vie à plusieurs reprises mais aussi se retrouver face à un terrible cas de conscience.
Stuart Neville vit en Irlande du Nord dans le comté d’Armagh. Il a remporté le Los Angeles Times Book Prize et le Prix Mystère de la critique pour
. Il démontre avec
qu’il n’a rien perdu de son formidable sens de l’action et des rebondissements.

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Cabine publique à l’extrémité nord de Kildare Street. Vous avez deux minutes.

Il partit en courant.

Il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de la cabine, moitié courant moitié claudiquant, quand le téléphone sonna. Un jeune homme qui fumait non loin alla ouvrir la porte.

« C’est pour moi ! » lança Ryan.

Le jeune homme lâcha la porte et recula.

Ryan entra dans la cabine, prit le combiné et prononça son nom.

« Le colonel Skorzeny accepte nos instructions ? »

La voix de Weiss. Donner le change, avait-il dit. Ryan devait présumer qu’il était surveillé et écouté. Se comporter comme s’il ne connaissait pas son interlocuteur.

« Oui, dit Ryan. Sauf une.

— Laquelle ?

— C’est moi qui apporte l’or.

— Nos instructions doivent être suivies à la lettre. Sans aucune modification.

— J’apporte l’or. Skorzeny l’exige. Sinon la transaction n’a pas lieu. »

Le silence tomba. Puis : « Très bien. Le lieu a été indiqué. Vous savez ce qui arrivera si vous tentez quoi que ce soit. Après- demain, à l’aube. »

La communication fut coupée.

64

Asif Hussein attendait dans un fourgon Citroën gris, phares allumés, devant le terminal de l’aéroport.

« Monsieur Ryan ? » demanda-t-il.

L’Arabe portait un costume bien coupé qui moulait son corps athlétique et une cravate en soie desserrée autour du col ouvert de sa chemise. Il avait les joues et le menton rasés de près, mais une épaisse moustache lui tombait sur la lèvre supérieure.

Hussein se pencha pour ouvrir la portière côté passager. Ryan monta. Il avait pris l’avion sans bagages, Dublin-Londres d’abord, puis Zurich.

Tandis que Ryan s’installait, Hussein tendit le bras et lui palpa le torse et les cuisses.

« Je ne suis pas armé », dit Ryan.

Sans répondre, Hussein termina sa fouille avec un grognement approbateur.

La cabine du fourgon était séparée de l’arrière par une paroi métallique dans laquelle s’ouvrait une porte sur gonds. Ryan distingua deux hommes à la peau basanée accroupis dans la pénombre de l’autre côté. Leurs yeux posés sur lui brillaient dans les reflets du terminal brillamment éclairé.

« Habib et Munir, dit Hussein. Ils nous accompagneront jusqu’à Camaret-sur-Mer. »

Des plaques d’acier avaient été rivetées tout autour du fourgon pour le blinder de l’intérieur. Des fentes découpées dans le métal laissaient passer de minces rais de lumière par les vitres arrière.

Hussein alluma une cigarette qui dégagea une épaisse fumée âcre. Il engagea la première vitesse et démarra.

Protégée par de hauts murs, la Heidegger Bank se dressait aux abords d’un village dissimulé dans les collines qui dominaient le lac de Zurich, à moins de quarante minutes de l’aéroport. Une lourde porte en métal barrait la seule entrée, sous une arche en pierre. Un garde muni d’une torche électrique, pistolet dans un étui accroché à sa hanche, examina la lettre que lui tendit Hussein. Il braqua ensuite le faisceau de sa lampe sur chaque passager du fourgon. Satisfait, il hocha la tête et parla dans une radio.

La porte s’ouvrit. Hussein avança le fourgon sous l’arche et se gara devant le bâtiment, sobre et de plain-pied, qui s’élevait au centre de la propriété. Il se regarda dans le rétroviseur, boutonna son col, ajusta sa cravate. Puis, sortant un peigne de sa poche, il lissa les boucles désordonnées de ses cheveux.

« Venez », dit-il en rangeant le peigne dans sa poche. Et il descendit du fourgon.

Ryan le suivit.

Un homme mince et élégant attendait à l’entrée du bâtiment. Il tendit la main à l’Arabe qui s’approchait.

