« Je n’ai vu que quelques caisses. J’ai vu des barres d’or sur lesquelles était écrit Crédit Suisse . Le messager de Skorzeny a vérifié. On ne m’a pas laissé entrer dans la chambre forte pour regarder de près. »
Carter luttait pour retrouver le contrôle de sa respiration. « Je savais qu’il nous planterait. Je l’avais dit, non ? Mais vous… »
Weiss visa Carter. « La ferme.
— C’était trop facile, dit Ryan.
— Ôtez votre flingue de là », dit Carter.
Weiss ne bougea pas. « Vos gueules, tous les deux. Laissez-moi réfléchir.
— Ôtez votre flingue de là, je vous dis.
— La ferme, Carter, sinon je vous jure que je vous explose la tête. »
Carter le saisit par le poignet, mais Weiss se dégagea et ramena le canon du pistolet en plein sur son front, doigt crispé sur la détente.
« Ne me provoquez pas, Carter. Vous savez que je…
— Tout le monde dehors. »
La voix venait d’en haut, un aboiement autoritaire et déformé, suivi par une rafale d’interférences.
« Ici l’inspecteur-chef Michael Rafferty de la Garda Síochána. Vous êtes cernés. J’ai une douzaine de gardes avec moi, tous armés, et une équipe de tireurs d’élite. Au moindre faux pas, je donne l’ordre d’ouvrir le feu. Descendez de la camionnette. »
Weiss se pencha à l’extérieur, leva les yeux et vit une silhouette massive debout sur le pont ferroviaire, un mégaphone à la main. Deux policiers à demi masqués par la brume se tenaient à ses côtés, pistolets dégainés et prêts à tirer.
Plus loin sur le pont, un tireur couché les alignait dans son viseur télescopique. Et sous les voies, entre les arches noyées d’ombre, encore des policiers et des armes.
« Lieutenant Albert Ryan, faites-vous connaître.
— Salopard, dit Carter. Espèce de salopard. »
Weiss regarda Ryan, vit le choc sur son visage. « Il ne savait pas », dit-il.
Carter fulmina. « Mon cul, qu’il savait pas. »
Ryan gardait le silence. Il descendit de la camionnette, les mains en l’air.
Les yeux de Carter s’arrêtèrent sur le sac en toile dans lequel il avait enfermé son fusil automatique.
« Ne faites pas ça », dit Weiss. Il mit aussi les mains en l’air et s’approcha de la portière arrière de la camionnette.
« Salopard », dit encore Carter.
La voix grésilla dans le mégaphone.
« À genoux, Ryan, les mains sur la tête. Les autres, sortez de la camionnette. »
Carter, tournant le dos aux policiers, ouvrit le sac.
« Ne faites pas ça, répéta Weiss. Ils vont nous tuer tous les deux. »
Carter extirpa le fusil du sac et pivota vers Ryan, le doigt cherchant la détente.
Son crâne éclata une fraction de seconde avant que Weiss n’entende la détonation et ne reçoive une éclaboussure tiède au visage. Carter s’écroula, les membres désarticulés, la bouche et les yeux grands ouverts.
« D’accord ! cria Weiss. Je sors. »
Le mégaphone brailla à nouveau. « Combien êtes-vous ?
— Ryan et moi. C’est tout.
— Sortez de la camionnette, les mains sur la tête. »
Weiss descendit et fit quelques pas en évitant le sang de Carter sur le ciment mouillé.
« À genoux, à côté de Ryan. »
Weiss obtempéra. Ryan regardait droit devant lui, impassible.
« J’ai une suite au Shelbourne », dit Weiss à voix basse. Ryan tourna la tête vers lui. « Au nom de David Hess. Tous les documents qui incriminent Skorzeny sont là-bas, dans une boîte métallique fermée à clé. Si on me garde en détention, si on m’extrade, allez les chercher. Apportez-les chez Hedder et Rosenthal, un cabinet d’avocats à Ballsbridge. Donnez-les à Simon Rosenthal. À personne d’autre. Compris ? »
Ryan ne répondit pas.
Les policiers sortirent de l’ombre. La peur était visible sur leurs visages, leurs mains qui tenaient les armes tremblaient.
