Tendu, il chercha encore, sans grand espoir. Son faisceau se posa soudain contre une surface lisse, accolée à une paroi. Il s’approcha, les yeux plissés, et s’agenouilla.
Une glacière.
Toute neuve.
Sur laquelle était scotchée une feuille de papier. Dessus, juste une phrase : « Lorsque résonne le 20 e coup, le danger semble momentanément écarté. 48°53’51 N. »
Franck se frotta le menton un long moment. Un autre message, une nouvelle énigme… Il ne s’était pas trompé de rendez-vous. Ses mains tremblaient parce qu’il imaginait le pire. Il pouvait y avoir n’importe quoi, là-dedans. Il songea à un film connu, à son horrible fin, lorsque le héros reçoit un carton d’un livreur, au milieu du désert, avec l’impensable à l’intérieur.
Il posa une main à plat sur le côté en plastique dur, glacé. Il se releva et se mit à aller et venir, le regard rivé vers cette boîte hermétique. Le nombre inscrit sur le papier semblait indiquer la première partie de coordonnées GPS. Quant au début du message, il ne saisissait absolument pas sa signification. Lorsque résonne le 20 e coup… Parlait-il d’une horloge ?
Que faire ? Et si le compartiment lui explosait à la figure ? Après de longues interrogations, il revint se positionner face à la glacière. Il plaça ses mains gantées de chaque côté, retint son souffle et souleva lentement le couvercle, l’arme juste à ses côtés, au cas où.
La glacière était remplie de pains de glace et de glaçons.
Il passa sa langue sur ses lèvres. Que lui réservait l’esprit tordu qui signait ses messages avec son sang ? Ce taré pouvait être n’importe quel quidam ayant été au courant des faits, à l’époque. Un lecteur de journal, un spectateur de télévision, quelqu’un qui avait décidé de s’acharner sur un flic, pour une raison débile. Sharko poussa la feuille et vida la glacière progressivement, jusqu’à tomber sur un tube de verre. Ou, plus précisément, une éprouvette bouchonnée. Il la leva devant lui, orienta le faisceau de sa lampe vers son maigre contenu.
À l’intérieur, c’était blanchâtre et épais.
Nul doute possible. Il s’agissait de sperme.
9 heures tapantes.
L’équipe du groupe Bellanger était réunie au grand complet dans son open space . Porte fermée, gobelets de café dans les mains, mines moins fraîches que la veille. Sharko était appuyé contre le mur du fond, proche de la fenêtre qui donnait sur une capitale toute blanche. Lointaines, ses envies d’îles et de sable blond…. En ce moment, c’était plutôt l’enfer sous son crâne. Évidemment, il pensait au sordide contenu dissimulé au fond de son coffre, à quelques pas du 36. La glacière, le tube de sperme, ses vêtements trempés qu’il avait laissés bien cachés, de façon à ce que Lucie ne tombe pas dessus en faisant la lessive. Il était rentré à l’appartement à 5 h 10 du matin. Sa compagne n’avait rien vu, rien entendu. Il avait chiffonné le mot à son intention et l’avait caché dans la poubelle. À 7 h 45, il avait appelé discrètement le laboratoire d’analyses médicales où il subissait ses examens, pour s’assurer qu’il n’y avait eu ni vol ni cambriolage. Cinq minutes avant la réunion, il avait contacté le commissariat de Bourg-la-Reine, au sujet de l’agression de l’infirmier. Piste complètement vierge.
Peut-être faisait-il la pire bêtise de sa carrière en agissant en solo, peut-être aurait-il dû alerter les flics pour qu’ils investissent la cabane et fassent les relevés nécessaires. Mais peu importaient les remords et les états d’âme. Il avait fait son choix et, désormais, il était trop tard.