Hussein la serra. « Monsieur Borringer, excusez-nous d’arriver si tard.

— Monsieur Hussein, c’est un plaisir de vous voir quelle que soit l’heure. » L’homme jeta un regard à Ryan mais ne le salua pas. « Je craignais de ne pas pouvoir rassembler suffisamment d’or à temps, mais j’ai sollicité l’aide d’autres établissements. La famille Heidegger étant hautement respectée dans la profession, mes collègues n’ont pas hésité à m’apporter leur concours. »

Borringer se détourna et entraîna Hussein et Ryan à l’intérieur. Habib et Munir leur emboîtèrent le pas. Le vestibule, moderne mais décoré avec goût, s’organisait autour d’un imposant comptoir d’accueil qui faisait face à l’entrée. Les portes des bureaux, de part et d’autre, étaient flanquées chacune de deux gardes. Des portraits d’hommes aux cheveux grisonnants garnissaient les murs, tous arborant le même visage sévère, avec un long nez et des yeux bleu pâle. Huit au total, habillés selon la mode de plusieurs époques comprises entre le dix-huitième et le vingtième siècle.

Au-dessous, sur de petites plaques en cuivre, Ryan lut partout le nom Heidegger.

« Suivez-moi, je vous prie, dit Borringer.

— Attendez ici », ordonna Hussein à ses gardes du corps. Il se retourna ensuite vers Borringer. « Mr. Ryan vient avec nous. »

Borringer regarda d’abord les chaussures de Ryan, puis sa montre, et s’arrêta enfin sur son visage. Ses yeux comptaient, mesuraient, évaluaient.

« Comme vous voudrez », dit Borringer sans tenter de dissimuler son mépris. Il se dirigea vers un ascenseur, écarta la grille et d’un geste invita Hussein et Ryan à entrer avant de les suivre et de refermer la grille derrière lui.

Ayant ôté une chaîne en argent qu’il portait autour du cou, Borringer choisit une clé parmi le trousseau qui y était attaché, l’inséra dans le panneau de contrôle de l’ascenseur, la tourna, et appuya sur l’unique bouton.

L’ascenseur descendit dans une cage en brique. Quand la cabine s’immobilisa, Borringer retira la clé, remit la chaîne autour de son cou, puis ouvrit la grille.

Un garde était assis à un petit bureau au centre de la pièce. Il se leva, les bras raides le long du corps, regardant droit devant lui. Neuf portes en acier, trois sur chaque mur, chacune équipée d’une serrure à combinaison et d’une lourde poignée.

Borringer s’approcha de la porte du milieu, face à l’ascenseur. Il fit écran avec son corps quand il tourna le cadran. Ryan entendit le cliquetis des gorges qui se levaient une à une, puis le déclic de l’ouverture. Borringer recula pour laisser le garde tirer la porte.

« Messieurs, votre chargement. »

Les murs de la chambre forte étaient tapissés de tiroirs à double serrure, scellés à la cire pour un grand nombre d’entre eux. Sur un chariot à plate-forme, des caisses en bois qui ne dépassaient pas vingt centimètres de côté avaient été disposées par dizaines.

Borringer toussota avant de parler. « Quatre-vingt-neuf caisses, chacune contenant quinze lingots d’un kilo, pour une valeur totale d’un million cinq cent six mille cinquante-six dollars. »

À bout de souffle, il put à peine achever sa phrase. Il inspira profondément et poursuivit : « Monsieur Hussein, veuillez inspecter les caisses avant que l’on ne ferme les dernières. »

Hussein et Ryan s’avancèrent. De loin, Ryan vit briller le contenu des cinq caisses ouvertes sur le dessus de la pile, il lut les mots Crédit Suisse gravé dans le métal. Son cœur s’accéléra.

Borringer leva une main. « Monsieur Hussein seulement, s’il vous plaît.

— Attendez ici », dit Hussein sur le seuil de la chambre forte.

Ryan obéit.

La peau sous le menton d’Hussein se teinta d’un reflet jaune. Il doit aimer le beurre, pensa Ryan, se rappelant le jeu du bouton d’or. Une pensée qu’il chassa rapidement de son esprit. Hussein examina chaque caisse tour à tour pendant que Ryan écoutait le discret bourdonnement de l’aération. Il sentait un courant d’air frais sur son cou.

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