« Vous m’entendez, Ryan ? Transmettez les informations à Simon Rosenthal, il aura la peau de Skorzeny. Faites ça pour moi.
— Non, dit Ryan. C’est pour moi que je le ferai. »
Rafferty, rouge et essoufflé, laissa choir sa masse corpulente dans le fauteuil en face de Ryan. Il posa un mug de thé sur la table, but une gorgée de celui qu’il tenait à la main.
« Bon sang, on dirait que tout ça va me donner beaucoup de boulot », dit-il. Il indiqua du menton le mug devant Ryan. « Allez-y, buvez. »
Ryan prit le mug et le porta à ses lèvres.
« Là, c’est mieux, non ? »
Le policier ne dit plus rien, les yeux fixés sur Ryan. Des gouttelettes d’humidité suintaient sur les murs en ciment de la salle des interrogatoires. Un magnétophone à bande, vide, trônait sur la table entre eux.
« Votre ami, l’Américain. Ou l’Israélien, je ne sais pas trop ce qu’il est. » Rafferty se débarrassa de sa tasse et sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa veste. « Il ne veut rien me dire d’autre que son nom. Il insiste pour qu’on prévienne un avocat, Rosenthal. Qu’est-ce qu’il fabrique, lui ? Qu’est-ce qu’il fout ici ?
— Il est du Mossad, dit Ryan.
— Du quoi ?
— Du Mossad. Le service de renseignement israélien.
— Quoi, c’est un espion ?
— Quelque chose comme ça. »
Rafferty lâcha un petit rire incrédule. « Sainte Mère de Dieu. Ici ? » Il prit une cigarette dans le paquet et l’alluma. « Cette affaire-là, je vous l’avoue, c’est un peu trop pour moi. Le pire qu’il m’arrive de traiter dans le coin, c’est un vol de bétail ou une bagarre à la sortie d’un pub. Mais une histoire pareille… Je suis pas assez payé pour m’occuper d’espions et d’or introduit clandestinement. Enfin, plus de plomb que d’or, au final. Dans cinq des caisses, il y avait trois barres d’or sur le dessus. Bref, tout ça pour dire… Est-ce que vous trouvez que je ressemble à James Bond ? » Il se pencha en avant, tenant la cigarette entre ses doigts boudinés. « Vous l’avez vu, ce film ?
— Oui, dit Ryan.
— J’y suis allé avec ma bourgeoise. Elle a mis sa main sur mes yeux quand la nénette est sortie de l’eau, toute mouillée qu’elle était. Je l’ai emmenée au septième ciel cette nuit-là, je peux vous assurer. »
Le ventre de Rafferty tressauta quand il rit. La fumée ressortait entre ses dents.
Ryan s’éclaircit la gorge. « Je dois parler avec Ciaran Fitzpatrick, à la Direction du renseignement.
— On m’avait prévenu que vous diriez ça. » Rafferty sortit un morceau de papier du paquet de cigarettes. « Malheureusement, Mr. Fitzpatrick n’est pas disponible pour l’instant. Mais vous avez des amis haut placés. »
Il déplia le papier, révélant quelques lignes dactylographiées et une signature alambiquée.
« Ça, c’est un mot du ministre de la Justice, Mr. Charles J. Haughey, celui-là même qui a ordonné de suivre la camionnette et d’arrêter ses passagers quand ils seraient revenus à terre. Un messager l’a apporté il y a vingt minutes. C’est écrit qu’il ne faut pas vous interroger, rien enregistrer, et que je dois vous relâcher, à mon bon vouloir. Il veut que l’affaire soit traitée discrètement. Pour le cas où ça ne plairait pas aux Américains et qu’ils décideraient que le président Kennedy ne viendra pas nous voir, finalement. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— Je pense que vous devriez me laisser partir. »
Rafferty hocha la tête. « Peut-être bien qu’on peut l’envisager, oui. Mais ça dit à mon bon vouloir, et mon bon vouloir, il dit pas tout de suite. Je crois que je vais vous laisser mijoter un peu, monsieur Ryan. »
Le policier se souleva lourdement de son fauteuil, la respiration sifflante.
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