Il porta ses yeux vers Lucie, assise à sa place, sirotant son deuxième café de la matinée. Il les observait, elle, Bellanger. Ils pourraient former un si joli couple. Rien, dans leurs regards, ne trahissait une quelconque relation. Devenait-il complètement parano ? Il pensa à la façon dont il était retourné dans le lit, ce matin. Comme un mari infidèle. Avait-il le droit de lui cacher une telle vérité ? Plus le temps passait, plus il avait l’impression de s’enfoncer dans le mensonge. À qui appartenait ce maudit échantillon de sperme ? À quoi rimait ce début de coordonnées GPS, ce message incompréhensible, avec cette histoire de 20 e coup ?
Placé devant un tableau, prêt à prendre des notes, Nicolas Bellanger réclama l’attention du groupe. On voyait qu’il avait peu dormi. Yeux lourds, mal rasé : l’enquête entamait son travail d’érosion. Il exposa les grandes lignes de leurs investigations puis demanda un point complet de l’état des recherches à chaque enquêteur. Le lieutenant Levallois attaqua et fit part de ses découvertes : aidé de collègues d’une autre équipe, il avait mené l’enquête de proximité concernant la victime trouvée dans le congélateur. Interrogation des voisins, de certains amis, de membres de sa famille.
— Christophe Gamblin ne semblait pas avoir de soucis particuliers, aux dires de ses proches. Un bosseur, qui aimait les virées entre amis, le cinéma et consommer de l’alcool modérément. Il lui arrivait de sortir avec une femme de temps en temps, mais c’était sans lendemain. Gamblin revendiquait son célibat. Au travail, rien de bien flagrant ces derniers temps. J’ai jeté un œil sur les articles qu’on a reçus par mail, il bossait sur des faits divers comme il en traitait tant. Quoi d’autre ? Hmm… Ah oui, il était aussi adepte de nouvelles technologies. IPhone, iPad, Internet. Il communiquait souvent avec ses connaissances par Skype, la téléphonie sur Internet, MSN et Facebook. Un quarantenaire à la pointe, pour ainsi dire.
— Tu as pu creuser la relation entre lui et Valérie Duprès, notre journaliste d’investigation ?
— Un peu, oui. Ils n’étaient pas en couple mais étaient quasiment toujours ensemble, dès qu’ils le pouvaient. Sorties, loisirs, réveillon du nouvel an… Mais depuis six ou sept mois, Valérie Duprès s’est montrée beaucoup moins présente. Plus personne, dans le groupe d’amis, ne la voyait. Selon leurs dires, Christophe Gamblin restait mystérieux dès qu’on l’interrogeait sur elle. Tous savaient globalement que la journaliste d’investigation préparait un livre, mais sans davantage d’informations. Duprès n’était pas une exubérante, plutôt renfermée et ultra-méfiante, même.
— On a des infos sur ce fameux livre ?
— Pas grand-chose de mon côté, faute de temps. Sujet mystérieux, ça, c’est sûr. Duprès avait peut-être peur qu’on ne lui pique son idée ? Une chose est certaine : elle avait traité des sujets délicats par le passé, savait dissimuler son identité et se protéger. Certains de ses proches étaient au courant pour les fausses cartes d’identité. Véronique Darcin existe réellement, elle habite vraiment Rouen et a le même âge que Duprès. Elle n’est strictement pas au courant qu’on usurpe parfois son identité.
— On n’a trouvé aucune trace de ce projet de livre chez elle, compléta Lucie. Ni documentation ni notes. Ou elle a tout embarqué, ou c’est le cambrioleur qui l’a fait.
— Moi j’ai des trucs, intervint Pascal Robillard.
Il se racla la gorge. Son sac de musculation était derrière lui, dans un coin.
— Je me suis concentré sur ses comptes en banque. Si on recoupe avec ses demandes de visas pour l’étranger, ça donne des choses intéressantes.
Il trifouilla dans la montagne de paperasse où s’agglutinaient des Post-it de couleurs différentes. Des lignes étaient stabilotées en fluorescent. Lucie s’était toujours demandé comment il parvenait à se retrouver dans de tels labyrinthes administratifs.
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